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Pour moi, PERES (9) CONSCRITS, je me fens porté à la clémence. D'un autre côté auffi, nos périls étant fi grands, je ne dois point mollir; & moi-même je me trouve déja coupable de négli gence & de lâcheté. Une armée ennemie campe dans les détroits de l'Etrurie; le nombre des rebelles augmente tous les jours; leur Général eft dans l'enceinte de nos murs; il vient dans le Sénat même affronter nos regards; à toute heure, & jufques dans notre sein, il forme de nouveaux projets contre nous. Que dans l'inftant je vous arrête, CATILINA, que je vous faffe périr tout ce qu'il y a de bons citoyens me reprocheront, je crois, d'avoir été trop lent: & aucun d'eux, d'être trop févere.

Mais ce qui devoit avoir été fait il y a long-temps, j'ai mes raifons pour le différer encore. J'attends qu'il n'y ait pas d'homme affez méchant, affez corrompu,

affez femblable à vous, pour trou

(9) Plufieurs de nos bons écrivains ont déja employé ce mot, Peres confcrits. J'avoue qu'il ne s'entend pas trop en françois mais fans nous embarraffer de l'étymologie, qui n'eft pas même bien certaine parmi les auteurs latins, il nous fuffit ici de savoir que c'est ainsi qu'on appeloit les Sénateurs.

ver que votre mort ne foit pas juste. Tant que vous aurez donc un partisan, vous vivrez : & vous vivrez, comme vous faites, affiégé de fortes & nombreufes troupes, par qui je préviendrai le moindre de vos attentats: il y aura comme il y en a eu jufqu'à présent, des yeux & des oreilles, à qui, fans que vous puiffiez vous en douter, rien n'échappera de toutes vos démarches.

Quel efpoir, CATILINA, vous flatteroit encore, puifque la nuit même ne peut avec fes ténebres nous cacher vos affemblées criminelles : puifque la voix de votre Conjuration a percé les murs où vous aviez cru la renfermer : puifque tout fe découvre, tout éclate? Renoncez, croyez-moi, à vos deffeins. Que ces idées de meurtres & d'incendies vous fortent de l'efprit. On vous enveloppe de toutes parts: vos projets nous font plus clairs que le jour : je vais ici vous en faire le détail.

Vous fouvenez-vous de m'avoir entendu dire le vingt & un d'Octobre en plein Sénat, que le vingt-fept précisément, votre fatellite Mallius, le miniftre de votre fureur, fe montreroit les armes à la main? Avois-je de faux avis, non

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feulement d'un attentat fi grand, fi énorme, fi incroyable : mais mais, ce qui eft bien plus merveilleux du jour arrêté ? Je dis encore dans le Sénat que les principaux de la République devoient être maffacrés le vingt huit du même mois. Ce jour-là en effet, beaucoup de Sénateurs, & des plus illuftres, fortirent de Rome, moins pour fe dérober à vos poignards, que pour déconcerter vos complots. Mais, confolé de leur retraite, pourvu, difiez-vous, que moi qui étois refté, je fuffe égorgé : ne fûtes-vous pas, ce jour-là même, tellement investi de troupes, que ma vigilance fit avorter vos deffeins? Et quand vous comptiez de furprendre Prénefte la nuit du premier de Novembre, ne trouvâtes-vous pas que je vous avois prévenu, & que rien ne manquoit à la fûreté de cette Colonie? Tout ce que vous faites, tout ce que vous projerez, tout ce que vous avez dans l'ame, je l'entends, je le vois.

Avouez-nous enfin, où paffâtes-vous la nuit d'avant-hier? Vous allez voir que fi le deffein de perdre Rome vous ôte le fommeil, l'envie de la fauver me permet encore moins de dormir. Je vous dis, & ce n'est point yous parler à mots Couverts }

couverts, que la nuit d'avant-hier vous fûtes chez (1) Lecca: que là fe rendirent plufieurs de vos complices..... Oferiez-vous le nier? Que ne répondezvous? Je vous en convaincrai, fi vous le niez car je vois dans le Sénat, des gens qui étoient de cette affemblée.

Où fommes-nous, ô Dieux immortels? Quelle ville habitons nous ? Qu'estce que notre République ? Parmi nous, PERES CONSCRITS, oui dans ce lieu augufte, le plus faint de l'univers, il y a des gens qui ont confpiré votre mort & la mienne, la ruine de Rome, & par conféquent celle du monde entier ! Je les vois, moi Conful; je prends leur avis fur les affaires préfentes; & au-lieu que je devois répandre leur fang, je ne flétris pas même encore leur nom.

Vous avez donc été cette nuit-là chez Lecca: vous y avez, CATILINA, partagé l'Italie en divers cantons: affigné à

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(1) Il y a ici dans le Texte, inter falca rios comme qui diroit, dans le quartier, dans la rue des fourbilleurs. C'est aujourd'hui une chofe peu importante, que de favoir où la maifon de Lecca étoit fituée. Mais il eft bon de favoir, Sallufte nous l'apprend, que Lecca étoit Sénateur,

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chacun des conjurés fon pofte: choifi ceux qui refteroient ici, & ceux qui vous fuivroient marqué les quartiers de Rome, où l'on mettroit le feu. Vous avez dit que ce qui retardoit votre départ, c'eft qu'on ne s'étoit pas défait encore de moi. Et là-deffus il s'eft trouvé deux Chevaliers Romains, qui, pour vous ti rer de cet embarras, vous ont promis que cette même nuit-là, un peu avant le jour, ils viendroient me poignarder dans mon lit.

A peine étiez-vous féparés que tout me fut rapporté. Je renforçai la garde de ma maison. Et quand parurent ceux qui venoient de votre part me faluer le matin, je leur fis refufer l'entrée. C'étoient à point nommé ceux qu'on m'avoit dit. J'avois même inftruit du coup qu'ils méditoient , plufieurs perfonnes d'un rang diftingué.

Ainfi, CATILINA, fuivez votre plan, Partez enfin, les portes de Rome vous font ouvertes, partez. Déja l'armée de Mallius eft dans l'impatience de pofféder fon Général. Faites-vous accompagner de tous vos partifans; au moins du plus grand nombre; purgez-en Rome. Je me verrai tranquille, quand nos murs

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