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ces fuperbes décorations qui s'élevoient autrefois à la voix de Servandoni. Il eft vrai que les fujets qu'on expofe aujourd'hui fur la Scène lyrique, font dignes tout au plus des Trétaux de la Foire, & par conféquent peu faits pour échauffer l'imagination du Décorateur. Mais combien l'Art n'y perd-t-il pas? Qu'il étoit impofant, quand, animé par la Féerie & la Mythologie, il déployoit toutes les richeffes de l'Architecture, fous les formes les plus belles & les plus élégantes? Quand il trompoit, étonnoit la vue par la plus favante perspective, & qu'il nous transportoit tout-à-coup dans le palais brillant des Dieux du paganifme? Le Spectateur le plus indifférent admiroit; mais l'Artiste fatisfait, enchanté, fentoit fes idées s'aggrandir & fon imagination s'allumer à la vue des magiques effets de l'Art, & prenoit des leçons du Génie. Les bons Artistes ne se forment que fur de bons modèles. On reconnoît l'école qui les a formés; &

l'œil

l'œil le moins exercé à comparer & à juger, voit bien que les Pouffin, les le Sueur, les le Brun ne fortent pas de l'École de Téniers. Or fi l'Art n'eft employé qu'à représenter des objets bruts & groffiers; s'il eft avili, dégradé par le goût pour les magots & les figures bizarres, que deviendra le talent de l'Artiste, dès qu'il fera forcé de le facrifier au caprice du fiécle? Il femble qu'on ait pris à tâche de confondre & de dénaturer tous les genres. On tranfporte aujourd'hui fur le Théâtre de l'Opéra tous les fujets qui appartiennent de droit aux Trétaux de Nicolet (1) & des Variétés amusantes: mais il faut avouer auffi que ces Poëmes prétendus lyriques, quoique mis en mufique par de grands Maîtres, ne valent pas fouvent pour les paroles, ceux que l'on chante aux Boulevards.

On doit tous ces changemens bizarres à l'introduction de la nouvelle Mufique

(1) Spectacles des Boulevards.

en France. Nous étions la feule Nation qui eût une Mufique qui lui fût propre. Ce font des Étrangers qui font venus nous dire que nous n'en avions point, & ce font des François, qui l'ont répété, qui l'ont écrit, foutenu, perfuadé. Il y a plus; ce font des Étrangers que nous avons accueillis, careffés, applaudis, qui, ajoutant l'infulte au mépris, fe font moqués publiquement de nous fur la Scène, en y faifant triompher leur Mu fique après avoir couvert d'un ridicule outré la Mufique Françoise, à laquelle Midas adjuge le prix (1). Eft-il poffible

(1) Voyez le Jugement de Midas, Opéra comique joué aux Italiens, dont les paroles font de Hell, Anglois, & la Mufique du célèbre M.Grétry. C'est une Allégorie aisée à deviner. Un Pâtre groffier dispute le prix du chant à Apollon, & fe met à fredonner de là Mufique Françoise de la plus mauvaise grâce, de la manière la plus ridicule, la plus traînante & la plus outrée, accompagnée de cadences qui ne finiffent point. Apollon à fon tour s'égofille pour faire valoir du mieux qu'il peut, les grâces & la légèreté de la Mufique nouvelle, & il s'en faut que l'air qu'il a choifi foit excellent. Tous les deux font jugés par Midas, qui couronne le Pâtre. Oreilles d'Ane auffi-tôt

que fur tous les Théâtres de la Nation, tout annonce un parti pris, pour anéantir jufqu'aux traces les plus légères de fon bon goût & même de fon caractère? Notre Langue, dit-on, eft ingrate pour la Mufique mais l'étoit-elle fur la Lyre des Lulli, des Rameau, des Deftouches, des Campra, & de tant d'autres qui l'ont fi heureusement employée, avant que des fredons étrangers euffent étouffé les favans & mélodieux accords de ces grands Maîtres? N'eft-il pas abfurde & ridicule que les fameux Compofiteurs qu'on a appelés à grands frais en France, qu'on a comblés de biens, tandis qu'on a laiffé languir dans la plus étroite médiocrité le célèbre RAMEAU, jusqu'à la fin de ses

de fortir de deffous la perruque de Midas, & François d'applaudir à tout rompre à ce sarcasme fanglant contre la nation. N'y avoit-il pas une manière plus modefte & plus honnête de nous faire fentir que nous n'étions que des fots d'avoir admiré les Lulli, les Deftouches, les Campra, les Rameau, & d'autres célèbres Compofiteurs François ?

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jours, fe foient hazardés à mettre en mufique une langue qu'ils n'entendent (1) ni ne parlent? N'a-t-on pas été obligé de leur apprendre la profodie par des fignes? Quelque habiles que foient ces Compofiteurs, peuvent-ils concevoir & faifir le fens, la délicateffe & toutes les fineffes dont notre Langue eft fufceptible? D'ailleurs n'eft-ce pas une contradiction frappante, que de regarder la Langue Françoise comme peu muficale, &, cependant de s'obstiner à la faire fervir à une Mufique, fous laquelle elle perd fes charmes & fa beauté, fon véritable accent & fon expreffion? Il est vrai qu'on répond tous les jours à ceux qui fe plaignent de la platitude des paroles enjolivées par la nouvelle Mufique. « Qu'importent les paroles, fi la Mufique » est belle? C'eft comme fi l'on difoit:

(1) Il eft certain que le Chevalier Gluck & M. Piccini ne favoient ni l'un ni l'autre la Langue Françoise, quand ils ont mis en Mufique des Opéras François,

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