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VIE DE S. foule d'amours impudiques qui fe prefentoient à lui de toutes AUGUSTIN. parts. Il n'aimoit pas encore; mais il demandoit à aimer, &

pas.

une mifere fecrete faifoit qu'il fe vouloit mal de n'eftre encore affez miserable. Il fe trouva enfin engagé dans les filets où il fouhaitoit eftre pris. Il fut aimé, & arriva mefme à la poffeffion de ce qu'il aimoit. Ce fut peut-eftre la feconde année de fon féjour à Carthage, c'est-à-dire, à l'âge de dixhuit ans, qu'il eut un fils qui fut le fruit de fon peché, & à qui il donna le nom d'Adeodat.

Monique qui le voïoit plongé dans de fi grands defordres ne ceffoit de verfer des larmes, & de prier le Seigneur qu'il l'en retirât. Mais quelle fut la douleur de cette fainte mere, lorfqu'elle le vit embraffer l'erreur des Manichéens ? Elle le pleura pour lors comme s'il avoit efté dans le tombeau, & fa douleur eftoit d'autant plus grande, qu'elle regardoit les chofes des yeux de la foi. Elle prioit tous les gens de bien de conferer avec fon fils pour lui faire connoiftre fon erreur ; mais il eftoit bien éloigné de l'abandonner, la nouveauté de cette herefie lui avoit au contraire enflé le cœur, & l'avoit rendu plus fuperbe.

L'unique confolation que cette mere defolée pouvoit pren-dre, c'eftoit dans la confiance qu'elle avoit, que Dieu exauceroit fes prieres & fes larmes. En effet, elle eut une vifion où Dieu lui fit connoiftre que fon fils rentreroit dans le fein de P'Eglife. Mais Auguftin fut pendant neuf années dans fon aveuglement, fans qu'il ouvrit les yeux aux lumieres de la foi. Il enfeigna pendant ce tems la Grammaire à Thagaste, où il eftoit retourné; d'où aïant fait un fecond voïage à Carthage, il y profeffa la Rhetorique. C'eftoit peu de chofes pour fon ambition: ainfi dans l'efperance de plus gros émolumens, & de s'attirer plus d'honneur, il refolut de paffer en Italie & de venir à Rome.

Sa mere fit tous fes efforts pour le retenir, ou au moins pour le faire confentir qu'elle fuft du voïage. Elle ne vouloit point l'abandonner, & le fuivit jufqu'au port; mais il ufa de tromperie pour s'en debaraffer. Il lui fit accroire qu'il vouloit feulement accompagner un de fes amis jufques dans le vaiffeau; & lui aiant perfuadé de paffer la nuit dans un lieu qui n'eftoit pas éloigné du port, où il y avoit une Chapelle dediée à S. Cyprien, il fe déroba, partit la même nuit pendant

AUGUSTIN.

qu'elle eftoit en prieres & en larmes, & arriva enfin à Rome; VIE DE S. où, peu de tems aprés fon arrivée, il fut attaqué d'une dangereufe maladie, dont il guerit par les prieres de fa fainte mere, qui quoiqu'abfente, ne laiffoit pas de l'accompagner par tout de fes voeux. Dés qu'il fe vit en fanté, il donna des leçons de Rhetorique & eut un grand nombre d'auditeurs.

Dans ce tems-là les habitans de Milan aïant envoïé à Simmaque Prefet de Rome, pour lui demander un Profeffeur de Rhetorique, & aïant même donné les ordres neceffaires pour fon voïage; Auguftin emploïa ce qu'il avoit d'amis parmi les Manichéens pour avoir cet emploi, & Simmaque s'eftant affuré de fa capacité par un difcours qu'il fit devant lui, l'en

voïa à Milan.

Dés qu'il y fut, il alla trouver faint Ambroife qui en eftoit Evêque, qui le reçut favorablement & avec une charité vraiment Epifcopale. C'eftoit Dieu qui le menoit invisiblement à ce faint homme, & fon cœur touché de l'éloquence de ce Prelat, s'ouvroit à la verité de ce qu'il difoit. Il trouva que ce qu'il enfeignoit pouvoit fe foutenir. Il croïoit auparavant qu'il n'y avoit rien à repondre aux argumens des Manichéens, il commença à s'appercevoir qu'on les pouvoit combattre ; & enfin perfuadé de la verité des difcours de faint Ambroise, il refolut d'abandonner leurs erreurs, & prit enfin le parti de demeurer Cathecumene dans l'Eglife catholique.

