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génie de cet Écrivain, fur fon admirable éloquence, fur la beauté mâle & vigoureuse de fon ftyle, enfin fur la bonne foi qu'on croit reconnoître dans fes ouvrages: au lieu que le fanatifme des Sectateurs de Voltaire n'eft fondé que fur le clinquant du Bel-Efprit, fur les agrémens légers & frivoles de fon ftyle, & fur le cynifme effronté de fes écrits. Jean-Jacques eft un modèle de goût & de style, mais qu'il faut arracher des mains de la Jeuneffe, parce qu'il eft en même-temps un dangereux modèle de raisonnemens faux & captieux; qu'il égare à la fois & le cœur & l'efprit, par un chemin toujours jonché de fleurs. Quoiqu'il ait confervé à l'Éloquence toute fa force & toute fa beauté, il n'en eft pas moins le corrupteur par l'abus qu'il en a fait. Ainfi il doit être mis au rang des Écrivains les plus dangereux que ce Siécle philofophe a produits.

La manie du Bel-Efprit, qui caufa

chez les Grecs la ruine de la véritable

Eloquence, n'influa point fur la Poéfie, qui fe conferva pure depuis Homère jus qu'à Théocrite; tandis qu'à peine avoitelle été portée chez les Romains au plus haut degré de fplendeur, elle fuivit la chûte rapide de l'Éloquence. Les Muses Françoises n'ont pas été plus heureufes que les Mufes Latines. C'est précifément dans ce Siécle de lumières que notre Poéfie a vu fes grâces difparoître & fon éclat s'évanouir. Ce n'est plus de fentimens & d'images qu'elle se nourrit aujourd'hui : pâle & décolorée, à peine la diftingue-t-on de la plus foible profe: elle ne fe nourrit que d'emprunts, de fentences & de maximes: tous les genres fe confondent, s'altèrent & fe perdent : on ne rit plus, on ne pleure plus: au lieu de ces émotions délicieuses, de ces pleurs doux & involontaires que nous faifoit éprouver, & que nous arrachoit une heureuse & touchante fituation, ce font des fer

remens,

remens, des déchiremens de cœur in£upportables, dont on fort comme de ces rêves fuffoquans & pénibles, que caufent des fituations fouvent horribles & toujours forcées.

A quoi la Scène Françoise eft-elle en effet réduite aujourd'hui ? La Terreur & la Pitié en font bannies; mais la fombre HORREUR y régne. Il femble que les Poëtes prennent à tâche de dénaturer le genre tragique. Comme ils ignorent l'art de remuer les paffions, de toucher, d'attendrir & d'intéreffer, ils fe contentent de flétrir le cœur, de noircir l'imagination, de forcer les Spectateurs à détourner les yeux des objets atroces qu'ils offrent à leurs regards. Melpomène ne paroît plus que couverte des lambeaux dégoûtans de Shakespear. On diroit que les Poëtes, à l'envi, fe difputent entr'eux à qui noircira le plus la Scène. Incapables d'atteindre à la charmante & fublime fimplicité de Racine, ils n'ont que la

miférable reffource de franchir toutes les régles, de multiplier les coups de Théâtre, d'augmenter la pompe du Spectacle, de frapper les yeux, de laiffer. l'efprit vuide & le cœur dans une angoiffe infupportable. On n'a pas fenti, qu'en admettant ce genre barbare, on alloit changer les mœurs de la Nation. Comment les femmes, dont la douceur eft le partage, qui treffaillent à toute émotion, dont les fenfations font fi vives & les nerfs fi délicats, ont-elles pu s'accoutumer à toutes ces horreurs tragiques, qui ne font rachetées ni par la beauté des vers, ni par le charme du ftyle & la richeffe de l'expreffion, ni par la nobleffe & l'élévation des penfées ? Quelques froides fentences, des maximes audacieufes & hardies en font le feul mérite. Ce font là pourtant les productions monstrueuses que ce Siécle oppofe aux Cinna, aux Rodogune, aux Phèdre & aux Athalie. On n'a pas honte aujourd'hui de dire qu'on eft dé

vre,

goûté de la fimplicité de ces chefs-d'œuoù tout est développement & où le Poëte parle à l'ame plus qu'aux yeux (1). C'eft un de BELLOY, qui trouvant, à fon arrivée en France, le goût cor? rompu, vient des contrées du Nord, achever de le perdre, en introduifant fur la Scène, le genre le plus atroce (2), étayé des plus mauvais vers ! C'eft le froid Auteur de Spartacus (3), qui,

(1) Voyez VIE DE BELLOY, page 29, Tom. I, de fes Œuvres complettes, 1779.

(2) Gabrielle de Vergy. Les vers de Chapelain & de Pradon ne font rien au prix de ceux de Belloy. Cependant le malin Vieillard de Ferney lui écrivoit au sujet de Zelmire : « Vous aimez le ftyle de Racine, & vous » avez vos raisons pour cela.... Vous joignez à la beautě des vers, le mérite de l'action théâtrale ». La beauté des vers de Belloy! Oh! comme il fe moquoit! Je fuis que ce bon Vieillard pouffoit de rire, en écrivant sa lettre. De Belloy la rapporte avec confiance, tant l'amourpropre eft aveugle! comme un titre qui l'égale à Racine. Pour moi je ne reviens point de la beauté des vers de de Belloy. Voyez la Préface de ZELMIRE, pag. 196,

sûr

Tom. I..

(3) SAURIN, de l'Académie Françoife, Auteur de Beverlei, Drame imité de The Gamester, A Tragedy,

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