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de goût, & qui ne connoiffoit pas moins bien le gracieux & l'aimable, que le folide & le vrai des Anciens. Car les Anciens, encore une fois, font nos maîtres : & quand nous croirions valoir mieux qu'eux à d'autres égards, du moins eft-il certain qu'en matiere d'Eloquence, nous leur cédons.

Pour lire leurs harangues avec plus de plaifir, & même avec plus de fruit, fouvenons-nous de ce qu'enseigne Denys (8) d'Halicarnaffe, que l'Elocution d'un Orateur eft intimement liée avec fon Action, & qu'il faut par conféquent examiner, non-feulement de quelle maniere fa phrase eft conçue, mais auffi de quel ton elle a dû être prononcée. Peu s'en faut, dit-il, que Démosthène, quand vous " le lifez, ne vous crie à haute “ voix: Prenez ici un ton familier, "

(8) Περί Δημοσθένης δεινότητος. Edition de Francfort, 1586. Tome II. p. 196.

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là un ton d'autorité, ici foyez 35 vif & rapide, là modérez-vous; ici faites une pause, là ne laissez ,, point fentir qu'on paffe d'une idée à une autre ; prenez ici le ton du mépris, là celui de la ,, pitié; ici témoignez de l'effroi, là de l'indignation. Que fi quelqu'un eft fans entrailles, infenfible, ftupide, moins homme que rocher: qu'il fache, conclut Denys d'Halicarnaffe, Démosthène n'eft pas que fait pour lui.

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On peut, au refte, fur les Philippiques feules de Démosthène, juger de fon mérite. Mais qui ne connoîtroit de Cicéron que fes Catilinaires, feroit bien éloigné de le connoître parfaitement. Quoiqu'elles lui faffent honneur, il faut convenir que ce n'eft pourtant pas où les richeffes de cet admirable génie font étalées avec le plus de profufion. Une affaire auffi vive, & qui devoit être auffi brusque

ment menée

que celle de Catilina,

ne permettoit pas de ces longs difcours, où l'Eloquence peut fe déployer à fon gré, fans pécher contre la prudence, qui eft toujours la premiere loi. Pour trouver Cicéron tout entier, il faut le chercher dans fes Verrines, dans fes Oraifons pour Cluentius, pour Mu, réna, pour Milon, pour Célius. J'allois en nommer d'autres, & peut-être les nommer toutes; car il n'y en a point qui n'ait des grâces particulieres, amenées par le fujet, ou par les circonstances: & fi le fouverain mérite d'un Orateur eft d'exceller tout à la fois dans tous les genres, Cicéron n'a point à craindre de rivaux,

Que n'avons-nous la traduction qu'il avoit faite de l'Oraifon pour Ctéfiphon! Rien, fans doute, ne pourroit mieux nous faire voir fi la langue Latine avoit de plus grandes reffources que la nôtre,

pour bien rendre les beautés de la Greque. Aucun écrivain moderne, je l'avoue, n'eft capable de nous remplacer la latinité de Cicéron: mais fi quelqu'un l'a pu jufqu'à un certain point, c'eft le R. P. de Jouvency, à qui nous n'avons, ce me femble, personne à comparer depuis la renaiffance des Lettres, que Maffée & Muret, On fera donc bien charmé de trouver ici fa Traduction de la premiere Philippique, dont il me donna une copie à Rome en 1713. Jufqu'à préfent je ne m'étois pas permis de la publier, parce qu'ayant entendu dire qu'on penfoit à rassembler ses ouvrages de Rhétorique, j'avois cru que celui-ci paroîtroit avec les autres. Mais un Recœuil qui fe fait attendre depuis 30 ans, pourroit bien ne jamais venir; & il n'eft pas jufte que je retienne plus long-temps un fi précieux dépôt, qui appartient de plein droit au Public.

A la fuite de ce Latin, je donnerai les remarques du même auteur fur le François de M. de Tourreil. Peut-être achèveront-elles de prouver, que fi je m'élève contre le goût d'un homme d'Efprit, & d'un favant homme, qui a fourni la carriere où je n'entre qu'après lui, ce n'eft point dans la vue d'exalter mon travail, en cherchant à déprimer le fien. Puisje ne pas favoir qu'en ce genre il y a cent manieres de faire mnal, & que par conféquent les fautes d'autrui ne décident pas en ma faveur? Toute vanité à part, je me porte à cenfurer M. de Tourreil par un autre motif; & le voici. Que divers particuliers écrivent aujour d'hui d'une maniere guindée, entortillée, fans netteté, fans jufteffe : qu'au vrai & au naturel, ils préfèrent le faux- & l'affecté; il est clair que de pareils exemples ne tirent pas à conféquence. Mais

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