S. Auguftin avoit jufques-là fait verfer beaucoup de larmes à fa mere par fa vie dereglée & par fon herefie; il femble qu'elle devoit avoir eu beaucoup de joie lorfqu'elle apprit qu'il n'eftoit plus Manichéen. Cependant faint Auguftin nous confeff. l apprend lui-même, qu'il ne vit point dans cette fainte femme 6. c. 1. qui avoit paffé la mer pour le venir trouver à Milan, ce tresfaillement de joïe que les bonnes nouvelles, à quoi on ne s'attend point, ont accoûtumé de donner; parce qu'il n'eftoit pas encore établi dans la verité, & qu'elle ne le voïoit pas fidele Catholique. Il en coûta bien encore des larmes à cette veritable mere, qui n'avoit point d'autre ambition que de voir fon fils reconcilié avec Dieu; & il fallut qu'Auguftin efluïât bien des combats de lui-même contre lui-même, avant qu'il renonçât entierement à fes égaremens & à fes voluptés, pour ne plus fuivre à l'avenir que les attraits de la grace.

Enfin le tems arriva que Dieu permit qu'il ouvrît les yeux:

[ VIE DE S. pour voir fon iniquité & en concevoir de l'horreur. Un de fes AUGUSTIN. amis nommé Pontitien, qui l'eftoit venu voir, lui aïant raconté la vie admirable de faint Antoine, il en fut fi vivement touché, qu'il ne falloit pas une plume moins éloquente, que celle d'Augustin même, pour décrire le trouble & l'agitation c.7.8.9. que ce recit caufa dans fon ame; mais cela ne fuffit fallut une voix du Ciel pour le refoudre entierement.

Ibid. 1. 8.

pas,

il

Occupé plus que jamais de mille reflexions, qui avoient penetré les replis les plus fecrets de fon cœur qui eftoit percé de douleur, il fe retira dans un jardin; où s'eftant affis fous un figuier, & aïant donné cours à un torrent de larmes, il entendit une voix du ciel, qui lui dit: Prenez & lifez. A cette voix changeant de vifage & retenant fes larmes, il prit le li vre des Epitres de S. Paul; & l'aïant ouvert, ces paroles lui frapperent les yeux: Ne vous plongez pas dans la bonne chere, ni dans c. 13 v. 13. l'yvrognerie, ni dans les impudicités, ni dans les querelles'; mais revétez-vous de Fefus-Chrift, & ne confentez point aux mauvais defirs de votre chair. Il n'en voulut pas lire davantage une divine lumiere penetrant tout d'un coup fon cœur; il fe trouva dans une admirable tranquillité, qui diffipa tous les doutes & les irrefolutions qui l'avoient tant fait fouffrir.

Ad Rom.

Il avoit été accompagné dans ce jardin par un de fes amis nommé Alippe, & s'eftoit éloigné de lui pour éviter la contrainte où fa prefence l'avoit engagé. Il l'aborda enfuite de cette lecture avec un vifage gai. Cet ami lui aïant demandé le fujet de joïe qui paroiffoit fur fon vifage, il lui montra l'endroit qu'il avoit lu. Ces paroles toucherent pareillement Alippe, qui faifant attention à celles qui fuivent, & aufquelles Auguftin n'avoit pas pris garde: Aidez & foûtenez celui qui eft encore foible dans la fois il les prit pour lui, & s'en trouva tout d'un fi fortifié, qu'il prit la même refolution qu'Auguftin. Ils porterent ensemble cette bonne nouvelle à Monique, qui en fut tranfportée de joïe; & ce fut une efpece de triomphe pour elle d'entendre la maniere dont cela eftoit arrivé. Elle ne pouvoit fe laffer d'en benir le Seigneur, qui lui avoit accordé bien plus qu'elle ne demandoit; car Augustin eftoit converti fi pleinement, qu'il n'avoit aucune penfée pour le mariage où elle avoit voulu l'engager, & qu'il renonçoit à tous les avantages qu'il auroit pû efperer dans le monde.

Coup

Comme le tems des vacances approchoit, & qu'il n'y avoit

plus que vingt jours, il voulut finir fes leçons, afin que fa retraite fe fift avec moins d'éclat. Ce tems eftant arrivé, Verecundus qui eftoit auffi fon ami, lui prêta fa maison de campagne, où il fut accompagné de fa mere, de Navigius fon frere, de Trigete & de Licentien fes Difciples, de Laftinien & de Ruftique fes coufins, d'Adeodat fon fils, & de fon ami Alippe. Ces deux derniers reçurent avec lui le Baptême par les mains de faint Ambroife, lorfque le tems de le conferer fut venu. Il retourna à cet effet à Milan pour se faire inferire fur le catalogue de ceux qui le demandoient, & aprés qu'il l'eût reçu, il renonça tout-à-fait aux vaines efperances qu'il avoit eues de s'avancer dans le monde. Femme, enfans, richeffes, dignités & honneurs; tout cela n'occupa plus fon esprit, il ne s'appliqua uniquement qu'à fervir Dieu; & afin de le faire plus tranquillement, & que rien ne l'en detournât, il forma une petite focieté de quelques-uns de fes amis & de fes compatriotes, avec lefquels il vêcut. Monique eut foin d'eux comme s'ils euffent efté tous fes enfans, & avoit d'ailleurs pour eux autant d'égard & de foûmiffion, que fi chacun d'eux eût esté fon pere. Ils avoient tous le même deffein de mener une vie parfaite, & ils n'eftoient en peine que du lieu où ils fixeroient leur demeure. Ils refolurent de retourner en Afrique,& furent au port d'Oftie pour y chercher un embarquement. Ce fut en cet endroit que Monique mourut, & aprés que fon fils lui eût fermé les yeux & donné la fepulture à fon corps, ils partirent pour l'Afrique.

