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contre nous-mêmes, fans nous faire des fcrupules fur des chofes qu'on nous déclare n'être point des pechez. En un mot, il faut renoncer à nos propres lumieres, & nous affurer fur celles de ceux que nous avons fujet de croire être plus éclairez que nous ne fommes.

Le plus grand mal de ces malades c'eft qu'il leur eft très-difficile de s'affujettir aux remedes qu'on leur propofe. Ils ont une pente prefque infurmontable à fe croire eux-mêmes; & ils haïffent affez leur repos pour s'opiniâtrer contre ceux qui tâchent de le leur procurer. Nous fommes tous dans la difpofition d'avouer les maladies corporelles, de les reconnoître telles qu'elles font. Il eft 'rare que des malades prétendent mieux connoître leur mal qu'un médecin habile qui les voit; & on n'a point encore vû d'aveugle qui affure voir plus clair, que ceux qui le conduifent. Mais pour les maladies fpirituelles, il arrive fouvent que nous avons peine à croire que notre ame en foit attaquée, ou au moins qu'elles foient telles qu'on nous les découvre. Nous ne nous perfuadons pas aifément que nous fommes interieure

ment fourds & aveugles. Chacun croit fe connoître affez, pour difcerner les maux de fon propre cœur ; & il eft très difficile de nous faire connoître ceux que nous ne voyons point par nous-mêmes.

IX.

On fe trouble fouvent davantage pour de certaines imperfections humiliantes, que pour des pechez.

Combien nuit à ceux qui font fujets aux troubles la perfuafion qu'ils ont de fe bien connoiftre.

I L faut remarquer qu'encore que le peché foit le plus grand defordre où les hommes puiffent tomber, ce n'eft pourtant pas celui dont ils fe troublent le plus, ni dont il foit plus difficile de les convaincre; parce que ce n'eft pas celui qui eft le plus oppofé à l'orgueil humain. Cela eft fi vrai, que nous avouons avec moins de peine les pechez pour lefquels le monde n'a pas tant de mépris, quel

que énormes qu'ils foient, que de certains défauts qui font paroître notre peu de jugement, la foibleffe de notre efprit, ou une ignorance groffiere. De là vient que nous réfiftons fi for ́tement à ceux qui ne nous excufent de peché, qu'en fuppofant que nous avons de certaines foibleffes que notre orgueil ne veut point reconnoître, parce que nous les trouvons plus humiliantes que le peché même. Il y a long-temps que S. Bernard a remarqué, que parmi les religieux les plus reglez, il y en a qui fe laiffent aifément aller à raconter les pechez qui peuvent faire voir qu'ils étoient confiderez dans le fiecle, qu'ils y paffoient pour genereux, hardis, gens d'efprit & de conduite, parce que toutes ces qualitez font en eftime dans le monde; mais qu'à peine voyoit-on dans les maifons religieufes, des perfonnes affez humbles & affez mortifiées, pour découvrir les mauvais endroits de leur vie, pour parler de la baffeffe de leur naiffance, de la pauvreté de leurs parens, & pour fouffrir les injuftes reproches qu'on leur a pû faire de leur lâcheté, ou de leur mauvaise foy, & furtout pour ce qui

les feroit paffer pour stupides & pour ridicules.

Voilà ce que nous voyons dans la plupart de ceux qui font fujets à fe troubler. Ils aiment mieux s'imaginer qu'ils font de grandes fautes, que de fe croire dans des foibleffes qu'ils ne connoiffent point, & qu'ils ne veu lent point connoître. Il n'y a pas moyen de leur perfuader qu'ils manquent de difcernement, qu'ils fe laiffent tromper par de fauffes idées, que beaucoup de chofes qu'ils croyent être dans leur cœur, ne font que dans leur imagination: que ce qui leur fait peur n'eft pas un mal réel, mais un rien dont ils fe font des monftres qu'ils font femblables à des perfonnes qui fe trouvant feuls la nuit en quelqué lieu écarté, tremblent au moindre bruit, & prennent tout ce qu'ils entendent pour quelque chofe de terrible, avec cette difference que ces frayeurs de perfonnes timides ne durent pas plus longtemps que la nuit. Le jour furvenant, les diffipe avec les tencbres, & les remet dans le calme; au lieu que ceux qui croyent avoir raifon de s'abandonner aux troubles ne favent comment en fortir. Le jour

ne

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ne vient point pour eux, & ils ferment les yeux à la lumiere qu'on leur communique, parce qu'ils ne croyent pas en manquer, & qu'ils penfent aut contraire en avoir affez pour juger d'eux-mêmes.

X.

Ceux qui font fujets à fe troubler n'en font pas moins orgueilleux, quoiqu'ils parlent de leurs foibleffes & de leurs défauts

Q

Ui pourroit croire que des gens qui ne parlent que de la grandeur de leurs pechez, qui gemiffent de leurs foibleffes, qui fe plai gnent fouvent de ce qu'ils ne font pas une feule bonne action, & qu'ils veulent faire croire qu'ils font très-perfuadez de ce qu'ils difent, ne font pourtant pas humbles? Cependant ik n'y a rien de fi vrai, car ce n'eft que manque d'humilité qu'ils font fi attachez à leur fens, & qu'ils ne fe rendent à rien de tout ce qu'on leur dit : ou pour ne point difputer des mots, s'ils ont de l'humilité, elle eft fort déregléa Tome I.

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