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Mais de commander que ces villes s'en chargent, il me paroît que cela eft dur; & fi l'on ne fait que les en prier, elles s'y rendront difficilement. Ordonnez pourtant ce qu'il yous plaira. Je m'y conformerai, & je trouverai, du moins je l'efpere, des gens qui tiendront à honneur d'exécuter ce que vous aurez cru néceffaire pour le falut public.

Céfar ajoûte que chaque ville répondra fous de grieves peines, des prifonniers à elle confiés : il les condamne à une captivité horrible: il veut, & c'étoit une précaution à prendre contre de fi grands criminels, que jamais on ne puiffe demander leur grâce, ni au Sénat, ni au Peuple: il leur ravit jufqu'à l'efpérance, feule confolation des miférables: il ordonne la confifcation de leurs biens: il ne leur laiffe que la vie. Sans doute de peur qu'en la leur ôtant, ce ne fût mettre fin par un tourment feul, à tous leurs maux, & d'efprit, & de corps. Auffi nos Anciens, pour effrayer les méchants, ont ils enfeigné que dans les enfers il fe retrouve d'autres tourmens: & cela parce qu'ils comprenoient que pour qui n'auroit pas ces autres fupplices à craindre, la mort toute

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feule ne feroit pas un objet de terreur.

A ne confulter que mon intérêt particulier, je dois fouhaiter, PERES CONSCRITS, que vous fuiviez l'opinion de Céfar, parce que Céfar, étant de ceux que l'on croit portés pour le peuple, j'aurai peut-être moins de contradictions à craindre, quand je propoferai un avis, dont on faura qu'il eft l'auteur. Je ne fais fi l'avis contraire ne me jette pas dans de plus grands embarras. Quoi qu'il en foit, le bien public doit l'emporter fur mon intérêt perfonnel.

Au refte, l'opinion de Céfar eft digne certainement d'un citoyen tel que lui, dans qui fe réuniffent le mérite & la naiffance c'eft un gage qu'il donne à la République de fon éternel attachement par-là nous avons vu quelle différence il y avoit entre un flatteur de la multitude, & un homme vraiment populaire, vraiment ami du bien public.

Mais parmi ceux qui veulent paffer pour populaires, je m'apperçois qu'il nous en manque ici un, qui s'eft abfenté, fans doute, pour ne point se trouver dans l'occafion de condamner des citoyens Romains à la mort. Avant-hier cependant, fon avis fut qu'on devoit les

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mettre en prifon, & rendre en mon hon. neur, de folennelles actions de grâces aux Dieux. Hier encore il demanda que les dénonciateurs fuflent magnifiquement récompenfés. Or c'eft affez faire entendre comment il penfe fur ce fujet.

Pour Céfar, il fait très-bien que la loi Sempronia eft faite en faveur des citoyens Romains; mais que tout homme qui fe déclare contre la patrie, perd abfolument la qualité de citoyen; & qu'enfin cette loi n'eut pas lieu à l'égard même de fon auteur. Il ne croit pas non plus, qu'on puiffe, fur des largeffes outrées, & fur de folles profufions, regarder Lentulus comme ami du peuple, tandis qu'on lui voit de fi horribles. deffeins contre l'Etat. Ainfi quoique très-humain, & très-doux, il ne laiffe pas de le condamner à finir fes jours dans une obfcure prifon : il défend que jamais, dans la vue de plaire au peuple, on propofe d'adoucir fes peines : & afin que la pauvreté mette le comble à fa mifere, il ordonne la confiscation de fes biens.

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Que vous embraffiez donc l'opinion de Céfar, je me verrai accompagné d'un homme cher au peuple Romain, & qui

m'en fera plus volontiers écouter. Que vous fuiviez, au contraire, le fentiment de Silanus, il me fera aifé de faire voir que c'est au fond le parti le plus doux, & qu'en cela ni vous, ni moi ne fommes trop féveres.

Mais quel excès de févérité à craindre, dans le cas d'un crime fi énorme? J'en juge par l'impreffion qu'il fait fur moi. Car enfin, fi je fais ici paroître un peu de chaleur, je protefte que ce qui m'anime, c'eft un pur mouvement de pitié. Peut-on être plus porté que je le fuis à la douceur ? Mais je me repré fente cette fuperbe ville, l'ornement de l'univers, & l'appui de toutes les nations, en proie à un fubit embrâfement. Je m'imagine voir dans toutes nos rues, des tas de citoyens maffacrés, & fans fépulture. Je me mets devant les yeux un Céthégus, dont la fureur fe baigne dans votre fang. Je me figure Lentulus le fceptre à la main, felon la deftinée dont il fe vantoit; Gabinius honoré de la pourpre; Catilina entrant dans Rome à la tête d'une armée; les meres pouffant des cris lamentables; les filles, les enfants prenant la fuite; les Veftales expofées à l'infolence du foldat. J'en fré

mis: & plus ces horreurs doivent exciter notre compaffion, plus mon zele s'allume contre des fcélérats, qui ont prétendu nous réduire à de fi affreufes extrémités.

Quoi, fi un esclave avoit brûlé la maifon, & poignardé la femme & les enfants de fon maître: diroit-on de fon maître, lorfqu'il le punit avec la derniere rigueur, que c'eft le plus cruel de tous les hommes; ou que c'eft un cœur fenfible & plein de pitié? Pour moi, je le croirois de bronze, s'il ne cherchoit pas à noyer une partie de fa douleur dans le fang de fon esclave.

A l'égard donc des fcélérats, qui ont voulu nous égorger, qui ont voulu maf facrer nos femmes & nos enfants, mettre le feu à toutes nos maisons, détruire Rome de fond en comble, livrer cet Empire à des Allobroges, & les établir fur les ruines, fur les cendres de cette ville; la févérité fera voir que nous fommes touchés de compaffion; & il paroîtroit, fi nous étions moins vifs fur ce point, qu'il y a de la cruauté à être fi peu fenfibles aux malheurs extrêmes de la Patrie. Traiterons-nous de fanguinaire & d'inhumain, le beau-frere (7) même de Len

(7) L. Julius Céfar. Il eft nommé dans mon

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