Auguftin ne fut pas plûtôt arrivé à Thagafte, qu'il vendit tout le bien qui lui pouvoit revenir de la fucceffion de fes pere & mere, il en diftribua le prix aux pauvres ; & s'estant retiré avec fes compagnons dans un lieu folitaire prés de cette ville, il y demeura pendant trois ans dans des veilles & des oraifons continuelles menant avec eux une vie femblable à celle des Moines de l'Egypte. Ce fut là fon premier Monastere; car il y a bien de l'apparence qu'il n'a pas paffé trois ans dans ce lieu, & qu'il y ait pratiqué tous les exercices de la vie Monaftique, fans qu'il y eut un Monaftere.

Quelques affaires l'appellerent à Hippone, où Valere qui en eftoit Evêque, prêchant un jour; & aïant parlé de la neceffité qu'il y avoit d'ordonner quelques Prêtres, le peuple qui connoiffoit le merite d'Auguftin & fa capacité, fe faifit

VIE DE S.

AUGUSTIN.

AUGUSTIN.

VIE DE S. de lui & le prefenta à l'Evêque, qui l'ordonna malgré fes larmes & fes refiftances. La premiere chofe qu'il fit lorfqu'il fe vit Prêtre, fut de demander un lieu pour y bâtir un Monaftere semblable à celui de Thagaste; ce que Valere lui accorda, lui donnant un jardin qui tenoit à fon Eglife. De ces deux Monafteres d'Hippone & de Thagafte, il en fortit plufieurs de fes Difciples qui peuplerent l'Afrique de Monafteres : c'est pourquoi ce Saint Docteur a efté regardé comme l'Inftituteur des Moines & des Monafteres d'Afrique, puifqu'en effet c'est lui qui y a établi l'Ordre Monastique.

Sa reputation augmentant de jour en jour, Valere qui
avoit peur qu'on ne le ravît à fon Eglife pour le faire Evêque,
& voulant le conferver pour fon Diocese, écrivit à Aurele
Evêque de Carthage, pour le prier de le lui donner pour
Coadjuteur. Aurele y confentit avec joïe; mais Augustin y
refifta fortement. Il fe foûmit neanmoins à ce qu'on exigeoit
de lui, & fut facré Evêque d'Hippone l'an 395.

Depuis fa promotion à la Prêtrife, il avoit toûjours demeuré
avec fes Religieux dans le Monaftere qu'il avoit bâti au lieu
que lui avoit accordé l'Evêque Valeres mais fi-tôt qu'il fe vit
revêtu de la dignité Epifcopale, il crut que l'obligation où il
eftoit de recevoir ceux qui le venoient vifiter, pourroit trou-
bler la tranquillité du Cloître, & donner atteinte à l'obser-
vance reguliere; c'eft pourquoi il fit de fa maifon Epifcopale
une Communauté de Clercs; c'est-à-dire de Prêtres, de Dia-
cres & de Sou-diacres, qui deffervoient fon Eglife; aufquels
il fit obferver la vie commune que les premiers Chreftiens
avoient pratiquée. Perfonne ne pouvoit rien avoir en propre,
tout y
eftoit en commun. C'eftoit la loi, à laquelle tous ceux
qui y entroient, fçavoient qu'ils eftoient obligés; il n'ordon-
noit même aucun Clerc, qui ne s'engageât à demeurer avec
lui à cette condition. De forte que fi quelqu'un quittoit cette
maniere de vie, il lui oftoit la Clericature, & le degradoit com-
me un deferteur de la fainte Societé qu'il avoit embraffée, &
de la profeffion qu'il avoit vouée.

Ainfi tous fes Ecclefiaftiques eftoient pauvres avec lui, &
attendoient la mifericorde de Dieu par la charité de l'Eglife
& par les offrandes des Fideles, qu'on leur diftribuoit à cha-
cun felon leurs befoins. Ceux qui avoient quelque chofe,
cftoient obligés ou de le diftribuer aux pauvres,
ou de le

mettre

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