Parmi nos ennemis quel deffein t'a conduit? La Déeffe connoît l'erreur qui l'a féduit. Près du jeune Chaffeur, elle s'arrête encore :

Elle fent naître en elle un charme qu'elle ignore:

Elle veut l'enlever de ces affreux deferts;

Ec

pour cacher fon vol aux yeux de l'Univers, Répandant fur fon Char une vapeur fubtile,

Elle

part, fend les airs, & vole dans fon Isle. Diane ouvre les yeux, & ne retrouve plus L'objet, le trifte objet de fes foins fuperflus. Un Satyre l'inftruit du vol de Cytherée: Elle court dans les Bois, furieufe, égarée; Le défefpoir jaloux a faifi ses efprits;

Le calme fuic, l'Echo ne répond qu'à des cris. Chaque Nymphe en pâlit, les Forêts en trem, blerent;

De frayeur dans leurs troncs les Driades ren

trerent:

La Déeffe a brifé fon Carquois & fes Traits: ? Elle abandonne enfin fes lugubres Forêts,]

Monte aux Cieux & s'adreffe au Maître du Ton

nerre.

Dieu, qui juges les Dieux & les Rois de la

Terre,

Sois fenfible, dit-elle, à més juftes douleurs: Helas! c'eft un Enfant qui fait couler mes pleurs.

Adonis des Forêts s'étoit fait un azile :

Je formois aux Vertus fon cœur tendre & do

cile;

Il croiffoit fous mes yeux: inftruit & cultivé,
Helas! mon Adonis vient de m'être enlevé.
Si c'étoit par Minerve, Apollon ou la Gloire;
A de tels Raviffeurs accordant la victoire,

Je difputerois moins ce dépôt précieux;

Mais que

Vénus me brave, & l'enlève à mes

yeux;

Que du fein des Vertus la perfide Déeffe
Le porte en triomphant aux bras de la Moleffe,
J'en attefte à tes pieds le Souverain des Cieux.
Eft-ce aux Dieux qu'il convient de se jouer des

Dieux?

Quel

Quel charme a cet Enfant? Mille Amours pous

lui plaire

Habitent dans Paphos & règnent dans Cy thère;

Qu'elle étende fur eux fon pouvoir triomphant,

Ec me laiffe à mon gré difpofer d'un Enfant.
Jupiter d'un foûris appaifa fes alarmes :
Leve-toi: que l'efpoir effuye enfin tes larmes à
Ma fille on te rendra cet objet fouhaité.
Il dit... Ce mot calma fon efprit agité.
Venus apprend foudain les Arrêts de fon

Père:

Elle appelle l'Amour, la Fraude & le Mystère
Elle veut pour tromper, & Diane, & la Cour,
Déguifer Adonis fous les traits de l'Amour..
Il cft armé déja de fes Flèches mortelles:
Il porte un Arc, des Traits, un Carquois &
des Aîles.

Avec cet appareil de l'Amour il a pris
L'air trompeur, l'œil perfide, & le malin foûris
Il en a les attraits, le regard, le langage,

Le même feu divin brille fur fon visage; Entre l'Amour & lui, l'œil errant incertain, & les parcourt en

Admire, fe confond

vain.

A côté de l'Amour, femblable à l'Amour

même,

Venus à fa Rivale offre l'objet qu'elle aime :
La Déeffe à ce coup fe fent frapper d'effroi.
Tu l'emportes, perfide, Adonis eft à toi.
J'en chercherois en vain l'air & la reffem-

blance,

Vénus confond

cence:

trop bien le crime & l'inno

Va, triomphe, tu peux les pofféder tous deux è Je crois vaincre en fuyant un choix trop hazardeux;

Mais crains que cet Enfant qui caufe mes alarmes,

Plus qu'à moi, quelque jour, ne te coûte des larmes.

La Déeffe foûtint cet effort glorieux;

Tout le Ciel äpplaudit; & de l'aveu des

Dieux

Diane remporta la plus belle victoire ; Vénus en eut le prix; mais elle en eut la gloire;

Fier de fes cruantez plus que de fes bienfaits; Il fembloit s'applaudir des maux qu'il avoit faits. Vol. Hen, Ch. 9.