Imágenes de páginas
PDF
EPUB

1749. Avril.

cienx du Di

ral.

chef-lieu de la Conceffion du Sénégal; & le Directeur général y fait fa réfidence. Nous arrivâmes à l'entrée de la nuit au port oriental du fort, où nous débarquâmes. Auffi-tôt que j'eus mis pied à terre, je me rendis chez Accueil graM. de la Brue, qui étoit directeur général. Il me fit recteur génél'accueil du monde le plus gracieux. Les lettres de recommandation que je lui remis de la part de M. David, son oncle, directeur de la compagnie des Indes, qui vouloit bien s'intéreffer pour moi, eurent leur effet au-delà même de ce que j'en pouvois attendre dans un pays rempli de difficultés. Enfin il me promit de me feconder en toutes les occafions, & il le fit avec un zèle & des bontés dont les fciences lui font redevables, fi j'ai fait quelque chofe pour elles.

L'exécution fuivit de près les promeffes : j'eus la liberté de m'étendre dans le pays, de l'examiner, d'en reconnoître les productions; & pour m'en donner les moyens, M. de la Brue me procura un canot, des noirs, un interprête, enfin toutes les facilités que la compagnie des Indes fpécifia au Confeil fupérieur, dans une lettre où elle lui faifoit connoître fes intentions.

de l'ifle du Sér

négal.

Arrivé dans un pays si différent à tous égards de Defcription celui d'où je fortois, & me trouvant, pour ainfi dire, dans un nouveau monde, tout ce que je voyois fixoit mon attention, parce que tout m'inftruifoit. Ciel, climat, habitans, animaux, terres, végétaux, tout étoit nouveau pour moi; je n'étois accoutumé à aucun des objets qui fe préfentoient. De quelque côté que je tournaffe mes regards, je ne voyois que des plaines fabloneuses, brûlées par les ardeurs du foleil le plus

1749.

Avril.

n'é

violent. L'isle même fur laquelle je me trouvois, toit qu'un banc de fable de 1150 toifes de longueur, fur 150 ou 200 toifes au plus de largeur, & prefque Largeur du de niveau avec les eaux du fleuve. Elle le partageoit en deux bras, dont l'un à l'orient avoit environ 300 toifes, & l'autre à l'occident avoit près de 200 toises de largeur, fur une profondeur confidérable.

Niger vers cette ifle.

Nègres du Sénégal.

fons ou cafes,

par

Malgré sa stérilité, cette isle étoit habitée par plus de trois mille nègres, attirés par les bienfaits des blancs au service defquels la plûpart font fort attachés. Ils y Leurs mai- ont bâti leurs maifons, ou autrement leurs cafes, qui occupent plus de la moitié du terrein. Ce font des efpeces de colombiers ou de glacieres, dont les murs font de rofeaux bien joints les uns aux autres, & foutenus des poteaux plantés en terre. Ces poteaux ou piquets s'élevent à la hauteur de cinq à fix pieds, & fupportent une couverture ronde de paille, de même hauteur, & terminée en pointe. Chaque cafe n'a que le rez-de-chauffée, & porte depuis dix jusqu'à quinze pieds de diamètre. Il n'y a pour toute ouverture qu'une feule porte quarrée, encore eft-elle fort baffe, & fouvent avec un feuil élevé d'un bon pied au-dessus de terre; deforte que pour y entrer il faut incliner le corps en levant fort haut la jambe, ce qui fait prendre Leurs lits. une attitude auffi ridicule que gênante. Un ou deux lits donnent fouvent à coucher à toute une famille, y compris les domeftiques, qui font pêle-mêle & côte à côte de leurs maîtres & des enfans de la maison. Ces lits confiftent en une claie pofée fur des traverses, foutenues par de petites fourches, à un pied au-deffus de terre. Une natte qu'ils étendent deffus, leur tient lieu

pas

1749. Avril. Leurs meu

de paillasse, de matelas, & pour l'ordinaire de draps &
de couverture; pour des oreillers, ils n'en connoiffent
point. Leurs meubles ne les embarrassent
beau-bles.
coup : ils se bornent à quelques pots de terre, qu'on
appelle canaris, à des calebasses, des fébilles & autres
utenfiles femblables.

pierres.

