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compofé tous fes ouvrages. Aucun n'a ce caractère de grandeur dont ils étoient fufceptibles; ce ne font que des morceaux détachés, placés chacun dans fon cadre particulier. On fent qu'il abufe de fa prodigieufe facilité, & que fon efprit est comme ces fources, qui, ne pouvant former de fleuves ou de rivières, fe répandent çà & là, & ne produifent, en ferpentant que de petitsruiffeaux, qui vont se perdre dans des fables arides.

De fes compofitions hiftoriques à fes compofitions romanefques, la nuance eft fi légère, que, fans les titres, on les confondroit enfemble; car dans cellesci c'eft la fable qu'il habille des couleurs de la vérité; dans les autres, c'eft la vérité qu'il habille des couleurs de la fable en forte qu'on peut dire, généralement parlant, qu'il n'a compofé que des Contes. Nous n'en exceptons point fon Siécle de Louis XIV, rempli de jugemens hazardés & de faits faux, qu'il

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ne foutient que par des oui-dire, & des témoignages de gens morts depuis longtemps, & qui ne peuvent par conféquent le démentir. Ses Romans de Zadig, de Memnon, du Monde comme il font des copies plus parfaites, que les origi naux qui lui ont fervi de modèles; mais auxquels il doit toutes les faillies, toutes les idées piquantes qui s'y trouvent. On voit, au contraire, aux obfcénités, aux froides plaifanteries, aux invraisemblan ces, aux fottifes de toute espèce, une imagination vagabonde, qu'il est le créateur de Candide, du Huron, de la Princeffe de Babylone.

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Comme Littérateur, fon goût natu rellement jufte & vrai, auroit pu lur fauver mille contradictions, dans lef quelles fa mauvaise foi, fa-jaloufie, fon humeur & fon ambition de paroître tout favoir, Font fait tomber. Il approuve & blâme, admet & rejete, eftime & méprise, fuivant qu'il eft bien ou mal difpofé d'après l'humeur, ou la paffion

qui l'agite. Il traite BOSSUET de Déclamateur, RACINE de Faifeur d'Idylles, tandis qu'il prodigue aux Nains de la Littérature les louanges les plus outrées. Il eft vrai que c'eft de leur vivant; car s'ils meurent, il les remet bientôt à feur place; témoins Helvétius, de Belloy & tant d'autres. Aucun Écrivain ne s'eft élevé avec plus de droits, de force & de raifon contre le mauvais goût, & perfonne ne l'a plus cajolé, plus flatté, plus autorisé dans fes réponses aux lettres d'une foule de mauvais auteurs profternés devant lui, & le mettant au-deffus des grands Hommes de tous les Siécles. Ne leur eût-il écrit que deux lignes, ils publioient auffitôt ces réponses trompeufes, qu'ils regardoient comme des paffeports pour arriver à l'Immortalité; mais que Voltaire favoit bien n'être que des ailes de cire, qui fondroient en chemin, & précipiteroient ceux qui feroient affez imprudents, affez téméraires, affez vains,

pour s'en fervir. C'eft ainfi qu'il a encouragé le mauvais goût.

Si l'on confidère Voltaire comme Philofophe; eh! qui l'eft-moins

que

lui? Tous fes écrits font pleins de variations & d'incertitude, de vérités & d'erreurs, de vues fages & d'idées folles, de maximes. honnêtes & de traits indécens, de peintures délicates & d'images groffières. Tantôt il vous éclaire, & tantôt il vous plonge dans les ténèbres. On diroit qu'il a un bon & un mauvais génie qui conduifent fa plume. Le vrai Philofophe a des principes fondés fur la vérité : il ne varie jamais : Voltaire n'a des que idées fans fuite & fans fyftême; il s'abandonne à l'impulfion de fon efprit inconftant & volage. Le Philofophie puife dans fes réflexions une tranquillité d'ame, une égalité d'efprit, un amour pour le bien, un zèle pour la vérité, une conduite pleine de fageffe & de prudence, que rien ne peut troubler, altérer, ni démentir Voltaire jouiffoit-il de ces

Heureufes difpofitions d'ame, d'efprit & de fentimens ? Il a été l'Oracle du Philofophifme & non de la Philofophie. Ses Compagnons d'armes l'ont déclaré leur Chef, & il méritoit de l'être; car fans. lui qu'étoient-ils? Que font-ils depuis qu'il n'eft plus? C'étoit lui qui faifoit la guerre pour eux, non qu'il eût le Courage de fe montrer à découvert (1), mais en fe traveftiffant fans ceffe, tan

(1) Jamais auteur n'a été plus hardi, & en mêmetemps n'a montré plus de pufillanimité. Il n'avoit acheté la Terre de Ferney, que parce que, craignant: toujours d'être arrêté, il pouvoit dans la minute fortir du Royaume, & fuir chez l'Étranger par la porte de fon jardin. Son nom de guerre, parmi les Philofophes, étoit Raton; celui de fes Lieutenans, Bertrand. Ces noms ne font pas auffi nobles que ceux de Solon, d'A naxagore, de Platon & de Socrate; mais en fe rappelant la fable de la Fontaine, ils défignent affez bien les fonctions particulières de chacun. Les Philofophes avoientils besoin d'un pamflet, bien assaisonné, bien groffier, bien cynique, contre quelque Défenseur de la Religion, ou quelqu'ennemi de la Philofophie nouvelle? Ils engageoient leur Général à le faire,& le pamflet paroissoit. Il leur difoit pourtant quelquefois: Mes chers Bertrands, vous me faites fi fouvent tirer les marons du feu, qu'à la fin vous me ferez griller les ongles

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