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1749. Juin,

rompue par

gros-yeux. Ils les ont en effet d'une grandeur qui n'a aucune proportion avec celle de la tête. La forme de leur corps, & celle des pieds qui font divisés en trois doigts, les rapprochent fort de l'outarde. Ils ont la groffeur de la poule, & le plumage d'un gris cendré mêlé de blanc. Leur chair eft tendre & peut fe manger. Ma chasse ne pouvoit manquer d'être fort abondante dans la prairie, car le gibier de toute espece y est exChaffe inter- trêmement commun : mais elle étoit interrompue à les criards. chaque inftant par les cris aigus & importuns d'une efpece d'oifeaux appellés uett-uett par les nègres, & criards ou pialards par les françois, parce que dès qu'ils voient un homme, ils fe mettent à crier à toute force & à voltiger autour de lui, comme pour avertir les autres oiseaux, qui, dès qu'ils les entendent, prennent leur vol pour s'échapper. Ces oifeaux font le fléau des chaffeurs : ils font fûrs par-tout où ils en rencontrent, de trouver la place vuide de gibier peu de tems après qu'ils y font arrivés. Ceux-ci me mirent dans une impatience qui leur coûta cher ; comme ils vont toujours deux à deux, j'en tuai plusieurs paires, parmi lesquelles il s'en trouva de deux efpeces. Toutes deux ne furpaffoient guères la groffeur du pigeon; mais elles étoient haut montées fur jambes, & avoient le vol affez long. La couleur de l'une de ces deux efpeces, étoit un gris cendré qui fe répandoit fur le dos & les aîles, tout le reste de fon corps étoit blanc. L'autre efpece avoit les aîles & une partie de la queue noires, & fes épaules étoient armées d'une petite corne noire, affez longue, de la forme & de la dureté d'un ergot, qui lui fervoit d'arme offenfive & défensive pour fe battre contre les autres oiseaux,

Juin.

23.

du Sénégal.

Nous étions au huitième jour de notre voyage, 1749. lorfque la traite finit, & que nous penfâmes à retourner à l'ifle du Sénégal. Les maures qui ne s'étoient Retour à l'ifle rendus à cette escale que pour y vendre leurs beftiaux, ayant confommé les fourages des environs, s'étoient difpofés à aller camper dans un autre endroit, & même à fe retirer vers des montagnes fort éloignées dans le nord du fleuve, pour en éviter les inondations que les premieres pluies de juin avoient depuis peu annoncées. Leurs tentes étoient déja pliées; ils les avoient mifes avec leurs meubles & utenfiles, dans des facs de cuir paffé fort proprement. Le tout étoit chargé fur des chameaux & fur des boeufs, qui portoient leurs maifons, leurs meubles, leurs femmes & leurs enfans. Telle eft la vie des maures: ils ne font jamais fixes dans un lieu leurs troupeaux qui, font toutes leurs richeffes, les obligent de changer de quartiers, felon que les faifons & les pâturages le demandent.

Décampe maures.

ment

des

Peu de tems après mon retour à l'ifle du Sénégal, il fe préfenta une occafion d'aller à Podor, comptoir. de la Compagnie, distant de foixante lieues ou environ de cette ifle, fur le fleuve Niger. Le bâtiment devoit aller & revenir fans s'arrêter : néanmoins je m'y embarquai. Mes nègres ne fe firent pas prier pour me fuivre, & fe rangerent avec l'équipage. On fit voile 30: le 30 juin, en remontant le fleuve à peu près de l'oueft ge à Podor. à l'eft. Les vents furent fi favorables, qu'on arriva en trois jours à Podor. Une navigation si précipitée ne me permettant pas de defcendre à terre, j'en profitai pour relever le cours du fleuve. J'obfervois les diffé- ger,