Toutes les cases d'un même particulier font fermées Tapade, ce d'une muraille ou paliffade de roseaux d'environ fix que c'est. pieds de hauteur: on donne à ces fortes de murs le nom de tapade. Quoique les nègres gardent peu de fymmétrie dans la pofition de leurs maisons, les françois de l'ifle du Sénégal les ont accoutumés à observer une certaine régularité & une uniformité dans la grandeur des tapades, qu'ils ont reglées de maniere qu'elles forment une petite ville, percée de plusieurs rues bien alignées & fort droites. Elles ne font point pavées, & heureusement elles n'en ont pas befoin, car on fe- Rareté des roit fort embarraffé de trouver la moindre pierre à plus de trente lieues à la ronde. Les habitans tirent même un parti plus avantageux de leur terrein fabloneux : comme il est fort profond & très-meuble, il leur fert de fiége; c'est leur fopha, leur canapé, leur lit de repos. Il a encore quelques autres bonnes qualités; c'eft que les chûtes n'y font point dangereuses, & qu'il eft toujours d'une grande propreté, même après les plus grandes pluies, parce qu'il imbibe l'eau facilement, & qu'il ne faut qu'une heure de beau tems pour le fécher. Au refte, cette ville ou village, comme on voudra la nommer, eft la plus belle, la plus grande, & la plus réguliere de toutes les villes du pays: on y compte, comme je l'ai déja dit, plus de trois

1749. Avril.

Taille des hommes.

Leur habillement.

femmes.

mille habitans: elle a plus d'un quart de lieue de longueur, fur une largeur égale à celle de l'ifle, dont elle occupe le centre, affez également distribuée aux deux côtés du fort qui la commande.

On peut dire que les nègres du Sénégal font les plus beaux hommes de la Nigritie. Leur taille est pour l'ordinaire au-deffus de la médiocre, bien prise, & fans défaut. Il est inoui qu'on en voie de boiteux, de boffus, de noués, à moins que ce ne soit par accident. Ils font forts, robuftes, & d'un tempérament propre à la fatigue. Leurs cheveux font noirs, frifés, cotoneux & d'une fineffe extrême. Ils ont les yeux noirs & bien fendus, peu de barbe, les traits du visage affez agréables, & la peau du plus beau noir. Leur habillement ordinaire confifte en un petit morceau de toile qui leur passe entre les cuisses, & dont les deux bouts relevés en haut & pliffés, forment une efpece de caleçon qui fe ferme avec un cordon par devant : c'eft ainfi qu'ils couvrent leur nudité. Ils ont auffi une pagne, c'est-à-dire, une piece de toile de coton, de la figure d'une grande ferviette, qu'ils paffent négligemment fur l'une des deux épaules, en laissant flotter un bout fur leurs genoux.

Taille des Les femmes font à peu près de la taille des hommes, également bienfaites. Leur peau est d'une finesse & d'une douceur extrême. Elles ont les yeux noirs, bien fendus; la bouche & les lèvres petites, & les traits du vifage bien proportionnés. Il s'en trouve plufieurs d'une beauté parfaite. Elles ont beaucoup de vivacité, & fur-tout un air aifé de liberté qui fait Leur habil- plaifir. Elles fe fervent, pour fe couvrir, de deux

lement.

pagnes, dont l'une qui fait le tour de leur ceinture, descend jusqu'aux genoux, & tient lieu de jupon; l'autre leur couvre les deux épaules, & quelquefois la tête. Cet habillement est assez modefte pour un pays fi chaud; mais elles fe contentent pour l'ordinaire de la pagne qui leur couvre les reins, & quittent l'autre pour peu qu'elle les incommode. On juge bien qu'elles ne font pas long-tems à s'habiller, ou à fe deshabiller, & leur toilette est bientôt faite.

que

1749. Avril.

negres Oua

Ĉomme l'isle du Sénégal est de la dépendance du Caractere des royaume d'Oualo, les nègres qu'on y voit, fur-tout l les libres, font de cette nation. Ils font, généralement parlant, d'un naturel doux, fociable & obligeant. Ceux que la Compagnie entretenoit à mon service, étoient Oualofes, comme ils fe difent, ou par corruption Yolofes.

gue.

J'employai les premiers mois de mon arrivée, non- L'Auteur apfeulement à étudier les mœurs & le caractere des ha- prend leurlanbitans, mais encore à apprendre la langue oualofe, qui eft la plus répandue dans le pays : car je n'ignorois pas qu'elle me feroit d'une grande utilité, & même d'une néceffité indifpenfable, pour les recherches que je me propofois. Dans cette vue je les fréquentois, & me trouvois avec eux le plus fouvent qu'il m'étoit poffible. Enfin quand je me crus affez inftruit de leurs ufages, familiarifé avec leurs manieres, & en état de fçavoir comment je me comporterois dans une terre qui faifoit depuis long-tems l'objet de mes plus ardens defirs, je penfai à me répandre de côté & d'autre. Les fables mouvans de l'ifle du Sénégal, des chien- Ile de Sor. dens, des mangliers & quelques liferons ne suffisoient

« AnteriorContinuar »