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monde; comme elle y paroît neuve ! Comme elle eft gauche & froide ! Que fon bavardage eft trivial, incorrect & commun! Avec quel air avantageux elle débite fes riens fpirituels & fon perfifflage de ruelle ? Elle ne connoît plus les hommes: fes portraits, fes caractères, les mœurs qu'elle s'avife de peindre, n'exiftent nulle part, ou font préfentés d'une manière fi vague, qu'ils n'intéreffent & ne regardent perfonne. Veut-elle être gaie & se mettre en goguettes (car il faut bien lui faire parler fon langage, puifqu'elle a oublié depuis long-temps celui que lur avoit appris Molière)? Toute décence

le 12 Janvier 1771. Il s'agit dans ce Drame d'un Fabricant ruiné, & d'un Lord attaqué de la confomption: le Lord' & le Fabricant fe rencontrent justement dans le moment où ils alloient fe noyer tous deux, &c. &c. Quel choix de fujet, & quelles mœurs affreufes à mettre fous les yeux! Ce Drame a fait fortune fur des Théâtres de Société, dont le goût fans doute étoit pour les Noyés. C'e pourtant ainsi que l'on corrompt, qu'on altère le caractère de notre Nation, en l'accoutumant à de pareilles Horreurs.

eft violée; elle ne refpecte ni for fexe, ni les Spectateurs; c'eft Momus ivre, qui raconte fes aventures de gar

nifon.

Ainfi, de quelque côté qu'on envifage la manière dont on traite aujourd'hui l'Art comique, on peut dire hardiment que nous avons entièrement perdu la manière de Plaute, de Térence & de Molière. Ce genre bâtard auquel ceux mêmes qui fe glorifient de l'avoir inventé, n'ont pu donner encore de nom, eft pourtant accueilli au Théâtre, quoique la lecture de ces Drames ne foit pas fupportable, tant ils font mal écrits. Un feul auroit fuffi, pour décrier encore davantage les temps d'ignorance & de barbarie dont ils nous rapprochent, s'il en eût alors exifté. Mais nos bons Aïeux, tout groffiers qu'ils étoient, n'ont pas été fi barbares qu'on le penfe, puifque l'on ne trouve chez eux aucune trace de ce mauvais genre; ce qui juftifie ce que nous avons

déja (1) dit des Dramaturges & des Auteurs des Mystères.

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Rien ne décèle mieux, en effet, la difette & la médiocrité ftérile du BelEsprit; rien ne marque plus la diftance infinie qui le fépare du Génie que toutes ces productions hermaphro-dites. Les fucceffeurs de Molière fi quelqu'un le peut-être, REGNARD & DESTOUCHES, quoique bien inférieurs à ce Comique immortel, ont confervé le ton de la bonne Comédie. Ce n'est pas que Deftouches, dans fon Philofophe marié, n'ait rendu le premier le mafque de Thalie un peu fombre & férieux mais il avoit trop de génie & de goût pour le faire larmoyant. PIRON, par fa Métromanie, chef-d'oeuvre admirable, qui feul feroit paffer fon nom à la postérité, quand il n'y auroit pas des droits inconteftables par plufieurs autres

ouvrages; GRESSET,

(1) Voyez ci-deffus, pag. 274.

par

le Méchant, fi fupérieurement écrit, fi chaudement dialogué, dont la plupart des vers ont paffé en proverbe, font les deux feuls Poëtes comiques, à mettre, après Molière, fur le même rang de Regnard & de Deftouches. Ce font-là les hommes qui honorent véritablement le fiécle qui les a vu naître; & non cette foule de Charlatans, prétendus Philofophes & beaux Efprits, qui, tout aveugles qu'ils font, s'imaginent être les flambeaux du monde..

Avant qu'elle éprouvât toutes ces convulfions, la Mufe comique ayant perdu de vue les grands caractères, ou plutôt reconnoiffant fon impuiffance dans l'art de les tracer & de les peindre, ne s'occupoit qu'à nouer & dénouer des intrigues mais elle s'étoit formé, d'après MARIVAUX fon Maître, un jargon auquel perfonne n'entendoit rien. Subtile Métaphyficienne, elle differtoit à perte de vue, elle alambiquoit le fentiment, décompofoit le cœur,

& pour être trop fpirituelle, finiffoit par être ennuyeufe. Tout ce Marivaudage n'eut qu'un temps; car le mauvais goût éprouve auffi quelquefois des revers; malheureusement ils ne font pas de durée. Au refte, il faut avoir beaucoup d'efprit pour imiter Marivaux. Il eft original dans fon genre: toujours affecté, toujours maniéré, il ne dit rien comme un autre : manque de force & de vigueur dans fes Comédies comme dans fes Romans, où il montre. une connoiffance profonde du cœur humain & de fes paffions, connoiffance qui lui auroit fait beaucoup plus d'honneur, s'il avoit pu s'exprimer avec plus. de fimplicité & d'une manière plus. conforme au goût & à la raifon. Mais indépendamment de fon mérite littéraire, ce qui doit le rendre plus recommandable aux yeux de la Poftérité, ce font fes mœurs douces & honnêtes, fon défintéreffement & fon indifférence pour les richeffes, fon atta

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