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donner de fon opulence, il étale tout ce que le luxe a de plus magnifique & de plus éclatant. Tel eft, en général, l'art féduifant de l'efprit, & c'est celur de Fléchier. On peur dire de lui qu'il a réellement jeté des fleurs fur la tombe des illuftres Morts qu'il a célébrés. Aucun Orateur n'a poffédé à un plus haut degré l'harmonie du ftyle, n'a ménagé avec plus d'adreffe le charme de la furprise. Ses portraits font d'une vérité frappante, fes peintures vives & animées : il fait oublier l'Orateur, & l'illufion eft telle que l'on croit voir & entendre le Héros, le Sage, le Politique, le Magiftrat dont il vous entretient. L'Oraifon funébre du Maréchal de Turenne eft le chef-d'œuvre de Fléchier. On voit qu'il a été inspiré par la grandeur de fon fujet. Toutes les beautés, toute la pompe de l'art y font employées avec une fageffe & un goût admirables. Il n'y laiffe rien à defirer: développement heureux des qualités & des vertus de

fon Héros, pensées grandes & élevées, traits brillants & folides, un style animé, plein de feu, caractérisent particulièrement cette pièce d'éloquence.Mais malgré ce mérite éminent, qui place Fléchier au rang des grands Orateurs, on perdroit à vouloir l'imiter. Toujours fleuri, fouvent affecté, fon charme fecret pour féduire, eft l'antithèfe: c'eft la figure favorite, dont il fait un heureux & fréquent ufage. Ceux qui le choifiront pour modèle peuvent-ils fe flatter de réuffir comme lui, s'ils n'ont pas fon talent fes crayons & fon efprit? L'imitation, en tout genre, n'eft pas auffi facile qu'on le penfe: ce qui eft agrément, beauté, dans l'original, eft fouvent difformité, laideur dans la copie. Voilà pourquoi Quintilien (1) ne confeilloit pas d'imiter Sallufte, parce que la concifion, qui eft un mérite, une per

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Voyez QUINTIL. Inftit. Orat. Lib. IV, Cap. II. pag. 298.

fection dans cet Hiftorien, pourroit être un très grand défaut dans un autre, qui, voulant paroître concis, ne feroit qu'obfcur, & contracteroit l'habitude d'un ftyle brufque, fec & haché. On ne doit donc pas s'abandonner aveuglément à fon goût; il faut avant confulter fes forces. Le genre d'Eloquence. que Fléchier a choifi, eft brillant, & il l'a traité en Maître. La Jeuneffe croit qu'il eft facile, parce qu'elle en est féduite. Mais qu'elle apprenne que pour y réuffir, il faut un efprit exercé & cultivé, une imagination vive, fertile & agréable, une connoiffance parfaite de la langue, un goût pur, une oreille accoutumée à l'harmonie, un difcernement juste pour placer les ornemens; fans quoi, on eft maigre & décharné, ampoulé & bouffi, fautillant & découfu, fans harmonie & fans grâces. C'est aux dons précieux qu'il avoit reçus de la Nature, à l'heureux ufage qu'il en a fait, que Fléchier doit la place qu'il

occupe aujourd'hui au Temple de Mémoire.

Une des plus belles prérogatives de l'Eloquence, eft de convaincre & de perfuader. Elle n'a pas toujours befoin d'ornemens, de pensées fublimes, de traits ingénieux & piquants: il fuffit qu'elle foit fimple, austère & lumineufe pour annoncer la vérité. Mais combien est précieux le talent de l'Orateur qui fait, fans nuire à la fimplicité, la parer de fleurs, unir les grâces à l'austérité, joindre la plus grande lumière aux raifonnemens les plus profonds, éclairer également tous les Efprits: c'eft le talent qu'on admire dans BOURDAloue. Tantôt élevé, tantôt fimple, toujours noble & jamais familier, il fe met à la portée de l'efprit de tous les hommes: fes idées fe développent, fe fuccèdent rapidement & avec netteté: d'une vérité qu'il établit, naiffent mille autres vérités nouvelles, qui se foutiennent & se fortifient mutuellement: il s'abandonne

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rarement à ces grands mouvemens qui furprennent, agitent & remuent l'Auditeur concis & ferré, fans féchereffe, profond fans obfcurité, il raisonne, il difcute, il prouve : comme c'est l'efprit qu'il veut fubjuguer, il l'attaque, le combat, le fuit dans tous fes détours, saisit fes fubtilités, détruit fes fophifmes & fes erreurs, le preffe, le force enfin à fe rendre à l'évidence. Nourri de la lecrure des Pères de l'Eglife, on voit que fon goût naturel, plus que la néceffité, l'a porté à s'enrichir de leurs tréfors: fon éloquence eft celle des Chryfoftôme, des Auguftin; il en a l'ame, le génie, l'abondance; son style févère n'a rien de recherché, ni d'affecté; il cft nerveux & plein de force; les ornemens, les fleurs, les grâces du langage s'y trouvent placés naturellement. Bourdaloue, en un mot, eft de tous les Orateurs facrés le modèle le plus accompli, & le créateur de l'Éloquence de la Chaire.

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