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té la plupart de fes fuccès, de fes triomphes; mais elle vient de lui ravir une victoire que tout fembloit lui promettre. Sa défaite l'avertit qu'il a laffé la Fortune : il ne compte plus fur elle. Déformais fes lauriers feront le fruit de fa fageffe & le prix de fa valeur. Ainfi règle-t-il l'usage d'une autorité dont il abufoit. Quelquefois trop doux, il en faifoit l'appui du crime, & la rendoit méprifable : quelquefois trop violent, il en faifoit l'inftrument de fa fureur, & la rendoit odieufe; mais des évèneméns fâcheux l'ont inftruit. Ce n'eft plus qu'avec difcernement qu'il appefantit fa main fur des coupables, ou qu'il protège des malheureux : peut-être a-t-il obligé des ingrats dont il devoit fe défier. Quelle leçon ! Il en fera plus foigneux d'étudier les coeurs, plus habile à les connoitre, & plus heureux à placer fes bienfaits. Sa politique n'eft fi_raffinée, que parce qu'il a été trop facile à fe communiquer. Depuis qu'on a pénétré dans fes fecrets, il en a moins de Confi; dens, plus éprouvez & mieux choifis.

Il n'est point d'Artisan digne de l'être, qui ne fe perfectionne dans fon Art à

mefure

mefure qu'il fait des fautes. C'eft de - là que dépend fa gloire, & c'eft à quoi la plupart des Grands Hommes font redevables de la leur. Comment fe font formez ces rares Génies dont on vante l'habileté dans le Gouvernement, dans la conduite des Armées ? Fameux Miniftres des Empires, Guerriers, dont l'intelligence a égalé le courage, vos fautes ont difparu fous les efforts que vous avez faits pour les réparer: mais n'eft - ce point par elles que vous vous êtes éclairez ? N'ont elles point ajoûté à votre pénétration une partie de ces lumières fûres, dont la vafte étendue a conduit tant d'évenemens & difpofé de tant de fuccès ?

Ce n'eft pas tout le Sage doit encore à fes fautes bien d'autres avantages que nous admirons. Combien d'Hommes bizarres, difficiles, qui font devenus les délices de la Société ! N'en foyons pas furpris: ils fe font aidez › pour dompter leur humeur, du mauvais fuccès de leur humeur même. Eft il rien de plus propre à fixer notre légèreté que la vûë des contretems où elle nous jetre ? Cet Homme aujourd'hui fi folide, n'avoit que de beaux 1732.

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dehors ; apparences frivoles, qu'il ne juftifioit pas il ignoroit fans doute qu'un tel caractère pût attirer la méfiance. L'a - t - il enfin compris ce n'eft plus que par des effets qu'il établit la foi de fes avances. Le zèle outré l'indifcrétion ne fe foûtiennent pas dans le Sage. Heureux effet de fa réflexion, tous les défauts que fes` fautes lui montrent, fe changent presque auffi tôt en autant de qualitez qui leur font opposées.

Mais ces prodiges, dont nous fommes charmez, fuppofent toûjours la Sageffe, ou plûtôt ils en font la preuve. Quel fruit pourroit tirer de fes fautes celui qui fe refufe à l'impreffion qu'elles doivent faire fur lui. Elles n'èclairent point les aveugles volontaires, comme elles ne touchent pas les infenfibles; & fi le Sage fe les rend utiles, ce n'eft que parce qu'il profite des lumières qu'il en reçoit, & du repentir qu'elles lui infpirent. L'expérience a inf truit fa raison, le repentir augmente & fortifie la vertu.

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SECONDE PARTIE.

Ue l'Homme fuccombe fous l'effort de la paffion, ou qu'il foit vaincu par fa foibleffe, ce n'eft pas là tout fon malheur. Ce qui paroît plus déplorable, c'eft qu'il ne fente pas fa mifère, feul moyen qu'il auroit pour s'en relever. Telle eft cependant l'infenfibilité du grand nombre. On void par tout des Hommes à qui la vûë de leurs fautes ne laisse, ni remords, ni honte : coupables, qui ne rougiffent jamais, & dont le front & le cœur font prefque un égal outrage à la vertu peut-être ofent-ils même le faire honneur de leur foibleffe & s'applaudir de leur defordre: extravagance portée au comble, mais dont la preuve eft fondée fur plus d'un exemple. Comment la plûpart feroient-ils touchez de leurs fautes ? Leur raifon même va au devant du repentir. Cette raifon, qui devroit les con damner, eft la prémière à les abfoudre. Ils font Hommes, ils ont des femblables ; c'eft fur quoi elle les excufe. Elle exaggère feur fragilité, pour en diminuer la honte

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à leurs yeux elle les juftifie enfin, pour imposer filence à des remords dont elle feroit la victime. Qu'on les accable de reproches, ils n'en feront point émûs. S'ils ont fait des fautes, c'eft la paffion qu'ils en accufent. A les entendre, la Nature Humaine eft comme un fonds qui les produit. C'eft ainfi qu'ils fe confolent à force de mifères. Mais que deviendront - ils dans cet état? Déja leurs fautes font changées en habitude, leurs paffions en torrens, leur fragilité en loi. A chaque pas qu'ils font, leurs chûtes fe multiplient: ils fortent d'un abîme pour s'y replonger : un précipice les attire dans un autre 3 malheurs où ils ne tombent que pour n'avoir pas profité de leurs prémiers defordres.

Il n'en eft pas ainfi du Sage: fes fautes font fur lui une impreffion utile. Il ouvre fon cœur au repentir; il arrête fon esprit fur fes égaremens. Plus cette image lui déplaît, plus il gagne à la contempler. Il en porte par tout le fouvenir; par tout il entend une voix vengereffe qui le condamne, qui lui reproche fa préfomption, fon orgueil. S'être livré au panchant

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