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fuppofe le Différentiel, qui a de plus grandes difficultés, & jufqu'à présent infurmontables, & qui par là occupe aujourd'hui les plus grands Geometres, & eft devenu l'objet de leur ambition; mais il avoit préferé une entreprise dont le Public devoit tirer une inftruction plus générale, & plus neceffaire, & le zele de la Geometrie l'avoit emporté fur l'interêt de fa gloire. Cependant je fuis témoin qu'il ne pouvoit s'empêcher de regretter le Calcul Integral.

Cet Ouvrage étoit presque fini, lors qu'au commencement de 1704. il fut attaqué d'une Fiévre qui ne paroiffoit d'abord aucunement dangereufe, mais comme on vit qu'elle réfiftoit à tous les différens Remedes qu'on employoit, on commença à craindre, & le Malade n'attendit pas un plus grand péril pour fonger à la mort. Il s'y dif pofa d'une maniere très-édifiante, & enfin il tomba dans une Apoplexie, dont il mourut le lendemain 2. Février, âgé de 43. ans.

Quelques-uns ont attribué fa mort aux excès qu'il avoit faits dans les Mathematiques; & ce qui pourroit le

confirmer, j'ai fçû de lui-même que fouvent des matinées qu'il avoit deftinées à cette étude, étoient devenuës des journées entieres fans qu'il s'en apperçût. Il avoit voulu y renoncer par le foin de fa fanté, mais il n'avoit jamais pú foutenir cette privation plus de quatre jours, De plus, il fera affés naturel de croire qu'il avoit dû faire de grands efforts d'efprit, quand on fongera à quel point il étoit parvenu à l'â– ge de 43. ans, & combien de tems dans une vie fi courte avoit été perdu pour les Mathematiques. Il avoit fervi, il étoit d'une naiffance qui l'engageoit à un grand nombre de devoirs; il avoit une famille, des foins domeftiques, un bien très-confiderable à conduire, & par conféquent beaucoup d'affaires ; il étoit dans le commerce du monde, & il y vivoit à peu près comme ceux dont cette occupation oifive eft la feule occupation; il n'étoit pas même ennemi des plaifirs, voilà bien des distractions; & quelque rare talent qu'on lui fuppofe pour les Mathematiques, il eft impoffible qu'une prodigieufe application n'ait fuppléé au peu de tems. Cependant il n'a jamais paru que l'étude ait

१९, alteré fa fanté, il avoit l'air de la meilleure & de la plus ferme conftitution qu'on puiffe defirer. Il n'étoit nullement fombre ni rêvcur; au contraire, affès porté à la joye, & il fembloit n'avoir payé par rien ce grand génie mathematique.

On fentoit dans fes difcours les plus ordinaires la jufteffe, la folidité, en un mot, la Geometrie de fon efprit; il étoit d'un commerce facile, & d'une probité parfaite, ouvert & fincere, convenant de ce qu'il étoit, parce qu'il l'étoit, & n'en tirant nul avantage, véritable modeftie d'un grand homme; prompt à déclarer qu'il ignoroit, & à recevoir des inftructions, même en matiere de Geometrie, s'il lui étoit poffible d'en recevoir; nullement jaloux,' non par la connoiffance de fa fuperiorité, mais par fon équité naturelle; car fans cette équité, ceux qui fe croyent, & qui font même les plus fuperieurs aux autres, font encore jaloux.

Il avoit épousé Maric-Charlotte de Romilley de la Chefnelaye, Demoifelle d'une ancienne nobleffe de Bretagne, & dont il a eu de grands biens. Leur union a été jufqu'au point qu'il lui

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a fait part de fon génie pour les Mathematiques. Il en a laiffe un Fils & trois Filles.

ELO GE

DE MONSIEUR

BERNOULLI

J

ACQUES BERNOULLI nâquit à Bafle le 27. Decembre 1654. Il étoit Fils de Nicolas Bernoulli encore vivant, qui a des Charges confiderables dans fa Republique. Un des Freres de celui dont nous parlons, eft encore plus élevé en dignité que fon Pere.

M. Bernoulli reçut l'éducation ordinaire de fon tems; on le deftinoit à être Miniftre, & on lui apprit du Latin, du Grec, de la Philofophie Scholaftique, nulle Geometric; mais dès qu'il eut vû par hazard des Figures Geometriques, il en fentit le charme fi peu fenfible pour la plupart des Ef prits. A peine avoit-il quelque Livre de Mathematique, encore n'en pou

voit-il jouir qu'à la dérobée, à plus forte raison il n'avoit pas de Maître, mais fon goût, joint à un grand talent, fut fon Précepteur. Il alla même jufqu'à l'Aftronomie, & comme il avoit toujours à vaincre l'oppofition de fon Pere qui avoit d'autres vûës fur lui, il exprima fa fituation par une Devise où il repréfentoit Phaeton conduifant le Char du Soleil, avec des mots Latins qui fignifioient, Je suis parmi les Aftres malgré mon Pere.

Il n'avoit que 18. ans, & n'étoit prefque encore Mathematicien que par fa violente inclination pour les Mathematiques, lorfqu'il réfolut ce Problême Chronologique affés difficile, où les années du Cycle Solaire, du Nombre d'Or, & de l'Indiction étant données, il s'agit de trouver l'année de la Periode Julienne.

A 22. ans il fe mit à voyager. Etant à Geneve, il apprit à écrire à une Fille qui avoit perdu la vûë deux mois après fa naiffance, & il imagina pour cela un moyen nouveau, parce qu'il avoit reconnu & par raifonnement & par expérience l'inutilité de celui que Cardan a propofé. A Bordeaux, il fit des Ta

Tome V.

I

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