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taires; attaquent & confondent les Orateurs corrompus qui les flattent découvrent les démarches les plus fecrettes de l'ennemi; déconcertent fes projets, & font trembler Philippę luimême, forcé d'avouer que toutes les armées, toutes les flottes de la Grèce entière conjurée contre lui, font moins rédoutables que l'éloquence de Démof thène.

Mais comment ce grand Orateur avoitil acquis cette fupériorité qui l'éleva fi fort au-deffus de fes rivaux, & qui, depuis lui jufqu'à nous, l'a laiffé fans égal? Il nous l'apprend lui-même : c'est aux dépens de fes veilles; & il avouoit qu'il étoit affligé, quand un ouvrier, plus matinal que lui, le devançoit au travail (1). Pour être plus recueilli, il avoit fait conftruire une retraite fouterraine, inacceffible aux rayons du jour, où il s'enfermoit quel

(1) Cui non funt auditæ Demofthenis Vigiliæ qui dolere fe aiebat, fi quando opificum antelucanâ victus effet induftriâ. CIC. Tufcul. 4, n. 19.

quefois des mois entiers, & là, loin des importuns & du bruit, il composoit, à

la lueur d'une fimple lampe, fes admirables harangues. Ainfi les moyens que ce Père de l'Éloquence employa, il nous les a laiffés, la vigilance, l'affiduité au travail, la retraite & l'étude; mais il ne nous a pas laiffé fon ame.

L'éloquence de Démosthène n'a rien que de mâle & d'auftère. Ce n'est pas cependant qu'il écarte les grâces, qu'il rejete les fleurs, qu'il néglige les ornemens; mais il faut qu'ils s'offrent naturellement, & conviennent parfaitement aux objets. On voit à la manière ferrée & concife dont il préfente les objets, à la beauté, à la nobleffe, à l'élévation de fon ftyle, qu'il avoit eu pour Maîtres, Thucydide & Platon. Ce qu'on doit admirer encore dans fes harangues, c'eft cet oubli total de fa perfonne. Jamais on n'y remarque le moindre retour fur luimême : nulle envie de briller; fon ame s'y déploie toute entière; on voit qu'il

n'eft occupé que du falut de fa Patrie, & pour me fervir de l'expreffion de l'illuftre Fénelon, qu'il la porte dans fon cœur.

Un talent fi fupérieur pouvoit bien quelquefois enorgueillir Démosthène, & on ne doit point être étonné de la fenfibilité qu'il témoigna, de fon aveu, au mot flatteur (1) d'une Porteufe d'eau, qui, le voyant paffer, difoit à sa voisine : Voistu bien; C'EST-LA CE DÉMOSTHÈNE. Quelle petiteffe! s'écrie Cicéron; & il ajoute auffi-tôt : mais quel grand Orateur! mais c'est qu'il n'avoit appris qu'à parler en public & bien peu à se parler intérieurement à lui-même. Comment Cicéron, qui n'a pas craint de traiter d'homme vain, Démofthène traiteroit-il aujourd'hui, nos

(1) Leviculus fanè nofter Demofthenes, qui illo fufurro delectari fe dicebat aquam ferentis mulierculæ, ut mos in Græciâ eft, infufurrantisque alteri: hic eft ille Demofthenes. Quid hoc levius? At quantus Orator! fed apud alios loqui videlicet didicerat, non multum ipfe fecum. Cic. Tufcul. 5, n. 36.

prétendus Orateurs, nos Beaux-Efprits à la mode, qui, non contens de se parler fans ceffe à eux-mêmes, s'empreffent de parler aux autres fans l'avoir appris, & font affez vains, pour avoir des prôneurs affidés, qu'ils prônent à leur tour; & pour composer & publier fou vent eux-mêmes, fans pudeur comme fans raifon, l'éloge de leurs propres écrits? Quel orgueil! mais auffi quels Écrivains! Du moins la foibleffe de Démosthène est bien pardonnable : celui qui avoit tant de droits à l'admiration publique pouvoit-il n'être pas flatté de s'entendre nommer par une femme du peuple, qui, dans ce peu de mots, C'eft-là ce Démosthène, exprimoit, en le faifant remarquer à fa voifine, ce fentiment de vénération & de plaifir dont on eft faifi à l'afpect d'un homme vraiement grand, tel que Démosthène, dont la haute renommée ne permettoit pas que le nom fût ignoré de perfonne? Il n'étoit pas cependant le

feul qui fe fût fait un nom célèbre.

Parmi le grand nombre d'excellens Orateurs qui brillèrent de fon temps, Efchine eft celui qui a joué le plus grand rôle, fi l'on en juge par le redoutable adverfaire qu'il avoit choifi. Émule & rival de Démosthène, il s'en falloit qu'il réunît à ses talens cette vertu févère, cette probité à toute épreuve, cette nobleffe de fentimens, cet amour pur & défintéreffé du bien public & de la patrie, & cette éloquence inimitable de fon rival. Il ofa néanmoins fe déclarer ouvertement fon ennemi: il l'attaqua avec toute la violence & l'acharnement où s'emporte volontiers un Avocat impudent, accoutumé à se servir de pareils moyens. Démosthène le terraffa avec les armes de la vérité. Efchine fuccomba, & l'exil fut la punition de fon accufation téméraire. Comme il alloit obéir à fon arrêt, & qu'il étoit prêt à fortir de la ville, Démosthène courut après lui, une bourfe à la main,

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