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me treft forte & exacte, qu'à proportion de la grande repetition, que nous faizons ou des faits, ou des raizonemens que nous retenons.

C'eft avec le fecours de l'habitude, que nous aprenons les arts, les fciences, les langues; & fi l'on ne m'avoit fouvent & lontems fait repeter & fait pratiquer les regles de la Grammaire latine, je les aurois oubliez bientot après les avoir conües.

On ne peut pas dire, que ce ne foit une bonne habitude qu'une grande connoiffance de la langue latine; mais fi pour avoir cette grande conoiflance, left neceffaire d'y emploier un tems, qui feroit incomparablement mieux emploié à aquerir une grande habitude à Pobfervation de la Juftice, ceux, qui préfident a l'Education font un très mauvais choix d'employer dix fois trop de tems à nous rendre favans dans la langue latine, & d'en employer dix fois trop peu à nous doner une grande habitude à la juftice.

Pourquoi nous, qui avons étudié la langue latine, fommes nous prefque feurs qu'en parlant ou en écrivant nous ne pecherons, préfque jamais contre u

ne des regles de Grammaire latine; le verbe actif doit gouverner l'acufatif? C'est que durant huit ou neuf ans d'Education dans le Colege nous avons vû cette regle obfervée dans nos écrits, dans les écrits des autres, en lizant nous mêmes, en parlant, en écoutant parler les autres, & cela tous les jours dix fois, vint fois par jour, c'eft que nous avons été punis, & que nous avons vû d'autres enfans punis pour ne l'avoir pas obfervée; nous l'obfervons prefentement prefque fans y penfer; telle eft la force d'une longue & frequente habitude, qui ne s'aquiert que par un nombre prodigieux de repetitions.

Quelle concluzion tirer de là, c'est que fi l'on exerçoit les enfans tous les jours dix fois, vint fois par jour, à pratiquer la grande regle de morale, Ne faites jamais contre un autre, de peur de déplaire à Dieu, ce que vous ne voudriez pas qu'il fit contre vous, fupofé que vous fuffiez à sa place, & qu'il fut a la vôtre. Je dis qu'avec le fecours de cer exercice frequent dans chaque journée durant huit ou neuf ans,en diférentes rencontres nous observerions le reste de notre vic dix fois,vint fois plus par jour,cette res

gle de morale que nous ne l'obfervons envers nos parens, envers nos enfans, envers nos domestiques, envers nos voi fins, & envers nos autres citoiens,tant dans nos actions, que dans nos pa roles, & il ariveroit, que nous jugerions toujours fans heziter qu'il y a beaucoup plus à gagner à tout prendre foit la premiere vie foit pour la feconde à l'obferver qu'à ne la pas obferver.

pour

On ne fe contente pas de nous repeter la regle de Grammaire, on nous la fait pratiquer tous les jours plufieurs fois; mais pour la regle de la juftice, on fe contente de nous la dire quelquefois.

D'où vient que nous fommes fi clair. voians, & fi en garde contre un folecifme au fortir du Colege, & que nous comètons tant de grandes & de petites injuftices, prefque fans nous en apercevoir, & fans fonger à les reparer ni à nous en coriger? il eft facile de voir, que cela vient de notre mauvaize Education, parceque nos maitres ont trop doné de temps à former en nous des habitudes d'un très petit prix & trop peu de tems à former en nous des habitudes de la plus grande importance.

Entre les habitudes, que l'on doit querir dans le Colege il y en a une geneale: & quatre particulieres, qui font comme les principales parties de l'habitude generale qui eft la prudence crétiene.

L'Ecolier fera plus hureux à proportion qu'il aura aquis dans le Colege plus 'habitude à la prudence crétiéne; or éte vértu confifte à examiner les biens & les maux, que peuvent produire telles ou telles actions telles paroles, telles ou telles entreprizes, telles ou telles omiffions, tels ou tels talens, ce qui regarde non feulement les biens & les maus de la premiere, mais encore ceux de la feconde vie.

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A proportion qu'il aura aquis plus d'habitude à confulter à comparer, à balancer, à pezer, à examiner le pour & le contre des partis opozés, qui font à choizir avant que de rien rezoudre, avant que de decider, & de prendre aucun parti, il fera plus prudent; or comencer à pratiquer l'Examen, la fufpenfion, la confultation avant toute decizion, c'est le comencement de la prudence.

Ainfi bien difcerner entre les biens & les maux, ceux qui font les plus

grands, les plus durables, & qui doivent être les fuites de telles ou telles actions, de telles ou telles entreprises, c'eft le but de la prudence

Elle acoutume à remarquer par des reflexions fur les Experiences faites fur nous, & fur les autres, qu'il y a de petits plaizirs, qui coutent trop cher par les grands maux, qui en font infe parables.

Elle acoutume à remarquer par des reflexions foit fur nos propres Experiences foit fur les Experiences des autres, qu'il y a de petits maux, qu'il faut foufrir pour aquerir des biens incomparablement plus grands.

Elle acoutume à mezurer avec quelque exactitude les biens & les maux avenir & à conoitre les moiens d'aquerir les uns & d'eviter les autres.

Entre les plaifirs où l'homme eft fenfible, entre les biens qu'il peut aquerir on doit conter la diftinction entre fes pareils, l'eftime diftinguée, la conGideration diftinguée; mais comme les ì qualitez, qui donent de la diftinction font plus ou moins utiles aux autres, plus ou moins vertueuzes, plus ou moins loüables, c'eft à la prudence à faire dif

cerner

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