Les François répondirent au Roy d'une maniere extrêmement fiere. Ils dirent qu'à fa confideration l'on permettoit à Roger de fortir lui deuxiéme de Carcaffonne, & de fe retirer où il lui plairoit, pourvû qu'il livrât fur le champ la Ville où l'on étoit refolu de ne faire nul quartier aux heretiques. Une réponse fi dure portée jufques dans Carcaffonne irrita le Vicomte fans l'épouventer : il fit dire au Roy qu'il étoit en état de rendre fes ennemis plus traitables; & le Monarque voyant fa médiation inutile, fe retira le cœur plein d'un mécontentement qu'il diffimula de tems en tems, mais qu'il n'oublia jamais entierement comme on en fera convaincu lors qu'on le verra venir à la tête de cent mille hommes combattre les Croifez.

Auffi-tôt qu'il fut parti les Mangoneaux & les Perrieres avancerent vers les murailles du fecond Faux-bourg, & lancerent une infinité de pierres & de traits; la plus terrible des machines, étoit celle qu'on nommoit Cat, c'est à dire rufé, rien n'étoit plus fimple, & rien n'étoit plus efficace, C'étoit une espece de chariot, couvert

que

& revêtu de peaux toutes fraîches, pour-amortir le feu que jettoient les Albigeois. On pouffoit ce chariot jufqu'à leur contrefcarpe; & quand on avoit rempli les foffez de fafcines on le faifoit rouler vers la muraille, à laquelle il attachoit le mineur. Lors les Croifez firent avancer cette machine à travers le foffé, les affiegez firent mille efforts pour y mettre le feu, & ils en vinrent à bout: il fembla que le Ciel s'entr'ouvroit pour vomir la foudre; le chariot fut confumé, mais cependant les Croisez qu'il avoit conduit au pied de la muraille avoient abattu affez de pierre pour se loger dans l'épaiffeur du mur, & ils le fapoient impunément. Au point du jour on entendit tomber la muraille avec un fracas épouventàble, que les cris des afficgez & des affiegeans rendirent encore plus affreux. Le François monta à l'affaut, & au lieu des ennemis, qui ne l'avoient pas attendu, il ne trouva que de l'or, de l'argent, des meubles, de la vaiffelle & des chevaux : le Soldat fit un butin ineftimable; le camp, les tentes & les habits des Vainqueurs commencerent à briller, & ceux qui

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n'avoient point encore eu part au pillage, accoururent de tous côtez. Le Vicomte de Beziers ne leur donna que le tems neceffaire pour croire qu'il n'y avoit rien à craindre; car plus refolu que jamais, lors qu'on le croyoit confterné, il vint fe jetter fur les François, & les rompit entierement: on douta lequel des deux partis avoit fait une perte plus confiderable, ou celui qui avoit perdu tant de richeffes, ou celui qui avoit perdu tant d'hommes. Roger en fe retirant mit le feu au Faux-bourg, qu'il ne pouvoit plus défendre, & tâcha d'animer de plus en plus fa garnison par le fouvenir de fon dernier avantage.

La Ville étoit encore dans l'état où Hift. de Alaric Roy des Goths l'avoit misę; Carcaff à cela prés, que les murailles s'étoient par de Beffe. endurcies en vieilliffant. On fe fouvenoit que Charlemagne, du tems des Sarrazins, l'avoit tenue affiegée pendant plufieurs années, fans pouvoir la forcer; & ce que les gens du païs racontoient de ce Siege, étoit furprenant. Ils difoient qu'une Amazone Sarrazine, nommée Carcas, vid périr tous fes Soldats ; qu'elle fe trouya feule à défendre fa Citadelle, &

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qu'elle fit paroître fur les Tours des hommes de paille chacun avec fon arbaleftre, dont elle décochoit des traits tantôt d'un côté, tantôt de l'autre: qu'ayant ramaffé les bonnets des morts, elle en mettoit fucceffivement de differentes couleurs fur fa tête, pour montrer que la Place avoit une nombreuse Garnifon, & que n'ayant plus qu'une tres-petite mefure de bled, elle la fit manger à un cochon qui lui reftoit, & le jetta par deffus les murailles, afin que les François venant à l'ouvrir, ils jugeaflent de l'abondance où étoient les affiegez, puis qu'ils prodiguoient le bled & les animaux; que Charlemagne ennuyé de la longueur d'un Siege fi malheureux, le leva & que Carcas alors contente de la gloire qu'elle avoit aquife, porta à cet Empereur les clefs de fa Place, fe fit Phrétienne, & époufa un des Seigneurs François dont font defcendus les Comtes de Carcaffonne: Cette fable amusoit le fimple Soldat, & la perfuafion où on étoit que les Villes des environs tenoient pour les Albigeois, & que leurs Garnifons coupoient fans ceffe Les vivres aux Croisez, inspiroit à

Roger & à fes amis une pleine fecu rité.

Ce Vicomte ne fçavoit pas que la lâcheté dont il avoit donné des marques à Beziers trouvoit plus d'imitateurs, que le courage avec lequel il agiffoit à Carcaffonne. Prés de cent petites Places qu'il croyoit être dans fes interefts avoient ouvert leurs portes à l'Armée Catholique, & l'Abbé de Cifteaux fans employer les enchantemens dont les Affiegez l'accufoient, entretenoit l'abondance & le bon ordre dans le camp des Affiegeans.

Outre cela, les chaleurs exceffives de cette année, aufquelles Roger ne s'étoit pas attendu, vinrent à deffecher de telle forte les puits & les cîternes de la Ville, que les Albigeois fe virent en peu de femaines dans le trifte état & dans l'accablement dont Beranger leur Evêque les avoit menacez quelque tems auparavant, lors qu'ils le chafferent de leur Ville.

Les Croisez ne fçavoient pas qu'ils étoient à la veille de prendre Carcaffonne; & une démarche qui n'étoit que l'effet de leur crainte les en rendit maîtres encore plûtôt que les Albigeois n'avoient compté. Un Seigneur