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les plaifirs avoient féduit fans lui fai re perdre fes belles qualitez, n'étoit pas d'humeur à fe laiffer maltraiter impunément. Il avoit des amis, il ramaffa des troupes, & prétendant que la vente des biens de fon pere étoit fimulée, il déclara la Guerre à Pierre de Courtenay. Celui-ci de fon côté fe mit en campagne, & les deux Armées fe battirent auprés de Cofne: Hervé demeura maître du champ de Coquil le, Hift bataille & de la perfonne du Comte de Niv. de Nevers, qu'il fit prifonnier. La Victoire fut fi complette, que Pierre ne put recouvrer la liberté, qu'en reftituant à Hervé toute la Comté dé Gien, & en lui donnant en mariage fa fille unique Mahaut, avec le Nivernois, dont elle étoit heritiere: Ce qu'il y eut de plus étonnant, c'est qu'Hervé en dépouillant fon ennemi, fçût toutefois meriter fon eftime & fon affection; Pierre qui devint quelques années aprés Empereur de Conftantinople, le cheriffoit uniquement, comme s'il eût été fon propre fils.

J'ai dit que l'Armée des Croifez P. de V avoit fait à Hervé l'honneur de le choifir pour General, & cette diftinction le fâtoit agreablement; car plus

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on fe fent de merite pour un grand emploi, plus on a de fatisfaction de voir que le fuffrage du public en juge de la mefme maniere. Mais foit qu'Hervé apprehendât encore que Pierre de Courtenay pendant fon abfence ne voulût rétablir fon autorité dans le Nivernois & dans la Comté de Gien; foit (comme il y a beauуа coup d'aparence) qu'un Etat paifible de trente à quarante lieuës, dans le plus beau païs du monde, le long des bords de la Loire, lui parût preferable à la qualité de General de la Croifade; foit enfin qu'il eût déja formé la refolution, qu'il executa depuis d'aller avec la Comteffe Mahaut fa femme aux Croifades de la Palestine,, il refufa le tiltre de General.

Ce ne fut pas le feul chagrin qu'eurent les Catholiques. Odon Duc de Bourgogne, Prince d'un Sang qui ne lui permettoit pas d'être infénfible à la gloire, trouva fort mauvais qu'on lui cût preferé le Comté de Nevers, & il fut encore plus choqué lors qu'aprés le refus de ce Seigneur, on vint le prier de continuer la Guerre, il refufa cet emploi avec hauteur, il vouloit. qu'on choifît un General ennemi de

fon concurrent. Le Comte de fon côté, perfuadé que le cœur & l'inclination des Troupes étoient dans fes interefts contre le Duc traver foit les brigues des Bourguignons, & ne propofoit que des perfonnes qu'il jugeoit devoir être defagréables au Duc.

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Heureufement l'Abbé de Cifteaux avoit fur les deux Princes le mefme empire qu'il avoit fur le refte de l'Armée; & dés qu'il leur propofa de remettre la décifion de ce grand démêlé à fept Arbitres, qui feroient agréables à l'un & à l'autre, ils y donnerent les mains. Ces Arbitres, qui furent l'Abbé lui-mefme, deux Evef ques, & quatre Seigneurs, dont l'Hiftoire ne marque point les noms, firent paroître leur fageffe en choififfant le Comte de Montfort.

Il n'étoit pas le plus puiffant des Seigneurs Croifez: mais c'étoit, fans contredit, la meilleure tête qu'il y eût dans l'Armée. Incontinent aprés ce choix l'Abbé de Cifteaux, Odon Duc de Bourgogne, & Hervé Comte de Nevers, qui ne pouvoient avoir de fentimens differents fur le merite de Montfort, allerent avec empreffer

ment lui en porter la nouvelle. On lui dit que c'étoit à fa bonne conduite que l'Armée laiffoit le foin de conferver les Conquêtes qu'on avoit fai-. tes, & d'abattre le refte des hereti-. ques; que de protecteur de deux belles Comtez il meritoit d'en devenir le maître, & qu'on alloit agir auprés des Puiffances pour lui en obtenir l'inveftiture; que pour réparer le mal qu'avoit caufé le Vicomte de Beziers par fon attachement à l'erreur, il falloit un Chevalier auffi fage, auffi zélé, auffi heureux qu'il l'étoit. Simon de Montfort ne fe laiffa point ébloüir par l'éclat de la Grandeur qui venoit fe prefenter; il répondit ainfi qu'il le penfoit, que fi l'honneur qu'on lui faifoit l'obligeoit à une éternelle reconnoiffance, l'importance de la Charge étoit au deffus de fes forces ;. qu'il ne convenoit pas au Comte de Montfort l'Amaury de fe charger d'un fardeau que le Duc de Bourgogne & le Comte de Nevers n'avoient pas voulu porter.

On vid alors qu'un homme d'un merite extraordinaire peut quelquesfois refufer de grands Emplois, fans fe mettre en danger de les perdre.

Loin d'écouter les excufes de Mont-fört, on lui fit les plus agreables & les plus flâteufes inftances; on lui dit que fon experience pouvoit fupléer à tout; le Legat & le Duc de Bourgogne fe jetterent à fes pieds, & le conjurerent d'être le Machabéé dé fon fiecle; que pour le devenir il lui fuffi foit de vouloir l'être. Montfort con-tinuoit à fe défendre fur ce qu'il n'avoit point les fonds neceffaires pour foûtenir la Guerre, & fur ce que les Croifez contens d'avoir fervi les quarante jours neceffaires pour gagner les Indulgences, alloient fe retirer Mais le Legat qui penetroit naturellement jufqu'au fond des cœurs, s'avifa d'un moyen qui ne pouvoit manquer d'avoir fon effet. Il commanda au nom de JESUS-CHRIST à Montfort de facrifier fa vie, & mefme fon honneur, s'il étoit neceffaire, pour le service de la Religion. Montfort étonné de cette propofition, craignit d'offenfer Dieu, s'il s'opofoit aux volontez du Legat; & comme ce He ros craignoit plus un peché qu'il ne craignoit tous les heretiques du monde, il fe chargea en brave Chevalier de la caufe de JESUS-CHRIST.

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