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DE LA DÉCADENCE

DES

LETTRES

ET DES MŒURS,

DEPUIS LES GRECS ET LES ROMAINS JUSQU'A NOS JOURS.

MALGRÉ le titre fuperbe de SIECLE DE LUMIÈRES, dont notre Siécle fe décore, nous n'avons jamais été plus fondés à nous plaindre non-feulement de la décadence des Lettres & du Goût, mais même de la corruption des Mours. A quoi devons-nous en attribuer la caufe, fi ce n'eft au vice de notre Éducation, à la foibleffe de nos Études, à l'oubli des modèles de l'Antiquité fa

vante, aux écarts enfin dans lesquels le Bel-Esprit & une Philosophie insensée & trompeuse ont entraîné la génération' préfente? En vain voudroit-on foutenir le contraire; comparez les productions de notre temps à ces Modèles antiques & fublimes, vous reconnoîtrez aisément que tous ces vices ont infecté notre Littérature. Rappelons donc, s'il en eft temps encore, le fouvenir des vrais principes. Ils ont guidé le nombre d'Écrivains illuftres, Grecs & Romains, dont les Ouvrages confacrés d'âge en âge par le goût, font devenus la fource féconde où tous les grands Hommes des Siécles fuivans ont puifé l'Immortalité.

Cependant infenfible aux Beautés, ou pour mieux dire, incapable de juger du prix des Chefs-d'œuvre d'Athènes & de Rome, l'ignorance, dès le Siècle dernier, au moment même où plufieurs grands Écrivains égaloient les Anciens, en les imitant, n'infpira-t-elle pas à nos Beaux-Efprits l'orgueil de croire que les

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Modernes furpaffoient de beaucoup les Anciens? Aujourd'hui plus vains & plus ignorans encore, n'avancent ils pas har diment que notre Jeuneffe, au fortir de fes études, réunit plus de connoiffances réelles, que les plus grands Génies, les plus grands Philofophes de l'antiquité n'ont pu en acquérir par les plus longs travaux? Mais fans nous arrêter à cette ridicule & fauffe affertion, examinons en remontant jufqu'à la plus haute antiquité, & redescendant jufqu'à nos jours, les caufes des révolutions que le Goût & les Lettres ont éprouvées, & nous verrons que fi elles ont été les mêmes dans tous les temps, les effets en font aujourd'hui bien plus funeftes & plus multipliés.

Nous n'avons point de monumens qui puiffent nous faire connoître quel fut dans la Grèce, avant Homère, l'état des Sciences & des Lettres, & par quelle fucceffion de circonftances heureuses elles étoient parvenues de fon temps,

fans crépuscule & fans aurore, au plus haut point de perfection. Les Ouvrages de ce Génie divin l'atteftent; & fuppofé que les Poëmes d'Héfiode foient plus anciens, ils n'ont pas, comme ceux d'Homère, la gloire d'avoir été la fource où tous les Hommes de génie, Poëtes, Orateurs, Hiftoriens, Philofophes mêmes, ont puisé l'Art nécessaire, pour être grands & fublimes chacun dans fon genre. L'Iliade & l'Odyffée (1), ces Chefs-d'oeuvre immortels du goût & de la raison, firent le défefpoir des Poëtes qui les imitèrent. Aucun d'eux, quelque talent qu'il eût, ne put égaler fon modèle.

(1) Quoique l'Odyffée foit inférieure à l'Iliade, je ne fais quel charme on éprouve en la lifant. La morale en est si pure, la philosophie si douce, fi naturelle, la peinture du cœur humain fi intéreffante, fi parfaite & fi vraie, qu'on en quitte toujours la lecture à regret. C'e l'ouvrage, dit-on, de la vieillesse d'Homère : mais quelle étonnante vieilleffe! Longin, dans fon Traité du Sublime, Ch. VII, compare Homère au Soleil quand i fe couche, qui a toujours la même grandeur, mais qui n'a plus tant d'ardeur ni de force,

Dans ces premiers temps, l'ufage de la Profe étoit entièrement borné au commerce familier de la Société. Les Poëtes étoient les feuls Orateurs & les feuls Écrivains. La beauté, l'harmonie, la douceur & la fécondité de leur langue étoient un charme pour les oreilles; mais ce charme étoit fi puiffant, qu'il gravoit, fans peine & pour toujours, dans l'efprit des Peuples, les inftructions dont ils avoient befoin. La Poéfie, ce lan gage prefque divin, fait pour animer tout, pour tout peindre, plus hardi, plus élevé, plus vif que le langage ordinaire, convenoit mieux à leur imagination vive & fenfible, & étoit plus propre à leur faire goûter les leçons de fageffe & de conduite que les Poëtes leur adreffoient..

Cette manière d'enfeigner la Morale & les devoirs de la vie civile dura plufieurs fiécles. Aucun Écrivain en profe, du moins que nous fachions, në parut dans cet intervalle immenfe de temps,

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