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étoit un fiécle de ténèbres : comme fi les principes fur le beau & fur le vrai pouvoient varier. On doit plaindre ceux qui s'égarent faute de lumières. On ne peut pas dire que les Orateurs qui fe font chargés de l'Éloge de Fontenelle, ne foient pas éclairés. Ils ont donné, dans d'autres fujets qu'ils ont traités, des preuves d'une fagacité peu commune, & d'un efprit accoutumé à penfer & à réfléchir. Pourquoi ces qualités, qu'on ne peut leur difputer fans injuftice, font-elles abfolument éclipfées dans l'Éloge qu'ils ont fait de Fontenelle? Il est aifé de réfoudre la queftion en deux mots: Fontenelle étoit moins un fujet d'éloge, que de critique. Il falloit le juger; fes Panégyristes l'ont bien fenti, en difant que c'étoit un jugement qu'on demandoit. Il eût été très-curieux, en effet, & très-piquant de rechercher, avec impartialité, à quoi tenoit l'efpèce de féduction, que cet Écrivain trop froid, pour être élo

quent, a exercée fur les efprits de fon temps; de reconnoître ce qui a pu l'écarter fi prodigieufement des modèles qu'il avoit fous les yeux; fi fa manière, ou fon originalité, eft un mérite, ou un défaut; jufqu'à quel point il a porté fon influence fur notre Littérature; & fi des connoiffances étendues, fans profondeur, une raison fage, mais fans élévation, un efprit fouple & fin, mais fans invention & fans feu, peuvent l'élever au rang des Écrivains du premier ordre ? On conviendra fans doute, que c'étoit la manière la plus intéreffante & la plus utile de juger Fontenelle c'eft ce qu'auroient dû faire les Écrivains qui ont difputé le prix. Mais comment abandonner une couronne, qu'une utile & judicieufe Critique leur eût fait perdre ? Au refte, la postérité, comme ils le prétendent, n'est point indécife fur Fontenelle ; & c'eft en vain qu'on a voulu le faire revivre: fes cendres font éteintes

pour toujours; il ne refte de lui que le fouvenir affligeant de la corruption du goût, qu'il a le premier introduite, & qui a, peu de temps après, entraîné celle des mœurs.

On eft donc forcé de convenir que ce SIÈCLE DE LUMIÈRES a commencé par le renversement de tous les principes. L'Auteur des Mondes profita, pour se faire un nom, des circonstances & du moment, où tous les Efprits étoient difpofés à l'ignorance & au faux goût. C'est ainfi que les Sénèque & les Lucain triomphèrent, après le beau Siècle d'Augufte. La révolution fut précédée de même du mépris des Anciens: on les oublia bientôt, & il ne fut plus poffible d'arrêter les ravages du Bel-Efprit. Cependant Fontenelle avoit trop peu de talents, en comparaifon de Sénèque & de Lucain, pour que fon influence fût marquée; mais il avoit élevé, il avoit formé un autre Sénèque, quant au Bel-Efprit feulement, & à l'ambition d'embraffer tous

les genres. Le Disciple, il eft vrai, éclipfa le maître pour toujours. VOLTAIRE, en effet, parut alors comme un phénomène extraordinaire, tel peut-être qu'on n'en verra jamais de pareil.La nature prodigue envers lui des dons les plus précieux & les plus brillants de l'efprit, l'avoit favorifé d'un goût exquis, trop fouvent altéré malheureusement par la paffion: plus fait pour plaire, que pour inftruire, il voltige d'objets en objets, avec une aifance, une légèreté qui feroient croire qu'il les poffède tous, qu'il les a longtemps médités & approfondis; mais fon fecret eft de ne montrer jamais qu'une fuperficie agréable & riante: habile à déguiser fes larcins, il fait les embellir d'un coloris enchanteur qui lui eft propre: fon ftyle clair, précis, facile étincelle d'efprit, & femé d'antithèses brillantes, furprend par des contraftes & des rapprochemens imprévus & ingénieux: il répand, fur tout ce qu'il écrit, un charme, qui empêche de remarquer

combien il eft frivole: ceux de fes Écrits

la décence & l'honnêteté peuvent que avouer, contiennent de bonnes chofes, & préfentent des beautés réelles: c'est un vrai féducteur, d'autant plus dangereux, qu'il abonde en défauts agréables.

La vaine & folle prétention du BelEfprit, eft de vouloir être univerfel. Il croit, comme la grenouille de la fable, qu'il fuffit de s'enfler pour égaler, pour furpaffer même les grands hommes dont il eft jaloux. Corneille, Racine, Crébillon avoient adopté chacun un genre particulier, conforme à leur génie. VOLTAIRE, plus préfomptueux, s'imagina pouvoir être à la fois auffi fublime que Corneille, auffi tendre que Racine, auffi terrible que Crébillon. Enivré du fuccès éclatant de fon Edipe, fon amour-propre n'eut plus de bornes; il fe crut dèslors affez de forces, pour l'emporter fur fes rivaux, & travailla de nouveau les fujets qu'ils avoient traités avant lui. Il faut cependant lui rendre une jus

tice:

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