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ÉDIFIANTES ET CURIEUSES,

ÉCRITES

PAR DES MISSIONNAIRES

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

MÉMOIRES DE LA CHINE.

LETTRE

Du père Parennin, missionnaire de la Compagnie de Jésus, au père ***, de la même Compagnie.

A Pekin, se 20 août 1724.

MON RÉVÉREND PÈRE,

La paix de N. S.

Vous vous attendez sans doute que je vous expose ici l'état de désolation où cette mission, autrefois si florissante, vient d'être réduite. Mais comme d'autres se sont déjà chargés du soin de vous en instruire, je me bornerai à vous entretenir d'une seule famille de Pekin, plus illustre par la foi de Jésus-Christ qu'elle a généreusement professée, que par le sang royal des Tartares Mant-cheoux, dont elle est issue. Quoique je n'aie pas contribué à la conversion de ces princes, et qu'après Dieu ils en soient redevables T. XI.

I

aux soins du père Joseph Suarez, jésuite portugais, qui leur a conféré le baptême, et qui a toujours gouverné leur conscience, j'ai eu cependant avec eux de si étroites liaisons, et je les ai entretenus si souvent, que je suis en état de vous en rendre un compte très-exact et très-sincère.

Mais d'abord il est bon de vous prévenir sur l'idée que vous devez vous former des princes du sang de la Chine. Vous vous tromperiez fort, si vous les compariez à ceux d'Europe, et surtout de la France, où la suite glorieuse de tant de rois leurs ancêtres les élève de beaucoup au-dessus des personnes même les plus distinguées de l'état : leur petit nombre leur attire encore plus d'attention et de respect, et ce respect s'augmente dans l'esprit des peuples, à proportion qu'ils approchent de plus près du trône. Il n'en est pas ainsi à la Chine. Les princes du sang dont je vais parler, touchent presque à leur origine; ils ne vont qu'à cinq générations; leur nombre néanmoins s'est tellement multiplié en si peu de temps, qu'on en compte aujourd'hui plus de deux mille. Cette multitude, en les éloignant du trône, les avilit, surtout ceux qui, d'ailleurs, se trouvant dépourvus de titres et d'emplois, ne peuvent figurer d'une manière conforme à leur naissance: c'est ce qui met une grande différence entre les princes du même sang, et ce qui doit vous faire juger quels étoient les obstacles qu'avoient à surmonter ceux dont je parle, qui ont embrassé le christianisme.

Je dois encore vous faire observer qu'il y a à Pekin un tribunal uniquement établi pour y traiter des affaires des princes: on ne veut pas qu'ils soient confondus avec le commun du peuple. Les présidens et les premiers officiers de ce tribunal sont des princes titrés. Les officiers subalternes sont choisis parmi les mandarins ordinaires : c'est à ceux-ci de dresser les actes de procédure, et de faire les autres écritures

nécessaires. C'est aussi dans les registres de ce tribunal que sont inscrits tous les enfans de la famille royale, à mesure qu'ils naissent; qu'on marque les titres et les dignités dont ils sont honorés; qu'on les juge, et qu'on les punit s'ils le méritent.

Autre observation à faire; c'est que tous les regulo, outre leur femme légitime, en ont ordinairement trois autres, auxquelles l'Empereur donne des titres, et dont les noms s'inscrivent dans le tribunal des princes. Les enfans qui en naissent, ont leur rang après les enfans légitimes, et sont plus considérés que ceux qui naissent des simples concubines, que les princes peuvent avoir en aussi grand nombre qu'ils le souhaitent.

L'Empereur qui règne aujourd'hui n'est que le troisième de ceux qui ont régné depuis quatre-vingtun ans sur toute la Chine et la Tartarie; mais il est le cinquième, si on remonte jusqu'à son bisaïeul et à son trisaïeul. Celui-ci, après avoir subjugué son propre pays, conquit encore toute la Tartarie orientale, le royaume de Corée, la province de Leao-tong au-delà de la grande muraille, et établit sa cour dans la capitale appelée Chin-yam par les Chinois, et Moukeden par les Tartares Mant-cheoux. On lui donna dès-lors le nom de Tait-sou: c'est un nom commun à tous les conquérans, qui sont les premiers auteurs d'une dynastie; et comme ses frères, qui étoient en grand nombre, avoient beaucoup contribué par leur valeur à la conquête de tant de pays, il fit les uns Tsin - vam, les autres Kiun-vam et Peyle: il a plu aux Européens d'appeler ces sortes de dignités du nom de Regulo du premier, du second et du troisième ordre. Il fut réglé alors que parmi les enfans de ces regulo, on en choisiroit toujours un pour succéder à son père dans la même dignité.

Outre ces trois dignités, ce même Empereur en

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