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à plomb les uns au-dessus des autres. Cette fituation n'eft guères avantageuse, & on a bien de la peine à Octobre. gagner le haut, parce que la plupart des échelons se font dérangés à force de monter, & l'on glisse souvent du côté où ils penchent; les nègres y montent cependant avec affez de facilité. L'heure du coucher du foleil qui est le signal de la fortie des maringoins, l'est auffi pour les nègres qui fe rendent fur la plateforme. Ils y foupent, ils y fument en faisant la converfation qui dure une bonne partie de la nuit, après quoi ils dorment jufqu'au jour ainfi expofés au bel air. Je n'avois pas pris la précaution d'apporter un pavillon avec moi, enforte que je couchai avec eux & comme eux, c'est-à-dire, presque nud, la grande chaleur ne permettant pas de fouffrir aucun vêtement. Les cousins étoient à la vérité moins incommodes dans cet endroit que dans les lieux couverts; mais ils fucçoient encore beaucoup de mon fang, & j'avois tous les matins le vifage couvert de boutons. Cela ne m'empêcha pas néanmoins d'y paffer des nuits fort agréables.

Indépendamment des fables, des dialogues, & des Beauté du ciel contes amufans & pleins de faillies que les nègres fai- du Sénégal, foient tour à tour, fuivant la coutume établie chez eux ; j'étois enchanté de l'aspect éclatant d'un ciel toujours ferein, où les étoiles brilloient avec une grande vivacité. Elevé fur cette plateforme, comme fur un petit obfervatoire à découvert de tous côtés, il m'étoit facile de les fuivre dans leur commune révolution d'orient en occident. Souvent je ne perdois de vûe le bord fupérieur du disque du soleil & les grandes étoiles, que lorfqu'elles fe plongeoient fous l'horifon de la

1751.

Connoiflance des nègres fur

des

mer; & il n'étoit pas rare d'y fuivre quelques étoiles Octobre. bien au-deffous de la moyenne grandeur, quoique l'on l'on ne pût les appercevoir que vers le 3o ou 4o degré de leur hauteur fur l'horison après leur lever, à cause vapeurs qui font plus abondantes fur les terres. Les nègres me nommoient auffi un grand nombre les aftres. d'étoiles qui compofent les principales conftellations, comme celles du Lion, du Scorpion, de l'Aigle, de Pegase, d'Orion, Sirius, Procyon, l'épi de la Vierge, Canopus, avec la plupart des planétes qu'ils connoiffoient affez bien. Ils diftinguoient même jufqu'à la fcintillation des étoiles qui commençoit alors à devenir sensible. Pour des gens dont les connoiffances font très-bornées, il est étonnant qu'ils raisonnent aussi pertinemment fur les aftres; & il n'est pas douteux qu'avec des inftrumens & de la volonté, ils deviendroient d'excellens aftronomes, habitans un climat où l'air eft extrêmement ferein prefque toute l'année, & où vivant dehors, ils ont toutes les commodités poffibles pour examiner à chaque inftant ce qui fe paffe dans le ciel.

Incendies or

les cafes des

negres.

Quelques jours après que je fus de retour à l'ifle du dinaires dans Sénégal, le feu prit au quartier du nord du village. Je laiffe à penfer quels progrès il devoit faire dans des cafes de paille extrêmement proches les unes des autres & defféchées par les ardeurs du foleil, étant animé par un vent affez fort de nord-eft. Les marabous eurent beau monter fur le fommet des cafes enflammées, cracher fur le feu en marmottant leurs prieres, y jettant même leurs gris-gris, & faisant mille momeries auffi ridicules, aucune des cafes où ils avoient monté ne

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Octobre.

fut épargnée; & le feu n'arrêta fa fureur que lorfque 1751. les habitans, fentans l'inutilité de ces enchantemens fuperftitieux, eurent mis tous leurs foins à jetter de l'eau & des fables pour l'éteindre. Dès le lendemain on travailla à réparer fes ravages: on rebâtit de nouvelles cafes fur le même terrein, & au bout de quelques jours on oublia tous les torts qu'il avoit faits. Les accidens du feu font fi ordinaires dans ce pays, que j'ai vû des années où il ne se passoit pas un mois, & quelquefois huit ou quinze jours, fans qu'il prît dans quelque cafe: ils font même fi terribles dans l'efque pace de cinq ans, deux fois la moitié du village du Sénégal fut incendiée & confumée en moins de vingtquatre heures dans une étendue de près de quatre cens toifes. On ignore souvent la cause de ces incendies, parce qu'ils prennent communément dans le jour & pendant les plus grandes ardeurs du soleil; & les nègres y font fi accoutumés, qu'ils y perdent peu de monde & peu d'effets, s'y attendant continuellement fans les craindre.

