de veilles? Ils ne fe font point endormis au bruit flatteur de leur renommée : plus ils obtencient de couronnes, plus ils redoubloient d'ardeur, pour mériter de nouveaux triomphes. Familiarisés, dès leur enfance, avec les grands modèles de l'Antiquité, ils ne les ont jamais per dus de vue. Ils leur doivent le goût, les beautés, tous les charmes qui brillent dans leurs ouvrages. Boffuet, Fénelon étoient pleins d'Homère & de Virgile; de Démosthène & de Cicéron. Mais à cet avantage auffi précieux qu'utile, quel favoir étonnant ne joignoient-ils pas? Quelle étendue, quelle variété de connoiffances profondes dans les Lettres facrées & profanes, dans l'Hiftoire, dans les Sciences & dans les Arts! auffi étoitce de ces richeffes, qu'ils nourriffoient, qu'ils fortifioient, qu'ils embelliffoient leur éloquence. Et ce font ces grands Hommes que notre fiécle a le front, non de mettre en parallèle, mais audeffous de nos Rhéteurs bourfoufflés,

de nos beaux Efprits étiques, légers de goût & de favoir!

Jamais le mérite & les talens ne fe diftinguèrent avec plus d'éclat; jamais l'amour de la gloire n'enflamma davantage les efprits; jamais lès Lettres, les Sciences & les beaux Arts ne firent de progrès fi prodigieux, fi rapides, que dans ces temps heureux où ils étoient éclairés des rayons du Trône. Tous s'empreffoient à l'envi de mettre au jour quelque nouveau chef-d'oeuvre. Leur émulation étoit celle qu'on admire parmi ces nombreux effaims d'abeilles, dont l'ardeur & l'activité femblent redoubier fous les yeux de leur Reine.

Ainfi les talens fuccédoient aux talens avec une rapidité incroyable; ainfi le génie toujours fécond ne fe laffoit point de produire & de créer. Déjà la Tragé die étoit au comble de fa gloire, que la fcène comique languiffoit encore. Thalie avoit fuivi MOLIÈRE dans nos (1)

(1) L'Etourdi fur joué á Lyon en 1653, & peu de

Provinces méridionales. C'eft-là qu'elle commença de brifer fes trétaux, & de faire revivre Ariftophane, Plaute & Térence. Mais bientôt elle vint briller dans la Capitale, & y couvrir Molière de lauriers. Que l'on fe rappèle ce que la Comédie étoit avant lui; elle n'en méritoit pas même le nom. Ce grand Homme la créa : il en eft le père, comme Corneille l'eft de la Tragédie. Habile dans l'art de faifir les ridicules & les caractères, de démasquer le vice; Philofophe profond, obfervateur attentif, il a fu peindre les mœurs & les corriger. Heureux génie qui joignoit à l'étude des excellens Poëtes comiques de l'Antiquité, qu'il a furpaffés, l'expérience du grand monde, & l'étude du cœur humain fources intariffables où il a puifé les grands caractères du Mifantrope & du Tartuffe; mais fources abandonnées

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temps après à Béziers, avec le Dépit amoureux & les Précieuses ridicules, pendant la tenue des États de Languedoc.

depuis, & même tout-à-fait inconnues de nos jours. Molière eft mort avec fon fecret, & il y a déjà long-temps que la bonne Comédie eft perdue parmi nous.

Corneille touchoit à fon déclin; mais fa vieilleffe n'étoit pas celle d'Homère. On ne pouvoit pas le comparer au soleil, qui ne perd rien de fa grandeur à fon couchant, mais dont les rayons ont feulement moins de chaleur & de force. Pertharite, Agéfilas, Attila, fruits languiffans d'une féve épuisée, d'une verve glacée par les ans, annonçoient à ce grand Homme, qu'il avoit affez travaillé pour fa gloire, & qu'il étoit temps d'en jouir en repos. Un jeune Athlète, dans la force de l'âge, fe présenta fur l'arêne, au moment où Corneille n'y portoit plus que des pas chancelans. C'étoit RACINE, qui, nouveau Sophocle, fe montre tout-à-coup non pour difputer à l'Eschyle moderne la palme du génie, mais pour la partager. COLBERT, alors Miniftre, fecondoit

merveilleufement les vues du Souverain, qui imprimoit à tout ce qui l'approchoit la grandeur de fon caractère. Ce Miniftre qui doit être l'objet de la reconnoiffance éternelle de la France, plus admiré, plus loué qu'imité; auquel des Enthoufiaftes ont rendu un culte

hypocrite, pour fe faire égaler à lui par la multitude prévenue & toujours trompée; & dont d'autres Enthousiastes conduits par la folie, & détracteurs de ce grand Homme, ont détruit les heureux travaux ce fondateur de la richeffe du Royaume, par fes utiles & nombreux établissemens, par les tributs qu'il a tirés de toutes les parties du monde, en joignant les deux mers, en protégeant le. Commerce, en rendant la Marine redoutable; Colbert animoit tous les Arts & tous les Artiftes, il comman doit des chefs-d'oeuvre à la Peinture, à la Sculpture, à l'Architecture, & le Génie obéissoit à sa voix. Il procura un asyle