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Lettre à l'Auteur du Journal Economique, au fujet de la differtation fur le commerce de M. le Marquis Belloni.

M.

Dans votre Journal de Mars 1751, Lettre fur vous avez employé une Differta- le Commertion fur le Commerce par le Marquis ce. Belloni. Je l'ai lûe plufieurs fois comme un morceau excellent; c'est un précis de ce qu'il y a eu de mieux dit par nos Politiques modernes fur cette matière, il contient des confeils aux Souverains pour diriger le commerce, les manufactures & la circulation des efpéces.

Mais n'y auroit-il pas à examiner auparavant s'il convient de diriger toutes ces chofes avec autant de foin & d'inquiétude qu'on le propofe, ou de les laiffer aller d'ellesmêmes, en ne faifant que les proteger? Combien d'oeuvres générales & particulières s'accompliffent & fe perfectionnent par la liberté; chaque

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être travaille en droit foi; l'honneur Lettre fur & le profit menent chaque homme le Commer- en particulier, & il en résulte un

ce.

grand tout qui ne vient jamais par une direction générale. Si au contraire le gouvernement y veille trop & s'en inquiete, fi des loix trop étendues & d'un trop grand détail viennent à troubler les travaux particuliers, vous effrayez par des peines (fouvent mal infligées) ou recompenfant par des prix ( mal adjugés) vous mettez l'intrigue à la place de l'émulation. Que de chofes vont encore paffablement aujourd'hui par la feule raison qu'elles ont échappé jufqu'à préfent à une prétendue Police légiflative qui retarde les progrès au lieu de les avancer.

po

Voyez dans les Républiques comment le commerce a profperé jufques au temps où d'autres causes litiques & étrangeres au commerce, (comme les guerres, les dettes nationales & l'oppreffion) font venues troubler fa profperité : c'eft que les Républiques ont une ame toujours faine, toujours active, qui eft la liberté, loin de rien ôter à la puiffance

.

C

publique, elle fait fa force; celle-ci

réprime le mal & fait regner la ju- Lettre fur ftice diftributive; le mal ôté, le bien le Commerparoît & s'éleve: oui, le retranchement des obftacles eft tout ce qu'il faut

au commerce.

Il ne demande à la puiffance publique que de bons Juges, la puninition du monopole, une égale protection à tous les citoyens, des monnoyes invariables, des chemins & des canaux ; par-delà ces articles les autres foins font vicieux; & ce vice eft d'autant plus pernicieux à l'Etat, qu'il vient d'un zéle mal entendu : ce zéle a des partisans, des officiers en charge & en autorité, il faut des fiécles pour en défabufer.

ce.

Le commerce eft la fçience des particuliers, mais la direction générale du commerce ne peut être une science, car elle eft impoffible. Si nous recherchons fouvent des fçiences au-deffus de notre portée, comme le fyftême général du monde l'infini, l'union de l'efprit & de la matière, on en eft quitte pour un vain emploi du temps; mais en politique ces fauffes préfomptions jet

tent loin dans des carrières funeftes Lettre fur de ruine & de malheurs pour les Sule Commer-jets. Que l'on fe perfuade que pour

de.

connoître ce commerce de Directior, il ne fuffiroit pas de poffeder les intérêts de nation à nation, de provinces à provinces, de communautés à communautés, mais qu'il faudroit encore fçavoir tous ceux de particuliers à particuliers, la qualité & la valeur de chaque marchandise. Qui fe tromperoit fur le moindre article pourroit errer fur le refte, dirigeroit mal, & feroit de mauvaifes loix. Qui prétendra donc à cette capacité integrale & univerfelle? Non datur fcientia cependant les Directeurs de commerce fe l'arrogent; & s'ils fe l'attribuent à tort, ou s'ils confultent moins leurs lumières que leurs caprices, il n'en réfulte que des loix defgêne & des faveurs injuftes. Quelquefois le Confeil de commerce d'une nation ou d'une province ne voit les intérêts communs que par les yeux de quelques députés. Quelquefois ceux-ci perfuadent ce qu'ils veulent pour leurs villes, & fou vent pour eux-mêmes, au détri

E

i

ment des autres villes & des autres

citoyens : il eft quelquefois à crain- Lettre fur
dre qu'on ne prenne pour principe, le Commer
d'accroître ce qui eft grand, d'a-*•
d'ace.
néantir ce qui eft moindre, & de
bannir l'égalité.

L'on conte que M. Colbert af-
fembla plufieurs Députés du com-
merce chez lui pour leur demander
ce qu'il pourroit faire pour le com-
merce; le plus raifonnable & le
moins flatteur d'entre eux, lui dit
ce feul mot: Laiffez-nous faire. A-t-on
jamais affez réflechi fur le grand fens
de ce mot? Ceci n'en eft qu'un effai
de commentaire.

Appliquez-le à tout ce qui fe fait pour le commerce, & qui le détruit principalement dans les monarchies, examinez en les effets: vous trouverez d'abord très-peu de fruits & de fuccès à tous ces foins de contrainte, d'inspection & de réglemens ; les Républiques ont plus avancé leur commerce prefque fans loix & fans gêne, qu'ailleurs fous les plus grands Miniftres; l'inftinct de l'abeille y fait plus que le genie des plus grands politiques; le capital d'un Etat ré

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