Imágenes de páginas
PDF
EPUB

hommes oppofera-t-on à ces génies créateurs, qui ont rallumé le flambeau des Lettres, des Sciences & des Arts, que les Novateurs de nos jours ont déjà prefqu'entièrement éteint? Comment la raifon & le goût ne feroient-ils pas révoltés de voir jufqu'à quel point on ravale BOSSUET aujourd'hui, non-seulement en le comparant à nos Orateurs & à nos Écrivains hydropiques, mais encore en le mettant au-deffous d'eux, & en lui refufant le mérite de n'avoir pu mêler à fes Difcours autant de philofophie, autant de morale publique, autant de grandes leçons pour ceux qui gouvernent les hom mes, ou pour ceux qui dirigent leurs opinions, que nos Écrivains philofophes? Il est vrai, & il faut en convenir de bonne foi, les grands Écrivains du Siécle de Louis XIV n'employoient pas le ton arrogant & emphatique de notre fiécle: ils n'embouchoient pas la trompette, pour annoncer à l'Univers qu'ils étoient les Sages de la Terre, & que les Rois

& les Peuples euffent à les écouter: ils n'attaquoient pas dans un délire, fi commun de nos jours, & l'Autel & le Trône mais la vérité éclairoit leur génie, la raifon guidoit leur plume, le goût faifoit le charme de leurs écrits. Ils manquoient heureusement de ce genre d'efprit, dont notre fiécle eft fi fier: ils n'étoient pas Philofophes, fuivant l'idée que nous attachons aujourd'hui à ce vain nom. Mais quels font les ouvrages d'à-préfent qui refpirent une Philofophie plus faine & plus pure, qui contiennent une morale publique. -plus analogue & plus proportionnée à l'efprit de tout bon Gouvernement qui renferment autant de grandes leçons pour ceux qui gouvernent les hommes, & plus propres à diriger & à fixer leurs opinions, que le DISCOURS fur l'Hiftoire univerfelle, & les divers Ecrits de Boffuet? Quel autre que l'immortel Auteur de Télémaque a défendu avec plus de fenfibilité & de force la caufe de

[ocr errors]

l'humanité, & donné de meilleures leçons de politique & de vertu ? Quelle cenfure plus vive, plus éloquente & plus vraie de nos moeurs, de nos ufages & de nos travers, que les caractères de la Bruyère ? Eft-il d'analyse plus parfaite du cœur humain, que les Maximes Ju Duc de la Rochefoucauld ? Quels hommes étoient plus faits pour inftruire les hommes, que les Bourdaloue, les Nicole, & les Maffillon? Quelle étrange idée la postérité aura-t-elle de notre fiécle, fi, après avoir elle-même appliqué fon fceau immortel fur les excellens écrits du Siécle de Louis XIV, elle lit dans les nôtres, fuppofé qu'ils parviennent jufqu'à elle, qu'ils ne pouvoient pas avoir d'effor, puifque leur fiécle n'en avoit point! Voyons donc fi le nôtre en a davantage, & s'il mérite en effet le beau titre de SIECLE DE LUMIÈRES, dont nous le décorons avec tant de confiance & d'enthousiasme. Les cendres de Racine étoient encore

brûlantes, quand CRÉBILLON, au com mencement du fiécle préfent, fe montra digne des faveurs de Melpomène. Il ne fe diffimula pas les dangers qu'il avoit à courir dans une carrière, où Corneille & Racine avoient remporté toutes les palmes de la gloire; & s'il en reftoit encore, combien n'étoit-il pas difficile de les trouver & de les cueillir! Tous les moyens d'intéreffer, d'attendrir, de remuer les paffions, paroiffoient épuifés; la terreur feule n'avoit pas encore été portée à fon comble. Infpiré par fon génie, Crébillon fe faifit de la coupe d'Atrée, & jete un trouble nouveau, mais terrible dans l'ame du spectateur. Electre, Rhadamiste & Zénobie, achevèrent de confirmer que Corneille & Racine avoient un fucceffeur; & que la fcène françoife pouvoit fe glorifier d'avoir auffi, comme le Théâtre d'Athènes, fon Eschyle, fon Sophocle & fon Euripide. Aucun Poëte tragique, quel qu'il foit, ne déplacera

jamais Crébillon du fommet du Parnaffe, où il eft affis à côté du Père de Cinna', & de l'Auteur d'Athalie. Vainement l'envie a-t-elle attendu qu'il ne fût plus, pour le traiter de barbare en vain cette injure a-t-elle été répétée mille & mille fois au fond des marais du Pinde, il fera toujours le Poëte le plus tragique de la France, le feul qui a fu faire ufage, après les Grecs, du plus grand reffort de la Tragédie, & qui l'a le premier employé. Il eft, à la vérité, peu correct dans son style; fa verfification eft fouvent âpre & dure; mais par combien de beautés fublimes ces défauts ne font-ils pas rachetés ? Quelle force, quelle vérité dans ses caractères ! Quelle fuite, & quelle éner gie dans fes idées! Quelle vivacité, quelle nobleffe dans fes penfées ! Qu'il eft terrible dans fes plans! Eft-il un pinceau plus mâle & plus vigoureux ? A travers fon coloris lugubre & fombre, fes tableaux étincellent de feux;

« AnteriorContinuar »