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ardeur, & craignant que la gloire d'un vain favoir, ne détournât la jeuneffe de fes exercices militaires, & ne lui fît dédaigner la gloire des armes, fe fervit de toute l'autorité que lui donnoient fa charge & fon âge, pour preffer le Sénat d'ordonner le départ des deux Philofophes, qui reçurent en effet l'ordre de quitter Rome fur le champ.

Cet événement n'étoit pas d'un préfage heureux pour les Sciences. Néanmoins la difpofition dans laquelle les Députés Athéniens laifsèrent les efprits, annonçoit qu'il falloit tout efpérer du temps & des circonftances. Cet éloignement pour toute inftruction étrangère aux armes, tenoit à la conftitution primitive de la République. Un peuple qui commence, & ne peut s'aggrandir & fe faire refpecter que par fa valeur & par la force, n'a befoin que de Soldats & de Laboureurs; auffi étoit-ce à la charrue qu'on alloit chercher quelquefois les Généraux d'armée & les premiers

Magiftrats. Mais auffi-tôt que la République fut parvenue à ce haut point de confidération & de puiffance qui la rendirent fi redoutable, il étoit difficile qu'elle ne fe dégoûtât pas de la févérité de fes mœurs antiques. Elle ne connut d'abord d'autres fpectacles que les fêtes & les jeux inftitués en l'honneur des Dieux, la pompe des cérémonies religieufes, & les honneurs du triomphe décernés aux vainqueurs. Ces fpectacles, tout impofans, tout majestueux qu'ils étoient, fe donnoient rarement, & ne fuffifoient pas aux loifirs d'un peuple immenfe, qui, tranquille auprès de fes. foyers, jouiffoit dans l'abondance du

fruit de fes victoires. Il s'en établit donc infenfiblement de nouveaux, femblables à ceux qui firent les délices & la gloire d'Athènes.

Le grand nombre de Savans & d'Artiftes Grecs, qui vivoient au milieu du peuple Romain, l'avoient familiarifé

avec la langue de leur pays. On lifoit; on étudioit, on traduifoit leurs ouvrages, & Caton lui-même dans fa vieilleffe, revenu de la crainte qu'il avoit témoignée, lorfqu'il força le Sénat de renvoyer les Philofophes Athéniens faifoit de cette étude fes plus douces occupations. Malgré l'extrême rudeffe & la groffièreté de la langue Romaine de ces temps reculés, Livius Andronicus effaya de lui donner quelque harmonie, & une certaine cadence qui la rendit plus douce & plus agréable à l'oreille. C'est le pouvoir, en effet, de la Poéfie de polir, de perfectionner, d'embellir toutes les langues; mais quelques efforts qu'elle faffe pour s'élever, elle n'est pas exempte elle-même, dans fon berceau, des défauts de fon fiécle. Ce n'eft qu'à la longue qu'elle brife fes entraves, prend un effor fublime, & répand fes heureufes & brillantes influences fur le langage vulgaire. Ainfi L. Andronicus

rendit toujours un grand fervice à la langue, lorsqu'il entreprit de l'adoucir & de lui procurer plus de nobleffe. Il est le premier (1) qui ait fait jouer fur un Théâtre, les Pièces qu'il avoit imitées, ou entiérement copiées du Théâtre Grec. Les fragmens qui nous en restent, nous font connoître (2) l'ufage ancien de certains termes, & les formes ufitées du temps d'Andronicus; mais ils ne peuvent nous donner aucune idée de fon génie, ni de fon talent pour la Poéfie tragique ou épique. Cependant quoique le ftyle d'Andronicus fe fente de la barbarie de fon fiécle, ce Poëte n'en a pas moins le mérite d'être le créateur de la Tragédie Latine, & on peut lui appliquer ce que dir Cicéron,

(1) Atque hic Livius, qui primus fabulam, C. Clodio Caci filio & M. Tuditano confulibus, docuit, anno ipso antequam natus eft Ennius. CIC. de Clar. Orat. no 48. Ennius eft né vers l'an 15 de Rome, 239 ans avant l'Ere chrétienne.

(2) Voyez fragmenta veterum Poetarum Latin. pag. 1456 & 1457.

que rien n'eft inventé & perfectionné en même-temps (1).

Les Poëtes qui fuivirent L. Andronicus, furent Nevius, Poëte tragique & comique, & Auteur du Poëme de la guerre de Carthage, qui plaît à-peu-près, dit Cicéron, comme plairoit aujourd'hui (2) une ftatue de Myron (3); Ennius, doué d'un génie fertile, heureux & plein de feu, qui introduifit le premier l'ufage des vers héroïques & enrichit la langue de nouveaux mots; Accius & Pacuvius, diftingués & eftimés parmi les anciens Tragiques Latins, pour la folidité des penfées (4), la force des expreffions &

(1) Nihil eft enim fimul & inventum, & perfectum. Id. Ibid.

(2) Les Statues de Myron, Sculpteur d'Athènes, manquoient de vérité dans l'expreffion, ce qui n'empêchoit pas de les trouver belles.

(3) Tamen illius, quem in vatibus & Faunis enumerat Ennius, bellum Punicum, quafi Myronis, opus, delectat. Cic. de Clar. Orat. n° 19.

(4) Tragœdiæ Scriptores Accius atque Pacuvius clariffimi, gravitate fententiarum, verborum pondere, & autoritate perfonarum. QUINTIL. Inft. Orat. Lib. X, Cap. I, pag. 749.

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