trop

Promenade

L'ifle de Sor eft partagée en deux parties inégales 8 Décembre. par un petit marigot dont l'embouchure eft vis-à-vis dans le mari le fort de l'ifle du Sénégal. J'y entrai pour la premiere got des crofois dans ma pirogue le 8 décembre. Ce marigot eft si étroit que les branches des mangliers qui font des deux côtés fe croisent à leurs cimes, & font comme un ber, ceau ou une allée couverte de près d'un quart de lieue de longueur. Je payai un peu chérement le fervice que ces arbres me rendoient en me défendant des ardeurs du foleil; car je fus en un moment affailli par Fort incom une multitude prodigieufe de maringoins & de groffes maringoins.

mode

par

les

1751. Décembre.

mouches (1), dont les piquûres fe font fentir auffi vivement que celles des mouches à miel. Mes nègres qui étoient nuds, furent bien autrement incommodés que moi : leur corps en étoit tellement couvert que ces infectes fe touchoient & faifoient plufieurs rangs les uns fur les autres. Je crois qu'on n'a jamais rien vû de pareil, & que toutes ces piquûres leur tirerent autant de fang qu'auroit pû faire une faignée copieufe. Il falloit que ce canal fût comme le grand chemin où les maringoins se rendent du fond du bois, qui femble être le magasin général du pays, pour fortir ensemble par nuées, & se répandre enfuite dans les villages & par tous les lieux habités par les hommes ou les animaux.

A cette incommodité près ce feroit la plus jolie promenade du monde que ce marigot, qui n'a que deux à quatre toifes de large, fur autant & quelqueFréquenté fois davantage de profondeur. Il eft fréquenté par un feaux d'une grand nombre d'oiseaux tous plus beaux les uns que grande beau- les autres, & fur-tout par plufieurs efpeces de martins

par des oi

té,

pêcheurs, dont le plumage eft peint agréablement des couleurs les plus variées & les plus vives. On y entend auffi un ramage continuel répété par les échos fonores qui fe redoublent plufieurs fois, à caufe de la multiplicité des troncs d'arbres dont il est bordé. Ses deux extrémités sont barrées par un platon ou banc de fable qui n'en permet l'entrée qu'aux pirogues: cependant en prenant l'heure des marées, on pourroit y faire paffer par le marigot de Kantaï des chaloupes, qui feMangliers roient des abatis confidérables de bois de mangliers, (1) Tabanus. Le taon.

confidérables.

1751.

dont la plupart ont douze à quinze pouces de diametre, & feroient d'un ufage merveilleux pour la char- Décembre. pente des maisons. Celui de ces platons qui fe trouve au bout oriental du marigot, est d'un fable vaseux qui découvre à mer baffe. Quand j'y paffai, une demidouzaine de crocodiles y étoient étendus au foleil, immobiles & femblables à autant de pieces de bois. couchées par terre. Toutes les fois que les nègres approchent de cet endroit, ils font fûrs d'y trouver de ces animaux ; & c'est de-là qu'ils ont donné à ce ruisseau le nom de marigot des Diafiks, qui en leur langue fignifie marigot des Crocodiles.

Je débouchai par la droite de ce platon dans le mazigot de Kantaï, où les nègres étoient alors beaucoup occupés à la pêche du lamantin. Ce poiffon dont tous les voyageurs n'ont pas manqué de parler, qu'ils ont même décrit fans le bien connoître, & qui probablement a donné lieu à la fable des firènes, mérite un affez long détail pour que je fois dispensé d'en dire davantage dans cette courte relation. Il ne fe paffe pas d'année que les nègres habitans de ces quartiers, & qui s'en réfervent la pêche exclufivement à tous les autres, n'en prennent une demi-douzaine, dont ils vendent la plus grande partie au fort du Sénégal. Cette pêche ne fe fait qu'en décembre & janvier qui font les mois les plus favorables. La chair du lamantin est un manger excellent: elle eft blanche comme celle du veau ou du cochon, & fa faveur tient de toutes les deux ; mais rarement eft-elle auffi tendre.

Pêche du la mantin.

déploie dans

En remontant le Niger au fortir des marigots de La mer fe Kantaï & de Guiara, je vis le long de la côte de Bar- le Niger,

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