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précipices affreux, qui ont fouvent plus de cent pieds de largeur fur deux cens de profondeur. Ils font creufés par des torrens qui s'y engouffrent pendant les orages, & qui en fe retirant les laiffent à fec.

Avril.

Qualité de

Le terrein de cette isle est rougeâtre, peu profond fon terrein. & léger, mais d'une grande fertilité. Dans les gorges des montagnes qui font au nord & à l'est de la ville, on trouve les plus belles forêts d'orangers, de citroniers, de cedrats, & de limoniers de toutes les efpeces. Les grenadiers & les figuiers croiffent par-tout à plaifir. Aux plus excellens fruits de l'Europe, les habitans de Ténérif joignent ceux de l'Afrique, comme les bananiers, les papayers & les ananas, qu'ils cultivent dans leurs jardins. Les caroubiers, les melons de toute efpece, & fur-tout les melons-d'eau, occupent les terres les plus ingrates. Les vallées qui forment leurs campagnes portent les plus beaux blés du monde, milieu defquels s'élevent par intervalles des bouquets de fang-dragon(1), qui par leur hauteur & leur forme, imitent affez le port majeftueux du latanier (2).

au

Les montagnes font mises en vignobles, qui ont acquis une grande célébrité par les excellens vins qu'ils rapportent, & que l'on connoît fous les noms de vin de Canarie & de vin de Malvoisie. Le premier eft tiré d'un gros raifin, qui donne un vin fort & capiteux : c'eft le vin d'ordinaire. On fait l'autre avec un petit raisin, dont le grain est rond & fort doux : aufsi la liqueur qui en provient a-t-elle une faveur agréable & plus douce, qui lui donne une grande fupériorité fur

(1) Draco arbor. Clufii.

(2) Efpece de palmier dont les feuilles s'ouvrent en éventail.

B

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1749. Avril,

le premier. On attribue d'ordinaire la qualité de ces
vins au climat & à la nature du terroir; mais je crois
que la culture & la façon qu'on donne aux vignes, y
a pour
le moins une auffi grande part. Voici ce que
j'ai vû pratiquer aux environs de Sainte-croix. On fait
choix des collines qui font à une expofition avanta-
geufe du midi, négligeant toutes les autres : on en
cultive la partie la plus basse, jusqu'à la hauteur de
deux cens pieds au plus. Sur tout le terrein destiné
aux vignes, on élève de petits murs à hauteur d'appui,
à la distance de quatre à cinq pieds les uns au-dessus des
autres. Ces murs fervent à plusieurs fins; car premie-
rement, en arrêtant les terres, ils empêchent les vignes
d'être déchauffées; en fecond lieu, ils retiennent les
eaux des pluies, qui fans cela auroient coulé fur la
terre fans la pénétrer; enfin, ils augmentent de beau-
coup la réflexion des rayons du foleil, & procurent
aux feps une plus grande chaleur. Il eft vrai que comme
ces murs font faits de pierres feches, c'est-à-dire, fym-
métriquement arrangées fans mortier ni torchis, il s'en
écroule quelquefois dans les groffes pluies; mais le mal
eft bientôt réparé : on peut même le prévenir, en fai-
fant régner au-dessus du mur le plus élevé, un cordon
de groffes pierres un peu incliné, pour rompre la force
des eaux & les détourner. Il me femble que cette pra-
tique pourroit être fuivie en Italie, & même en Pro-
vence, dans le Languedoc, & dans les autres provin-
ces méridionales de la France, par des particuliers qui
poffédent des terreins montueux dont ils ne fçavent
que faire. Par ce moyen ils mettroient en culture bien
des collines, que leur rapidité a fait négliger, & ils

en retireroient de grands avantages, fur-tout fi elles font dans une bonne expofition.

1749. Avril.

fommet des

Le revers de ces montagnes, le côté qui regarde le nord, eft aride & inculte. Il ne préfente à la vue qu'un amphithéatre de rochers nuds, d'un gris d'ardoife, & taillés en parallelipipèdes verticaux, de fix à huit pieds de hauteur fur trois à quatre de largeur, dont les angles font fort tranchans: on diroit autant de précipices élevés les uns au-deffus des autres. Lorsqu'on eft par- Vûe fur le venu au fommet, on eft ravi tout d'un coup par un montagnes. point de vûe qui n'eft borné que par l'horison de la mer: on fe trouve bien au-deffus des nuages, au travers defquels on apperçoit, à douze lieues dans le fud, la Canarie & les ifles voifines. On eft auffi étonné de ce qu'au lieu de marcher fur de la terre, on ne trouve fous fes pieds que des cendres, des ponces & des pierres brûlées, dont on rencontre encore en defcendant des morceaux dispersés çà & là, mais dont la plus grande partie a été entraînée au pied des montagnes, & même jufques au bord de la mer.

pierres.

