roit irremiffiblement condamné aux Galeres: Les Cordes & les Cables de Venife font renommez pour leur bonté; & l'on n'en fait point ailleurs qui les vaillent: Mais je meperfuade que la façon de les filer ne contribuë pas moins à leur perfection, que la qualité du chanvre dont on fe fert. On y pratique le contraire de ce que l'on fait dans les autres païs; car celuy qui tourne, marche en reculant avec un roüet de bois attaché à sa ceinture, & celuy qui file eft affis; de forte que travaillant à fon aife & commodément, il fait fans doute un fil beaucoup plus parfait, dont depend abfolument la bonté des cordages. La Corderie eft la plus belle qu'on puiffe voir, elle eft couverte & d'une longueur prodigieufe; dans fa largeur elle eft feparée en trois par deux rangs de pilliers qui foûtiennent de châque cofté une Gallerie de bois, laquelle fert d'un vafte Magazin pour le chanvre que tout le païs eft obligé de livrer à 1 Arcenal pour un prix fixé par les Magiftrats. Les Bâtimens qui fe font dans l'Arcenal de Venife, & particulierement les Galeres, font d'une bonté fingulie re, non feulement à caufe de leur conftruction & de leurs proportions, qui les rendent plus legeres à la Mer, comme elles font auffi plus petites que celles de France; mais encore pour leur bonté extraordinaire, qui les fait durer trois fois autant que celles qu'on bâtit ailleurs. L'habileté des Ouvriers de l'Arcenal donne aux Galeres de Venife leur premier avantage; mais laqualité du bois qu'on employe à les conftruire, eft la principale caufe de leur durée. La bonté du bois dont on fe fert, vient fur tout de ce qu'on n'en met point en œuvre dans l'Arcenal, qu'il n'ait efté, au moins dix ans dans l'eau falée, des grands. quarrés, dont j'ay parlé, où il yen a toûjours une quantité fuffifante, châque piece eftant marquée du jour qu'elle a efté mife au fond de l'eau; où le bois fe fixe, pour ainfi dire, & fe durcit enfuite fi fort, lors qu'il eft à l'air, qu'il ne se tourmente plus, aprés qu'il eft mis en œavre. L'Arcenal de Venife fe gouverne comme une petite Republique, on fait bonne garde à la porte, & les Ouvriers,conduits par des Directeurs,travaillent continuellement aux Manufactures de tou tes les chofes qui font neceffaires aux Ar- Tous les Ouvriers font immediate- Cet Officier eft le Pilote de ce magni H fique bâtiment & tous les Artifans de l'Arcenal en compofent la Chiourme. Comme la Republique n'a point de fujets qui luy foient plus affectionnés que ces gens-là, elle se fie d'autant plus facilement à eux, que l'Admiral,par une formalitétoute finguliere,s'oblige, fous peine de la vie, de ramener le Bucentaure, fans fe laiffer furprendre à la tempefte ; c'est pourquoy dans la moindre apparence d'un temps douteux, il ne paffe guére au delà des bouches du Lido, ou bien il fait remettre la ceremonie à un plus beau jour. Il y a encore dans l'Arcenal un Intendant des machines militaires, des Fonderies, & de toutes les inventions mechaniques, qui peuvent fervir à la Guerre, ou au nettoyement des Lagunes ; & comme on en invente fouvent des nouvelles, elles font foûmifes à l'examen de cet homme, qui eft un habile Mathematicien, qui fait voir plufieurs modeles qui ne font pas moins curieux, que la machine pour nettoyer&pour reduire à la derniere jufteffe le calibre des Canons:il y en a une autre pour les élever facilement; & une balance d'une jufteffe extraordinaire pour pefer les plus groffes pieces. La Republique n'entretient ordinairement que cinq cens Ouvriers dans l'Arcenal pendant la paix ; mais en temps de guerre elle les augmente jufques à deux mille; & pour attacher davantage ces Artifans au fervice du Prince, on les entretient en tout temps, & l'on donne aux enfans des Maiftres une mediocre paye dés qu'ils font en âge de pouvoir rendre les moindres fervices, comme de défaire de la vieille corde pour en refiler le chanvre; & à mefure qu'ils deviennent plus forts, on la leur augmente à proportion: de forte qu'eftant ainfi accoûtumés de Pere en Fils à fervir dans les mefmes profeffions, non feulement ils s'y rendent tres-habiles; mais encore ils deviennent tres-affectionnés à la Republique, laquelle les recompenfe fuivant leur merite, qui eft le feul moyen par où ils parviennent à commander aux autres. J Des Gondoles. E ne pense pas que l'induftrie humaine puiffe rien ajoûter à la perfection des Gondoles, dont on fe fert à Venife, |