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1753.

Juin.

pe

facré, peut-être parce qu'il vit communément des
tits ferpens qui font fi communs dans le voisinage, &
pour lefquels tous les nègres ont une vénération fu-
perftitieufe. Ils ne pouvoient fouffrir que je facrifiaffe
auffi hardiment leurs marabous à mes plaisirs; & ils
me regardoient comme un forcier lorsque je les tuois
du premier coup; car ils s'imaginoient que ces oifeaux
étoient invulnerables. Leur fuperftition alla même au
point que chacun d'eux me prédit que je mourrois in,
failliblement dans la journée, pour avoir commis un
fi grand crime.

Cette action ne m'avoit pas mis en bonne réputation dans l'esprit des habitans de Mouitt : j'en fus quitte cependant pour me promener plus loin. Je dirigeai mes pas vers le village de Guioel & de Guében, où je trouvai quelques-uns de ces arbriffeaux que l'on nomme Foudenn ar- foudenn dans le pays : c'est une espece d'alkanna (1) pour teindre dont les feuilles fervent aux mauresses & aux nègresses les ongles.

briffeau ufité

pour procurer fans douleur à leurs ongles un beau coloris rouge, qui fe foutient jusqu'à leur entiere réproduction. De la je continuai ma route jufqu'au village de Del; puis je revins à l'escale. Les bords du Niger étoient alors couverts dans cet endroit d'une espece de petits poiffons à peine auffi gros que la moitié d'un tuyau de plume d'oye : ils étoient d'une blancheur & d'une tranfparence femblable à celle d'un cristal : une ligne argentée, fort étroite, s'étendoit fur chacun de leurs côtés.

Relevement. Après avoir paffé trois jours aux falines de Guébenn,

de la côte de

Barbarie.

(1) Liguftrum Ægyptum, el hanne vel tamar-endi: P. Alp. Ægyp.

pag. 23.

Juin.

j'en partis le 18 au foir. Je retournai à l'ifle du Sénégal 1753. en faifant route fur la pointe de Barbarie, afin de pou-. voir la placer fur ma carte. Je fis près de trois lieues à pied, en côtoyant ses fables dans tous leurs détours depuis la barre fur la rive occidentale du Niger jufqu'au village de Gueutt, qui répond au milieu de l'isle du Sénégal. Ma pirogue me fuivoit terre à terre, & la rangeoit le plus près qu'il étoit poffible, afin d'être prête à me prendre quand mon chemin se trouvoit barré par un ruiffeau, ou par quelques-uns de ces bouquets épais de tamaris & de fanar qui croiffent çà & là fur le rivage. Dans toute cette route je ne vis autre chofe que des crabes jaunes, dont la terre étoit fi couverte, que je parcourois quelquefois des plaines de plus de cinquante toifes fans en pouvoir découvrir l'efpace d'un pied. Le liferon maritime (1) étaloit fur ces fables, avec fon agréable verdure, la pourpre de fes fleurs, qui fortoit admirablement bien fur leur blancheur, & faifoit une broderie merveilleufe. On n'y Plantes qui s'y voyoit pour tous arbriffeaux que quelques tamaris, le beidel-offar (2), le paretuvier (3), le fanar (4), le Spartium (5), le conocarpus (6); mais beaucoup de lobelia (7) & d'icaque (8). Ce dernier donne retraite à une efpece de fourmis rouges qui fe logent dans fes bran- Fourmis rot

(1) Convolvulus marinus catharticus, folio rotundo, flore purpureo.

Plum. Plant. de l'Amériq. pag. 89. planc. 104.

(2) Beidel-offar. P. Alp. Egyp. pag. 85.

(3) (4) Arbres qui n'ont pas encore été décrits.

(5) Spartium fcandens, citrei foliis, floribus albis, ad nodos confertim nafcentibus. Plum. cat. pag. 19.

(6) Conocarpus Linn. Hort. Cliff. pag. 485.

(7) Lobelia frutefcens portulaca folio. Plum. gen. pag. 11.

(8, Icaco fructu ex albo rubefcente. Plum. gen. pag. 43.

trouvent.

ges.

1753.

Juin.

L'Auteur fonge à fon retour en France.

ches: elles y forment, avec fes feuilles, une efpece de nid, d'où elles fe jettent fur les perfonnes qui ont l'imprudence d'approcher pour en cueillir les fruits, & les mordent cruellement. Je ne pouvois manquer d'être attaqué par ces infectes, ayant à traverser beaucoup de ces bois. Leur piquûre avoit quelque chofe de si venimeux, que mon vifage & mes mains furent couverts d'ampoules semblables à des brûlures, dont la douleur ne put être appaisée que par une groffe pluie que j'effuyai à l'entrée de la nuit. Elle fut accompagnée de tonnerre & d'éclairs, à la lueur defquels je traverfai le fleuve pour me rendre à l'ifle du Sénégal.

que

Dès que j'y fus arrivé, je ne fongeai plus qu'à retourner en France. Il y avoit plus de quatre ans que j'en étois abfent, & pendant ce tems j'avois eu occafion de faire une fuite d'obfervations auffi nombreuse l'on pouvoit raisonnablement efpérer dans la conceffion du Sénégal : du moins s'il en reftoit encore quelques-unes à faire, c'étoit tout au plus celles qui ne font fimplement que curieufes, qui échappent pour l'ordinaire aux yeux les plus clairvoyans, ou qui demandent un trop long féjour pour être terminées. Ces considérations fuffirent pour me déterminer : il devoit arriver plufieurs bâtimens dans le courant du mois; je me difpofai à en profiter.

