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pour faire paffer fon nom d'âge en âge, à la postérité la plus reculée. La Tragédie, jufqu'à lui, informe & fans art, telle que Thefpis la représentoit, n'étoit qu'un mélange groffier de fatire & de bouffonneries; & tantôt un récit férieux d'une action vraie ou feinte, rendu un feul Acteur, qui ne paroiffoit que lorfque le Chœur ceffoit de parler ou de chanter: mais ce n'étoit encore là qu'une ébauche bien imparfaite de la Tragédie. Efchyle, par l'infpiration de fon génie, ajoutant un fecond Acteur, diminuant le nombre de ceux dont le Choeur étoit formé, inventant l'ufage des mafques, habillant d'une robe traînante (1) fes Héros, auxquels il chauffa le cothurne; enfin conftruifant un Théâtre un peu élevé, jeta les fondemens de la Tragédie d'une manière affez folide, pour

(1) Post hunc personæ pallaque repertor honefte
Æfchylus & modicis inftravit pulpita tignis,
Et docuit magnumque loqui, nitique Cothurno.
HOR. Art. Poët, verf. 278 & feq.

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que les heureux changemens qu'elle fubit par la fuite, n'aient point empêché de lui attribuer la gloire d'en être l'inventeur; & c'eft le fentiment d'Ariftote (1) & de Quintilien (2).

Mais Efchyle ne conçut l'idée, ne traça le plan, n'éleva l'édifice du Théâtre tragique que fur les deffins de l'Iliade. Il fentit d'après cet admirable modèle, que la Tragédie, comme l'Épopée, devoit avoir une action fimple & déterminée, vraie ou vraisemblable, & dont la durée fût également déterminée: qu'il falloit que fa marche fût rapide, & que l'intérêt allât toujours croiffant: qu'elle ne devoit employer que le langage des paffions, & ne produire d'autre effet que la terreur ou la pitié: enfin qu'il étoit néceffaire qu'elle eût un but moral.

(1) Poët. d'Ariftote, Ch. IV, pag. 37, édit. de l'Abbé Batteux.

(2) Tragoedias primus in lucem Æfchylus protulit, fublimis & gravis & grandiloquus, fæpè ufque ad vitium, fed rudis in plerifque & incompofitus. QUINTIL. Lib. X, Cap. I, pag. 741.

C'eft ainfi que le génie d'Homère éclaira, féconda le génie du Poëte, auquel la véritable Tragédie doit fa naissance.

Efchyle avoit déja fourni plus des trois quarts de fa glorieufe carrière, courbé, pour ainfi dire, fous le poids de fes couronnes, lorfqu'un rival redoutable, dans la force encore de l'âge, fe préfenta fur l'arêne, difputa le prix & triompha. C'étoit Sophocle. Guerrier comme Eschyle, Général des armées Athéniennes fous Périclès, non content des lauriers que fes actions militaires lui avoient mérités, il voulut y ajouter ceux des jeux fcéniques. Il lui étoit facile de vaincre, l'art n'étant encore qu'ébauché, & fes refforts peu connus. Il s'agiffoit de le perfectionner; & c'est ce que fit Sophocle, en donnant à la Tragédie plus de régularité, de pompe & de majefté. Fidèle obfervateur des convenances théâtrales, il eft bien fupérieur à Efchyle, foit pour les plans & la conduite foit

, pour la diction. Le ftyle

de l'un & de l'autre porte l'empreinte de la profeffion guerrière qu'ils avoient tous deux exercée; mais Efchyle quelquefois fe laiffe trop emporter par fa fougueufe ivreffe, & fouvent eft outré; au lieu que Sophocle ne s'élève qu'à propos, & répand fur fa diction tout le charme, toute la douceur, toutes les grâces de celle d'Homère,

Sophocle, vainqueur d'Eschyle, ne tarda pas à trouver à fon tour dans Euripide, un concurrent digne, finon de le furpaffer, au moins de balancer fes fuccès, & de partager fa gloire. Euripide avoit d'abord embraffé l'étude de la Philofophie, & ne fongeoit guères à renoncer à cette étude paifible, lorfqu'effrayé du danger auquel Anaxagore, fon Maître, avoit été expofé, il se vit forcé d'abandonner tout-à-coup la Philofophie, & de s'ouvrir une route nouvelle que fon génie pût parcourir en sûreté.

Le Théâtre lui offroit celle qui étoit alors la plus brillante. Dès les premiers

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pas qu'il y fit, il étonna ses rivaux, & il s'établit, entre Sophocle & lui, une émulation une jaloufie même, dont quelquefois la fupériorité de talens a peine à fe défendre. Il n'ajouta rien à l'art; il fe contenta feulement de fuivre le chemin qui étoit tracé. Son style a moins de force & d'élévation que celui d'Efchyle & de Sophocle. Mais quoiqu'il se rapproche du langage ordinaire, il est toujours noble & fi tendre, qu'il femble que la compaffion foit le feul fentiment qu'il ait voulu inspirer. Il est aifé de juger de l'impreffion que faifoient fes vers fur ceux qui les entendoient réciter, par ce qui arriva lors de la défaite entière de l'armée Athénienne, par les Siciliens. Les vainqueurs abusant de la victoire, traitèrent avec la plus grande cruauté les vaincus : il n'épargnèrent que les foldats, qui favoient heureusement, par cœur, quelques morceaux d'Euripide (1). Ce fut même une

(1) Plut. in Niciâ, pag. 542, sub fin.

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