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contrainte de livrer fes éloquents défenfeurs, à la vengeance de ses tyrans; la Tribune aux harangues fermée; l'Académie & le Lycée déferts, abandonnés, ou livrés à de pitoyables Sophistes; le Théâtre détruit; ces Monuments superbes, merveilles de l'art & du génie, abattus, brisés, prefqu'entièrement anéantis; les Mufes éplorées, tremblantes, fans voix, fans asyle & fans appui; tel eft l'état déplorable, où, après tant de fiécles de gloire, Athènes fut réduite. Les Sciences & les Arts chaffés de leur patrie, fe réfugièrent chez les Romains, où leur regne ne fut pas moins brillant, moins chéri que chez les Grecs.

Occupée à jeter les fondemens de fa grandeur future, Rome n'avoit encore été que guerrière. Toujours les armes à la main, & méditant fans ceffe de nouvelles conquêtes, rien n'étoit plus étranger à fes mœurs dures & austères, que les Arts & les Sciences. Mais la

politique fage & éclairée, qui lui avoit fait une loi de traiter avec douceur & modération les vaincus ; d'admettre, fuivant les circonftances, fes Alliés & les Peuples qu'elle avoit foumis, au rang de fes Citoyens; d'adopter de leur Religion, de leurs Coutumes & de leurs Ufages, ce qu'elle y trouvoit d'utile & d'avantageux, préparoit infenfiblement une révolution favorable aux Lettres. Carthage enfin enfevelie fous fes ruines, laiffant Rome fans rivale, & maîtreffe du monde, on vit bientôt les Savans & les plus célèbres Artistes de tous les peuples qu'elle avoit conquis, accourir, lui demander un afyle, & fe mettre fous fa protection. La pauvreté commençoit à n'être plus la vertu des Romains. Les immenfes & riches dépouilles qu'ils avoient enlevées à Carthage, en Afie & dans la Macédoine, avoient introduit un luxe, jufqu'alors inconnu dans Rome. Il eft vrai qu'il n'y eut d'abord que les Temples d'où la fimplicité difparut. Mar

Lettres et DES MŒURS. 83 cellus fut le premier, qui, après la prise de Syracufe, les orna des fuperbes statues, & des tableaux les plus précieux, dont cette ville étoit remplie, fans qu'il fe permît de fe réserver une partie de ces dépouilles, pour en décorer fes jardins. L'admiration que ces nouveaux ornemens excitèrent, en infpira le goût, & ce luxe paffa bientôt des Temples, dans les maisons des particuliers. Tels furent chez les Romains, les commencemens des Arts agréables, dans lefquels ils ne tardèrent pas à égaler les Grecs. La rapidité de leurs progrès n'a rien d'étonnant: l'opulence tient en fes mains le fort des Arts de pur agrément & de luxe ; & quoique le plus fouvent elle juge de leur prix en aveugle, comme ils fervent à multiplier fes jouiffances, à étaler fon faste, à entretenir fes goûts, & à nourrir fon orgueil & fa vanité, il fuffit, pour les vivifier, qu'elle répande fur eux fes largeffes. D'ailleurs, comme les Romains étoient un peuple religieux,

lorfqu'ils virent leur puiffance affermie, & le tréfor public rempli de richeffes accumulées & furabondantes, ils en confacrèrent le premier ufage à élever des Temples à tous les Dieux qu'ils s'étoient choifis. Ils conftruifirent des édifices deftinés à la décoration & à l'embelliffement d'une ville, devenue la Capitale du monde, & qu'ils révéroient comme le fiége éternel (1) de leur Empire. Ainfi tout concourut à la fois à l'heureux & prompt développement du génie des Arts, tandis que les Lettres ne rencontrèrent que des obstacles dans leur marche lente & pénible.

Quoique le luxe eût déja depuis longtemps influé fur les mœurs, il n'avoit pas cependant opéré de changement dans l'éducation de la Jeuneffe Romaine. L'ancienne méthode de ne la former que dans l'art de la guerre, de l'endurcir à la fatigue & aux travaux, de l'entre

(1) On voit encore une quantité de Médailles, avec ces mots : ROMA AETERNA.

tenir dans des exercices continuels, fubfiftoit encore dans fa première vigueur. On en peut juger par ce qui arriva, lors qu'Athènes, pour terminer quelques affaires particulières qu'elle avoit avec la République, députa vers le Sénat, deux Philofophes célèbres, Carnéade & Diogène. Ces deux Députés, pendant le féjour qu'ils firent à Rome (1), y donnèrent quelques leçons de Philofophie, auxquelles les Romains coururent en foule. Carnéade, fur-tout, remplit bientôt la ville de fa renommée. Son éloquence avoit tant de charmes, qu'on quittoit tout pour l'entendre: on le regardoit comme un prodige; & il fut inspirer une telle ardeur de s'inf

truire , que les jeunes gens oubliant jufqu'à leurs plaisirs, fe livroient, avec une efpèce de fureur, à la paffion nouvelle qui les entraînoit vers l'étude. Caton, le Cenfeur, témoin de cette

() PLUT. in Carone, pag. 349..

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