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entièrement le goût. Leurs productions, tout informes qu'elles étoient, avoient du moins le mérite d'être raisonnables; elles firent bientôt oublier celles dont la Nation avoit malheureusement contracté une trop longue habitude; &, il faut l'avouer, c'étoit une entreprise: hardie & courageufe que de tenter de la détruire. Ces nouveaux Athlètes ne pouvant se fier cependant fur leurs propres forces, usèrent de leurs modèles, comme en avoient ufé les premiers Poëtes Latins; c'est-à-dire, qu'au lieu d'étudier à fond leur génie & de prendre leur efprit, ils les copièrent ou les imitèrent groffièrement. Il est aifé de remarquer, que nous avons en tout, fuivi la marche des Romains, quant aux arts de l'efprit. Leur Langue. fut auffi long-temps à fe polir que la nôtre. C'est à l'étude de la Langue Grecque & à l'ufage qu'ils en ont fait, qu'ils ont dû la richeffe, l'abondance. & l'harmonie de leur Langue mater

nelle. Le mêlange utile & ingénieux des mots Grecs qu'ils y firent entrer, Fadoucit, la polit, l'embellit infenfiblement; & c'eft en quoi ils ont été plus habiles ou plus heureux que nous. En vain avons-nous, comme eux, effayé ce mêlange; Ronfard, en voulant rendre. notre Langue plus harmonieufe & plus riche, la rendit inintelligible & ridicule.

Tandis que nous faifions les plus grands efforts pour fortir de la barbarie, l'aurore d'un beau jour fe levoit fur l'horifon de l'heureufe Italie. Les Grecs fugitifs y avoient apporté de Conftantinople, lors de l'invafion des Turcs, ce qu'ils avoient pu fauver des débris de l'Antiquité : ils avoient déja répandu parmi leurs nouveaux hôtes le goût de la Littérature & des Sciences. Bientôt une lumière éclatante fe ré pandit fur toute cette Contrée. Protégés, careffés, chéris, magnifiquement récompenfés par les Médicis, les beaux Arts vinrent en foule briller de nouveau

dans leur ancienne Patrie. Les tréfors

que Jules II avoit laiffés en mourant favorisèrent encore l'inclination libérale de Léon X, & lui fournirent les moyens de fignaler fon amour pour les Lettres, en les comblant de fes largesses.

La France fe reffentit à fon tour de

la douce influence de l'astre qui venoit d'éclairer l'Italie. François I régnoit, & fon régne fut le régne des Savans. La protection qu'il leur accorda, excita. une émulation univerfelle: le génie prit enfin fon effor. La Poéfie, l'Éloquence, la Philofophie, l'Histoire, tout reçut une nouvelle vie: chaque Art, chaque Science faifoit des progrès fi rapides, qu'on peut les comparer à ceux de la verdure & des fleurs que l'on voit au printemps naître, croître & s'embellir dans l'efpace d'un beau jour. Une foule de Savans, en tout genre & de tous les ordres, fe partagèrent les tréfors littéraires d'Athènes & de Rome. Leurs Travaux, leurs foins, leurs veilles appla

nirent les difficultés & hâtèrent le moment d'en jouir. A mesure que les chaînes de l'ignorance tomboient, & que fes ténébres fe diffipoient, l'efprit plus libre s'éclairoit, la penfée fe formoit, les idées s'étendoient. Honteux du temps qu'on avoit perdu, on s'empreffoit de le réparer mais le goût étoit encore: à naître. Notre Langue, toujours brute tardoit à s'épurer: on n'ofoit même l'employer dans des ouvrages importans & de longue haleine. Les Langues: Grecque & Latine, fières de leur fupériorité, fembloient vouloir la conferver, & il étoit en effet bien difficile de ne pas leur donner la préférence; car à peine les ombres d'une nuit de plus de mille ans étoient-elles diffipées; à peine fortoit-on de la fatale & trop longue léthargie, dont l'ignorance avoit frappé tous les efprits. On ne pouvoit donc trop prolonger l'étude des Auteurs Grecs & Latins. Il falloit faire un fonds inépuisable

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de riches connoiffances, non-feulement pour le moment présent, mais encore pour l'avenir; & l'on manquoit même des plus communes & des plus néceffaires. Dans quelles fources plus abondantes pouvoit-on les puifer, que dans les ouvrages pleins d'ame & de vie des grandsmodèles que nous a laiffés l'Antiquité ? Il s'eft heureusement trouvé des hommes preffés par la néceffité, excités par le befoin, brûlans du defir de favoir, qu'un travail long & opiniâtre n'a point rebutés. Ils ont fenti que les idées ne pouvoient fe féconder, fe multiplier s'aggrandir, qu'en raifon du nombre & de l'étendue des connoiffantes acquifes; qu'il falloit donner de la jufteffe, de la clarté, de la force & de la folidité à la pensée, avant que de la peindre; & que les agrémens, la douceur, l'élé gance & la pureté du langage font l'affaire du temps. & de la délicateffe du goût, que l'on n'acquiert, que par l'étude habituelle des chefs-d'œuvre qu'on

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