Quoique j'euffe envoyé tous les ans en France un grand nombre d'animaux, des oiseaux, des poiffons, des infectes, des herbiers, des graines de plantes & d'autres productions du pays, à M de Réaumur & de Juffieu, à mefure que ces chofes s'étoient présentées; je fçavois qu'il manquoit encore bien des choses, sur

tout

tout beaucoup d'arbres & arbriffeaux qui n'avoient ja-
mais paru en Europe, pas
Europe, pas même dans les jardins du
Roi. Inftruit de la protection finguliere dont Sa Ma-
jesté daigne favoriser la botanique; excité de plus par
les ordres de M3 le duc d'Ayen, qui me parvenoient.
par les lettres de M. B. de Juffieu, je crus qu'il étoit de
mon honneur, en qualité de naturalifte & de bota-
nifte, de ne pas retourner en France fans apporter avec
moi les plantes les plus remarquables que produit le
climat brûlant du Sénégal, pour les joindre à celles
que Sa Majesté a fait rassembler des deux hémispheres,
& qu'elle entretient avec autant de magnificence que
de goût dans fes fuperbes ferres de Trianon, de Choisi

& de Paris.

Juin.

Troifiéme voyage à Po

dor.

A cet effet je réfolus d'aller encore une fois à Po- 10 Juillet. dor. Je partis le 10 de juillet avec des vents favorables. Depuis que j'étois dans le pays je n'avois vû que deux plantes de l'Europe, fçavoir le tamaris & le pourpier; & ce voyage que je faifois pour la troifiéme fois, me donna lieu de remarquer que de tous les arbres qui couvrent presque fans interruption les bords du Niger, il n'y en a pas un huitiéme qui ne foient des bois épineux très-durs, & fur-tout des acacies, d'autant plus grands & moins épais qu'ils font plus éloignés de la côte maritime. Mais ce qui me frappa davantage dans Chaffe aux ma route, ce fut une chaffe aux finges, que je fis à fix finges verds. lieues en deçà de Podor, fur les terres qui font au fud de Donaï, autrement appellée l'ifle du Coq, & qui fut d'autant plus finguliere, que je ne crois pas qu'on en ait fait de plus abondante. Le bateau ayant été obligé de rester une matinée, je mis pied à terre pour

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1753. Juillet.

un

chaffer. Ce lieu étoit fort boifé, & rempli de finges verds, que je n'apperçus que par les branches qu'ils caffoient au haut des arbres, d'où elles tomboient fur moi; car ils étoient d'ailleurs fort filentieux, & fi légers dans leurs gambades qu'il eût été difficile de les entendre. Je n'allai pas plus loin, & j'en tuai d'abord deux & même trois, fans que les autres paruffent bien effrayés; cependant lorfque la plûpart fe fentirent bleffés, ils commencerent à fe mettre à l'abri, les uns en fe cachant derriere les groffes branches, les autres en descendant à terre; d'autres enfin, & c'étoit le plus grand nombre, s'élançoient de la pointe d'un arbre fur la cime d'un autre. Rien n'étoit plus divertiffant, lorfqu'ils fautoient plufieurs enfemble fur la même branche, que de la voir plier, & laiffer tomber les derniers tandis que les premiers gagnoient pays, & que les autres restoient encore fufpendus en l'air. Pendant ce petit manége je continuois toujours à tirer dessus, & j'en tuai jusqu'au nombre de vingt-trois en moins d'une heure, & dans un espace de vingt toifes, fans qu'aucun d'eux eût jetté un feul cri, quoiqu'ils fe fuffent plufieurs fois raffemblés par compagnies, en fourcillant, grinçant des dents, & faifant mine de vouloir m'attaquer.

Mes premiers foins en arrivant à Podor avoient été de raffembler le plus de plantes qu'il étoit poffible, pour le jardin du Roi; & je fus fort heureux d'avoir recueilli & mis dans deux grandes caiffes trois cens pieds d'arbres différens avant de quitter ce comptoir : L'Auteur eft Car pendant les dernieres courses que je fis à mon recoup de fo- tour le 2 du mois d'août, aux environs de Bokol, je

2 Août.

frappé d'un

leil.

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