Dans les endroits où la terre étoit ouverte, je Nature des voyois au-deffous des ponces, une pierre en groffes maffes, de couleur d'ardoife, & pareille aux rochers découverts que j'avois remarqués fur la croupe des montagnes. Cette pierre a une reffemblance fi parfaite avec les pierres fondues par le feu des volcans, & la comparaison que j'en ai faite avec les laves que Mrs de Juffieu ont reçu non-feulement des volcans d'Italie, mais même de celui de l'ifle Bourbon & de plufieurs autres, établit cette reffemblance de maniere que je ne crois pas qu'on puisse ni qu'on doive lui donner un

1749. Avril,

Sources

d'eau.

Troupeaux.

autre nom. J'ai obfervé la même chofe dans les ravines, & dans la carriere qu'on a creusée aux environs de Sainte-croix : on y trouve la même pierre au-deffous d'un lit fort irrégulier de pierres brûlées. On la coupe par quartiers pour l'usage des bâtimens. L'inspection extérieure & intérieure de ces montagnes, les laves dont elles font entierement formées, & toutes les pierres brûlées qui font répandues jufques dans le lit de la mer, ne me laiffent aucun lieu de douter que chacune des montagnes qui compofent l'ifle Ténérif, ne doive son origine à un volcan particulier, qui s'est éteint après l'avoir travaillée intérieurement, comme l'est encore aujourd'hui le Pic, cette énorme montagne dont le feu fe manifeste de tems en tems.

Il n'y a point de riviere dans cette ifle à cause de fon peu d'étendue. Les habitans y suppléent par des canaux creufés dans des troncs d'arbres, qui communiquent à des fources forties à mî-côte des montagnes: de-là l'eau est portée dans la ville, qui en eft distante d'une demi-lieue. Comme cette eau est assez dure & crue, ils font dans l'ufage de la filtrer au travers d'une pierre qui eft fort commune dans leurs carrieres. C'est une efpece de lave couleur de fuye, qui tient le milieu entre la densité de la lave grife, & la porosité de la

ponce.

L'heureuse température de Ténérif, & la bonté des pâturages, contribuent beaucoup à l'excellence des beftiaux qu'on y nourrit. On y voit de beaux troupeaux de bœufs, & des chevreaux d'un goût exquis: les moutons font moins communs. On y élève des volailles de toute efpece; mais le gibier, fur-tout en

Avril.

oiseaux, y eft fort rare. J'ai remarqué que le ferin qui 1749. devient tout blanc en France, est à Ténérif d'un gris Serin de coue prefqu'auffi foncé que celui de la linotte. Ce change- leur grife. ment de couleur provient vraisemblablement de la froidure de notre climat.

Ténérif.

La paffion que j'avois pour herborifer me fit regret Plantes de ter que la faifon fût fi peu avancée. La plûpart des plantes particulieres à ce pays, étoient encore cachées dans le fein de la terre: néanmoins mes recherches ne furent pas tout-à-fait infructueufes. Je trouvai encore fur le bord de la mer deux efpeces de glacées (1), autrement appellées ficoides; le jasminoides (2) laissoit pendre du haut des précipices & des ravines, ses branches chargées de fruit en maturité; & le glayeul de Provence (3) ornoit les vallées & les prairies de fest fleurs. Je m'apperçus en courant les montagnes, que les plantes qui leur étoient particulieres, affectoient une certaine hauteur. Le kleinia (4), par exemple, & quelques plantes nouvelles, que je me propofe de faire connoître, en occupent conftamment la partie inférieure, celle où fe font communément les plantations

Ficoidea procumbens, portulaca folio. Niff. Mem. Acad. 1711.
pag. 322. pl. 13. fig. 1.

Aizoon foliis cuneiformi-ovatis, floribus feffilibus. Linn. Hort.
Upf. pag. 127.

Ficoides noftras, kali folio, flore albo. Tournef. Mem. Acad. 1705.
pag. 241.

Mefembryantheumm foliis alternis, teretiufculis obtufis, ciliatis.
Linn. Hort. Urf. pag. 129.

(2) Jasminoides Africanum, jafmini aculeati foliis, & facie. Niff. Mem. Acad. 1711. p. 320. pl. 12. fig. 1.

(3) Gladiolus utrinque floridus, flore rubro. C. B. p. 41.

(4) Kleinia foliis lanceolatis planis, caule lævi, ventricofo. Linn. Hort. Cliff. p. 395.

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