Premier voya

Précautions pour lever le cours du Ni

Juillet

1748. rentes largeurs de fon lit, celle des embouchures des rivieres qu'il reçoit, l'angle que celles-ci forment en y entrant, la rencontre des ifles, & leur longueur ; je fondois auffi fa profondeur; enfin je ne négligeois rien de ce qui pouvoit donner à mes obfervations une plus grande exactitude, me fervant de la bouffole pour marquer les changemens de direction dans fon cours, mefurant de tems en tems fa vîteffe, ou celle du bâtiment; & ajoûtant quelquefois à ces deux moyens l'eftime de la grandeur des distances, dont j'avois une pratique auffi heureuse qu'on la puiffe defirer. Excepté quelques platons femés çà & là dans le lit du Niger, & que l'on évite quand les vents ne font pas tout-àfait contraires, on eft für de le trouver navigable partout. Quoiqu'il fût alors dans fa plus grande décrûe, il avoit depuis vingt jufqu'à trente pieds & davantage de profondeur. L'eau de la mer, qui y remonte année commune jusqu'au dessus du marigot des Maringoins, à quinze lieues environ de fon embouchure, avoit gagné cette année jufqu'au désert, c'està-dire, à plus de trente lieues. C'est à peu près le terme où s'arrêtent les eaux falées; mais le flux & le reflux Les marées de la mer fe fait fentir beaucoup plus haut; il parvient jufqu'au deffus de Podor, où il fe rend fenfible par le gonflement des eaux douces du fleuve, qui éprouvent les mêmes alternatives, mais en des tems moins égaux. La plus grande hauteur du flux que j'ai mefuré fur le bord de la mer, vis-à-vis l'isle du Sénégal, n'est que de deux pieds & demi dans les grandes marées des A plus de 60 équinoxes. Il paroît donc que le Niger depuis Podor jufqu'à la mer, c'est-à-dire, fur foixante lieues de

font fenfibles à Podor.

lieues de la

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cours, n'a guères plus de deux pieds & demi de pente;
deforte qu'on peut croire que toute cette étendue de
pays fait, à l'exception des dunes qui y font répan-
dues çà & là, une plaine baffe au-delà de l'imagina-
tion, & d'un niveau tel s'il arrivoit que
que
la mer
se gonflât également par-tout de vingt à trente pieds,
elle feroit totalement couverte de fes eaux.

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dor.

1749.

Juillet.

pays.

Le fort de Podor eft bâti fur le bord méridional du Fort de Po Niger, dans un lieu autrefois couvert de bois; mais la quantité que les françois en ont coupé depuis plus de dix ans qu'ils s'y font établis, a reculé la forêt d'une petite demi-lieue. On y voit des tamariniers de la plus Bois de se belle taille, des gommiers rouges, & plufieurs autres efpeces d'acacies épineufes, dont le bois extrêmement dur, imite par la couleur & la beauté de ses veines, ceux que nous employons dans la marqueterie. Le bois-bouton, efpece différente de celle qui croît en Amérique, y eft fort commun. La facilité avec laquelle fon bois fe laisse travailler, & fa belle couleur jaune, le font préférer à tous les autres dans les ouvrages de ménuiferie. Il eft connu chez les nègres fous le nom de khoss. Le terrein gras & argilleux de ce pays favorife beaucoup les travaux du jardinage. Auffi fon terrein, les françois cultivent-ils avec un grand avantage plufieurs variétés d'oranges, de citrons, de limons; la figue, la grenade, la goyave, & beaucoup d'autres fruits excellens, comme l'ananas, la papaye, & le pignon (1), espece de cachiment qui peut paffer pour

(1) Anona maxima, foliis latis fplendentibus, fructu maximo viridi conoide, tuberculis feu fpinulis innocentibus afpero. Sloan. Jam. vol. 2. Lab. 225. fig. 1.

Fertilité de

1749. Juillet.

Remarque

leurs.

un des meilleurs fruits des pays chauds. Tous les légumes d'Europe y réuffiffent en perfection. Ils recueillent fans peine les racines de batates, qui multiplient confidérablement dans les champs humides & marécageux où ils en ont une fois planté : cette racine leur tient lieu de châtaignes & de marons, dont les meilleurs lui cèdent en bonté & en délicateffe. Les autres fruits par leur acidité, leur fournissent des fucs plus convenables à des habitans de pays chauds.

Pendant le peu de jours que je reftai à Podor, le fur les cha- thermometre me donna 1 degré de chaleur de plus que je n'avois eu fur l'ifle du Sénégal avant mon départ: il marquoit depuis 30 jufqu'à 31 degrés. Le 5 juillet, il étoit encore à 30 degrés à sept heures du foir, après le coucher du foleil, dans l'expofition la plus froide de l'air libre au nord déclinant à l'est.

Force furprenante de l'autruche.

à

Le même jour deux autruches qu'on élevoit depuis près de deux ans dans ce comptoir, me donnerent un fpectacle qui eft trop rare pour ne pas mériter d'être rapporté. Ces oiseaux gigantefques, que je n'avois apperçus qu'en paffant dans les campagnes brûlées & fabloneufes de la gauche du Niger, je les vis là tout à mon aife. Quoique jeunes encore, elles égaloient très-peu près la taille des plus grosses. Elles étoient fi privées, que deux petits noirs monterent ensemble la plus grande des deux : celle-ci n'eut pas plutôt fenti ce poids qu'elle fe mit à courir de toutes les forces, & leur fit faire plufieurs fois le tour du village, fans qu'il fût poffible de l'arrêter autrement qu'en lui barrant le paffage, Cet exercice me plût tant, que je voulus le faire répéter; & pour effayer leurs forces, je fis monter

un

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