Imágenes de páginas
PDF
EPUB

tilina font évanouies. Je prévoyois bien, en le chaffant de Rome, que je n'aurois guère à redouter, lui abfent, ni l'affoupiffement d'un Lentulus, ni la pefanteur d'un Caffius, ni la bouillante étourderie d'un Céthégus. Il n'y avoit à craindre que Catilina, mais feulement, tant qu'il feroit dans l'enceinte de nos murs. Il étoit inf truit de tout, il avoit accès par-tout. Il pou voit, il ofoit aborder, tenter, folliciter qui bon lui fembloit. Il avoit l'art de diriger un complot, affez d'éloquence pour fédui. re, un bras pour exécuter. Il favoit, entre fes confidents, diftinguer à quoi chacun devoit être employé mais ne fe contentant pas d'avoir donné fes ordres, il vouloit tout voir, mettre la main à tout. Actif, vigilant, infatigable, ne craignant ni froid, ni faim, ni foif.

Je l'avoue, ROMAINS, fi je n'avois pas éloigné un homme fi remuant, fi déterminé, fi audacieux, fi rusé, fi appliqué à concerter fes projets, fi attentif à les fuivre, j'aurois eu peine à diffiper la tempête qui vous menaçoit. Il n'eût pas, fans doute, remis aux Saturnales la ruine de la Répu blique il ne l'eût pas annoncée fi longtemps auparavant : il n'eût pas rifqué des

lettres écrites de fa main, & cachetées de fon cachet, témoins irréprochables de fon crime. Au-lieu qu'en fon abfence tout cela s'eft fait: mais fi bien que jamais vol domeftique ne fut plus évidemment, plus incontestablement découvert, que l'a été ce prodigieux attentat. J'avois eu beau me précautionner, comme j'ai fait, contre un tel ennemi: s'il fût demeuré à Rome jufqu'à ce jour, nous aurions été forcés d'en venir aux mains, pour ne rien dire de pis; & certainement nous n'aurions pu, tandis qu'il auroit été au milieu de nous, pourvoir à notre fûreté avec tant de loifir, de filence, & de repos.

Mais, ROMAINS, ce n'eft point à moi, c'eft à la puiffance & à la fageffe des Dieux immortels, qu'il faut attribuer la conduite que j'ai tenue. On fent bien effectivement, que dans une conjoncture fidélicate, la fageffe humaine n'étoit guère capable d'amener de fi grands fuccès: & d'ailleurs les Dieux nous ont affiftés d'une maniere fi marquée, que nous avons pu en quelque façon les voir de nos yeux. Car, pour ne rien dire ici des feux nocturnes, qui ont embrâfé le Ciel vers l'Occident; pour ne rien dire des foudres, des tremblements de

terre, ni de tant d'autres prodiges arrivés fous mon confulat, & par où il fembloit que les Dieux nous annonçoient ce que nous éprouvons; il y a un fait encore plus fingulier, & qui ne doit pas être paffé fous

filence.

Vous n'avez pas oublié, fans doute, que fous le Confulat de Cotta & de Torquatus, les tours du Capitole furent frappées du tonnerre; les fimulacres des Dieux, déplacés; les ftatues de nos Anciens, renversées; l'airain où étoient gravées nos loix, fondu. Et même la foudre n'épargna pas cette ftatue dorée de Romulus votre fondateur, où vous vous fouvenez qu'il étoit dans l'attitude d'un enfant, qui fait effort pour atteindre aux mamelles d'une louve. On appela de toute l'Etrurie des Arufpices, qui dirent que ces préfages annonçoient des maffacres, des incendies, le renversement de nos lois, une guerre civile & domeftique, la chûte prochaine de Rome & de l'Empire à moins que les Dieux immortels, appaifés par toute forte de moyens, ne vouluffent en quel que maniere changer (2) l'ordre du Def

(2) Prefque tous les Anciens regardoient ce

tin. Sur leurs réponses on célébra durant dix jours des Jeux folennels, & l'on n'oublia rien de tout ce qui parut propre à calmer la colère des Dieux. Ils ajouterent qu'il falloit ériger une plus grande ftatue à Jupiter, l'exhauffer, & au-lieu qu'on avoit mis l'autre du côté de l'Occident, tourner celle-ci vers l'Orient. Que fi cette ftatue, qui eft celle que vous voyez, regardoit le foleil levant, la place publique, & le palais, ils efpéroient que les deffeins formés contre l'Etat, feroient découverts, & viendroient à la connoiffance du Sénat & du Peuple Romain.

qu'ils appeloient le Deftin, comme inflexible, & l'effet de fes prétendus arrangements, comme inévitable. Ils lui foumettoient même leurs Dieux. Mais ne croyons pas que Cicéron ait donné dans une opinion, qui détruiroit entiérement la liberté de l'homme, & d'où il s'enfuivroit que l'homme, foit qu'il fît le bien, foit qu'il fit le mal, ne feroit que l'inftrument aveugle, dont une Puiffance abfolue fe ferviroit, ou plutôt fe joueroit à fon gré. Il nous eft refté de Cicéron une partie de fon Ouvrage de Fato, par où l'on peut voir qu'il embraffoit le fentiment des Académiciens, ennemis jurés des Stoïciens, qui mettoient cette pernicieuse erreur du Fatum à la tête de leurs dogmes fa

voris.

Dès-lors cet ouvrage fut ordonné par les Confuls mais on y a travaillé fi lentement & fous les derniers Confuls, & de mon temps, que la statue n'eft pofée que d'aujourd'hui.

on

Qui feroit donc affez ennemi de la vérité, affez téméraire, affez infenfé pour dire, que tout ce que nous voyons, mais particuliérement cette Ville, n'eft pas gouverné par la fageffe & par la puiffance des Dieux? Car enfin, quand ces Arufpices nous prédifoient des maffacres, des incendies, la ruine de l'Etat caufée par d'exécrables citoyens, trouvoit alors le crime trop affreux pour y ajouter foi: & vous le voyez, non-feulement médité, mais prefque accompli. Hé comment ne pas reconnoître ici la fenfible protection de Jupiter, fi l'on fait réflexion, que ce matin, à l'heure même qu'on pofoit cette ftatue, les Conjurés, avec leurs dénonciateurs, paffoient fur la Place, pour aller par mes ordres au temple de la Concorde; & que la ftatue ayant été pofée, & tournée vers le Sénat & de votre côté, à l'inftant nous avons eu des preuves inconteftables de tout ce qu'ils tramoientè

« AnteriorContinuar »