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rend toûjours folidement heureux, ou fimplement bien-heureux,au lieu d'actuellement heureux, on auroit raifon d'y trouver une contradiction manifefte; parce qu'on ne peut être folidement heureux ou parfaitement heureux, & fouffrir quelque mifere ou quelque remords facheux. Mais je fuis dans ce préjugé que les hommes font inégalement heureux, & que perfonne n'eft tellement heu. reux, qu'il n'ait quelque endroit qui l'afflige & qui le rende malheureux. Je regarde ce Sage des Stoïciens, dont la goute & les douleurs les plus aiguës ne troublent point la felicité comme un homme rare, & d'une efpece particuliere, pour lequel affurément je n'ai jamais compofé de livres: Car je fçai qu'il y eût trouvé mille contradictions manifefies. J'ai écrit pour des hommes qui me reffemblent. Et comme le plaifir me rend heureux, & la douleur malheureux ; j'ai crû, fur ce principe qu'il vaut mieux être malheureux en ce monde que de l'être éternellement en l'autre ; j'ai crû, dis-je, pouvoir foutenir, que quoique les plaifirs des fens nous rendent ac-

tuellement heureux, il les falloit fuir à caufe des remords fâcheux qui les accompagnent, qu'ils font injuftes, qu'ils nous attachent aux objets fenfibles, qu'ils nous féparent de Dieu, & pour plufieurs autres raifons qu'on trouvera dans mes livres & dans le Chapitre même contre les Stoïciens, où l'on prétend avoir rencontré des contradictions manifeftes.

Comme les contradi&ions prétendues où je fuis tombé, dépendent feJon M. Regis, de ce que j'ai confondu les plaifirs des fens avec la fatisfaction intérieure ; il faut éxaminer la preuve qu'il en donne. Car il a bien vû qu'on ne croiroit pas fur fa parole, que je fuffe capable de confondre deux chofes que je ne croi pas que jamais perfonne ait confondues. Voici donc fa preuve.

L'Auteur de la Recherche de la Verité, a dit: Que le plaifir nous rend toûjours actuellement heureux, mais qu'il y a prefque toûjours des remords facheux qui l'accompagnent. Donc il confond les plaifirs des fens avec la fatisfaction interieure. La preuve en eft claire. Car il eft vifible que par le plaifir qui nous rend toûjours actuelle

ment heureux; cet Auteur ne peut cntendre que la fatisfaction interieure, ni par le plaifir qui eft toûjours accompagné de remords, que le plaifir des fens. Donc :

RE'PONSE. Il me femble que tout autre que M.Regis raifonneroit ainfi. L'Auteur de la Recherche de la Verité a dit: Que le plaifir nous rend toûjours actuellement heureux, mais qu'il y a prefque toûjours des remords facheux qui l'accompagnent. Or les remords fâcheux n'accompagnent point la fatisfaction interieure.Donc cet Auteur diftingue les plaifirs, dont il parle, de la fatisfaction interieure. Conclufion directement oppofée à Ia fienne. Comment donc eft-il poffible que par le plaifir qui nous rend toûjours actuellemenr heureux, on n'a pu entendre que la fatisfaction interieure? On l'a entendu autrement. Cela eft vifible. D'accord,dira peutêtre maintenant M. Regis.On l'a pû, mais on ne l'a pas dû. Car le plaifir & la douleur ne rendent ni heureux ni malheureux. Hé bien je le veux. Je me fuis trompé en cela; j'étois dans le préjugé commun; les Stoïciens ont raifon. Mais dans le Cha

pitre que vous avez cité, je combats actuellement l'opinion de ces Philofophes. Vous n'aviez donc pas fujet de croire que je fuffe de leur fentiment. Comment donc me l'attribuez-vous, en difant: Que par les plaifirs qui rendent heureux, je ne puis entendre que la fatisfaction interieure, pour conclure de-là que je confondois ce qu'affurément perfonne ne confondit jamais, & que cette confufion étoit l'origine des contradic tions manifeftes où j'étois tombé, Apparemment vous n'avez pas bien expliqué votre pensée. Car je ne croi pas qu'on puiffe rien comprendre dans l'expofition que vous en faites.

Cependant, Monfieur, je croi que vous avez raifon de penfer, que c'est la fatisfaction intérieure qui nous rend veritablement heureux, autant que nous le pouvons être en cette vie, pourvû que par là vous entendiez comme je le croi, le plaifir interieur dont Dieu nous récompenfe quand nous faifons notre devoir, & qui eft comme le gage ou l'avant-goût des biens que nous efperons par JefusChrift; pourvû que vous entendiez par là cette joïe interieure, que pro

duit en nous l'efpérance Chrétienne; & non cette fatisfaction interieure des Stoïciens, qui n'eft qu'une fuite de la vaine complaifance que notre orgueil nous fait trouver dans nos perfections imaginaires, & qui loin de nous unir au vrai bien, nous arrête à la créature & nous fait jouir de nous-mêmes.

Si un homme de bien se trouvoit fans cette douceur interieure, qui accompagne ordinairement la bonne confcience, comme affurément cela arrive quelquefois, puifque de grands Saints fe font plaints fouvent de fouffrir des féchereffes effroyables; fi, dis-je, un homme étoit privé de cette douceur ou de ce fentiment intérieur pour quelque tems, où Dieu l'éprouve & le purifie;alors je croirois parler le langage ordinaire, en difant que cet homme n'est plus heureux, mais qu'il eft encore jufte, vertueux, parfait. C'est qu'ordinairement on appelle heureux ceux qui jouiffent de quelque bien, & qu'on ne jouit du bien, ou qu'on ne le goûte que par les fentimens agréables. Sije demandois à cet homme de bien dont je viens de parler

s'il

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