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SECONDE

CATILINAIRE
Prononcée devant le Peuple,
le 9 Novembre 690.

Vous n'avez plus, ROMAINS, au

milieu de vous, cet audacieux, ce furieux Catilina, qui ne refpiroit que le crime, qui tramoit la ruine de la Patrie, qui menaçoit de mettre tout à feu & à fang. Je lui ai tenu un difcours, qu'il a regardé, ou comme un commandement de partir, ou comme une permiffion de fe retirer, ou comme (1) nos derniers

(1) On prétend que c'étoit l'ufage d'accompa gner jufqu'aux portes de Rome un citoyen qui alloit en exil; & c'est ici ce que la phrase latine paroît fignifier. Il y a dans la fuivante quatre mots prefque fynonymes, abiit, excef fit, evafit, erupit, dont la verfion littérale ne pourroit avoir ni la même vivacité, ni le même agrément. Voilà le cas où il faut qu'un Traduc teur s'applique cette importante regle d'Horace, & qua defperat tractata nitefcere poffe, relinquit,

adieux. Il eft parti enfin, il a pris la fuite. Vous ne renfermez plus dans l'enceinte de vos murs, le monftre qui travailloit à les abattre. Voilà l'unique Chef de cette guerre inteftine, vaincu fans bruit, fans réfiftance. On n'aura plus à redouter ce poignard, qui nous pourfuivoit au Champ de Mars, fur la place, dans le Sénat, dans l'intérieur même de nos maifons. Hors de Rome, Catilina eft hors d'état de nuire. Il n'eft plus qu'un ennemi déclaré, contre qui, fans que perfonne s'y oppofe, nous avons droit d'en venir à la voie des armes. Pour le dérouter, pour le dompter pleinement, il n'a fallu que le forcer à lever l'étendart de fon brigandage.

Quelle penfez-vous qu'ait été fa douleur, de quitter Rome fans l'avoir réduite en cendres; d'y laiffer encore des citoyens, fans les avoir paffés au fil de l'épée; de voir que nous lui avons arraché le fer d'entre les mains, avant qu'il l'ait teint de no. tre fang?

Toutes les entreprises font anéanties, toutes les espérances confondues: & fans doute que fes regards fe tournent fouvent vers la proie qu'il a manquée; vers Rome qu'il fe flattoit d'engloutir, mais

que

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que je crois bien charmée d'avois jeté hors de fes entrailles un fi dangereux poifon.

tous,

Que fi pourtant il fe trouve des citoyens zélés, tels qu'ils auroient dû être qui jugent que j'aye eu tort de ne pas arrêter Catilina, & que mal à propos je triomphe ici de fon évasion: fachez, ROMAINS, que ce n'eft point ma faute, mais celle des conjonctures où je me voyois. Oui, il faloit depuis long-temps, je l'avoue, lui avoir fait fubir les plus rigoureux fupplices; & je fais que l'exemple de nos ancêtres, que le devoir de ma charge, que le bien public l'auroit exigé de moi. Mais combien vous figurez-vous qu'il y avoit de gens qui n'ajoûtoient pas foi à mon rapport? Combien, qui qui, pour n'être point affez éclairés, n'en fentoient pas les conféquences? Combien, qui cherchoient encore à défendre l'accufé? Combien, qui, scélérats eux-mêmes, tâchoient de le fervir? Je lui aurois cependant ôté la vie, & il y a long-temps au hafard de voir ma conduite blâmée, au hafard même d'y périr, fi j'avois cru que fa mort vous eût mis en fûreté. Mais quelque jufte qu'elle fût; si

L

je l'avois ordonnée avant que fon crime fût notoire, j'allois par-là foulever contre moi une infinité de perfonnes qui m'auroient mis hors d'état de poursuivre fes complices. J'ai donc voulu amener les chofes au point que Catilina étant reconnu incontestablement pour ennemi, vous puffiez ouvertement le combattre.

Or jugez, ROMAINS, fi je le trouve bien à craindre dehors, puifque c'eft pour moi une peine qu'il ne foit pas forti mieux accompagné. Plût aux Dieux qu'il eût emmené avec lui toute fa fuite! Car que nous a-t-il emmené? Un Tongillus, à qui dès l'enfance il s'étoit (2) proftitué. Un Publicius, un Munatius dont les dettes, contractées au cabaret, n'euffent pu caufer de mouvement dans l'Etat. Mais quels hommes nous a-t-il laiffés? Et qui ne feroit effrayé de leurs dettes, de leur crédit, de leurs allian-'

(2) Pour entendre ainfi • quem amare in prætexta calumnia cœperat, il faut regarder le mot calumnia comme étant de trop dans cette phrafe. C'est en effet l'un des partis que Muret propofe; mais en avouant qu'il n'y a rien de certain à dire là-deffus. J'ai rapporté dans le Cicéron de M. le Dauphin, les autres conjectures des Critiques, qui ont cherché à éclaircir ce paffage.

ces? J'ai le dernier mépris pour une armée, où il n'y aura que vieillards réduits au défefpoir, que payfans conduits par un efprit de libertinage, que diffipateurs, que banqueroutiers, à qui, je ne dis pas feulement la lueur de nos armes, mais un fimple édit du Préteur feroit prendre la fuite. Tiendront-ils, & contre nos légions Gauloifes, & contre les milices commandées par Métellus, foit dans le Picentin, foit dans la contrée (3) des Gaulois; & contre les recrues que nous faifons tous les jours? Mais ceux que je crains, ce font ces hommes parfumés, & couverts (4) de pourpre, que je vois à toute heure voltiger dans nos Places, affiéger l'entrée du Sénat, paroître même dans cette augufte affemblée. Je fouhaiterois que Catilina les eût dans fon Camp : & jufqu'à ce qu'ils y foient, ce n'est pas au

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(3) Ager Gallicus, aujourd'hui la Lombardie mot qui m'a paru trop récent, pour entrer dans une traduction, où il faut, autant que cela fe peut, conferver les noms de l'ancienne Géographie.

(4) Il n'y avoit guère que les Sénateurs & les Chevaliers, à qui la pourpre fût permife, mais avec des différences, où il n'est ceffaire que j'entre ici.

pas né

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