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phe n'a fervi qu'à nuire à l'Art. La Jeuneffe dont le goût n'eft pas encore formé, jalouse d'obtenir un pareil triomphe, éblouie par de grands mots, prenant l'obscurité pour de la profondeur, les écarts de l'imagination pour de véritables élans, les ornemens váins & inutiles, pour des beautés réelles & néceffaires, a choifi THOMAS pour modèle. On a voulu être penfeur comme lui : on s'eft étudié à ne parler qu'un jargon fcientifique; on a contracté une bouffiffure infupportable, & plus on s'eft écarté de la nature & de la raison, plus on a été encouragé & applaudi. Ce n'étoit pas là fans doute l'intention de l'Académie Françoife, lorfqu'elle a changé les fujets des Difcours qu'elle propofoit autrefois pour concourir aux prix. Il est vrai que ces Difcours académiques font fouvent froids; mais du moins le ftyle en eft toujours pur & correct. On n'y fait point étalage de bel-Efprit; mais y trouve du jugement & de la rai

on

fon; les idées y font préfentées, développées avec méthode & clarté : les penfées y font vraies & fimples, l'emphase, & une morgue froide & pédantefque n'y dominent pas, parce que nos Écrivains penfeurs ne jouiffoient pas encore de l'autorité qu'ils ont acquise depuis. Comme il n'étoit question que d'un point de morale à difcuter, le texte étoit ordinairement tiré de l'ÉcritureSainte, & il eût été difficile d'afficher une façon de penser libre & philofophique on étoit même obligé de terminer le Difcours par une Prière a DIEU; ce qui paroîtroit aujourd'hui un peu trop dévot pour un Siécle de Lumières. Peut-être a-t-on penfé que de pareils fujets n'étoient pas propres allumer le feu du génie, & à élever l'imagination. Pour nous, nous fommes bien éloignés de le croire: mais nous penfons que les Éloges hiftoriques qu'on a fubftitués à la place, ont perdu le goût, & qu'on ne pouvoit pas trouver

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un moyen plus efficace & plus prompt, pour achever de corrompre la langue, & pour précipiter la ruine de la véritable Éloquence.

Les Imitateurs font ordinairement un troupeau fervile, qui fuit aveuglément le modèle qu'il a choifi, & n'a pas même l'instinct d'en diftinguer les beautés & les défauts. Il est bien difficile d'ailleurs d'atteindre à une imitation parfaite. Quelques efforts que l'on faffe, on refte prefque toujours au-deffous de l'original. Si l'on n'a pas fon génie, fes pinceaux; fi l'on ne faifit pas fon efprit, on rifque d'outrer les beautés, qui alors n'en font plus, & les défauts, que l'on rend encore plus palpables. Thomas n'a jamais confülté la Nature: mais la bouffiffure & le gigantefque qui gâtent fes écrits, font du moins, en quelque forte, rachetés par un abondance d'idées fortes & impofantes, par une foule de pensées nobles & rapides, & par un fonds immenfe de diverfes & riches connoiffances,

Il en a abufé, comme on abufe des dons de la fortune, en étalant trop de luxe & de fafte, Ceux qui prétendent l'imiter, ont-ils les mêmes moyens? Il en eft du Citoyen de la République des Lettres, comme du Citoyen ordinaire, s'il veut faire parade d'un luxe au-deffus de fes facultés, il fait bientôt banqueLoute au bon fens & à la raifon.

Voyez ce que font devenus les finges de Fontenelle? Voyez ce que deviendra d'ALEMBERT? Non-feulement il a voulu mettre dans fes prétendus Éloges, l'efprit, la fineffe, les agrémens, que Fontenelle a répandus dans les fiens; mais il a voulu prendre encore le ton de Voltaire, & les rendre plus piquans, en les affaifonnant du fel de l'Épigramme, & ils ne font pleins que de bouffonneries & de farcafmes. Au ftyle fautillant, découfu, maniéré, fouvent burlefque dont ils font écrits, reconnoîton l'Auteur du fage Difcours (1) qu'on

(1) DIDEROT a eu la plus grande part à ce Dif

lit à la tête de l'Encyclopédie? C'est bien le cas de dire que pour éviter le ridicule, il faut que chacun fe renferme dans fon état. Ingrat envers la Géométrie qui l'a fait connoître, à laquelle il doit toute fa renommée, d'Alembert a voulu être plaifant & bel efprit, Littérateur & Philofophe. Ce dernier rôle lui convenoit mieux. On peut affurer même, fi l'on confulte fes écrits, qu'il l'a joué finement & modérément, ce qui lui a quelquefois attiré d'affez vifs reproches de la part du parti (1). Il

cours, dont le fonds & l'enchaînement des idées appartiennent au Chancelier BACON.

(1) D'ALEMBERT, en effet, a été modéré dans feg écrits: mais il favoit bien fe dédommager de cette contrainte. Il tenoit chez lui un Bureau d'afurance pour les Précepteurs, les Instituteurs, les Maîtres de toute espèce, pour les Femmes de chambre même & pour les Valets, qu'il diftribuoit dans toutes les bonnes maifons de la Cour & de la Ville, fouvent même fans en être requis. Il les envoyoit de fa part chez le Bourgeois, & les préfentoit lui-même chez l'homme en place & en crédit. C'est ainsi que fans fe compromettre, il a étendu & propagé la Doctrine du Philofophifme.

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