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par où il étoit forti. Realmont aprit par là que les digues qu'il opofoit à la valeur des Croifez ne faifoient rien autre chose, en arrêtant le torrent qui menaçoit la Ville, que le groffir de plus en plus, & augmenter les forces, en l'obligeant de tomber de plus haut & avec plus de bruit. Environ le mefme tems Bernard Comte de Co-. minges, un des plus confiderables de ceux qui favorifoient fecrettement les Novateurs, vint offrir fes fervices à la Ligue & le fait dont Pierre de Vaucernay parle 'en cet endroit eft trop fingulier, & marque trop bien le génie des Albigeois pour l'omettre. Dans les principes des heretiques, c'étoit l'indice d'un Traité pernicieux que d'éternuër une fois en le faifant: il ne falloit pas demander quel raport il y avoit entre l'éternuëment & une convention heureufe ou malheureufe. En fait de fuperftition, plus la chose eft déraisonnable, plus on y croit aifément du myftere. Or comme le Comte de Cominges fe mettoit à genoux devant Montfort pour lui faire hommage, le General éternua; un homme de bon fens n'y eut pas feulement fait attention, le Comte de Co

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minges en fut épouventé, il fe releva brufquement, & il s'en alla confulter Les amis fur ce qu'il dévoit faire. On ne put jamais le détromper ; car comment defabafer un efprit foible, qui pofe pour principe qu'il ne faut pas écouter la raifon? La crainte néanmoins de paroître Albigeois, & d'être arrêté fur le champ, le força à donner des marques de fon refpect à Montfort. Il lui fit un ferment, mais il le viola auffi-tôt qu'il fut en lieu de: fûreté.

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Realmont qui commandoit dans Lavaur avoit tiré, comme on l'a dit, de grands avantages d'un chemin qu'il avoit ouvert fous les murailles, & par où il faifoit enlever les fafcines que les Croifez jettoient dans les foffez les Ingénieurs de la Ligue employerent enfin un moyen qui rendit fon artifice inutile. Au lieu des fafcines que les François avoient jetté pendant plufieurs jours, & qui étoient enlevées fans peine, on lança vers l'ouverture du chemin des arbres entiers, dont les branches s'étendoient de telle forte, qu'il étoit impoffible. de les tirer comme des fafcines. Cela feul cependant n'eut pas été capable

de dompter les Albigeois, qui cuffent pu fortir la hache à la main pour couper les arbres; auffi n'en demeurat'on pas là précisément. En mefme tems qu'on pouffà les arbres, on les couvrit de bois fec, d'étoupe, & de tout ce qui eft en ufage pour précipiter l'action du feu ce ftratagême étoit d'autant plus artificieux, que les Albigeois n'en pénétrant point la raifon, croyoient que le Soldat François perdoit l'efprit, de brûler luimefme ce qu'il jettoit dans le folfé; les Ennemis redoublerent leurs cris de joye, & leurs infultes, lors qu'ils virent que les Croifez lançoient des bottes d'herbes vertes & mouillées. fur le feu qu'ils venoient d'allumer. On rit quelquefois de ce qui va caufer fa perte; la fumée ne pouvant plus s'élever en l'air, arrêtée qu'elle étoit par les herbes mouillées qui couvroient le bûcher, entra comme un tourbillon dans le chemin par où les Ennemis venoient dans le foffé, &. le leur rendit impraticable, pendant que Montfort animant fes de gens l'œil, de la voix, de la main, fit paffer jufqu'à la muraille de Lavaur une machine remplie de mineurs, qui

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firent fi bien leur dévoir, que les pier res, le feu, les armes, la bravoure & la refolution des Afliegez n'eurent rien d'affez puiffant pour arrêter leur travail. Les Croifez fapperent fi vivement la muraille, qu'elle tomba le Le 3. de lendemain avant que les Ennemis May. euffent, eu le tems de fe retrancher pour difputer le terrain. Lavaur fut forcée à fe rendre à difcretion. Les Catholiques entrerent l'épée à la main dans la Ville, & ils n'y trouverent que les parens & les amis des Albigeois, qui avoient fervi le Comte de Foix dans le maffacre des Allemans; ainfi, à quelques femmes prés, dont un Seigneur François obtint la grace, le refte fut regardé comme des monstres, dont il falloit purger la terre. On alluma des bûchers dans tous les quartiers de la Ville, on y brûla juf qu'à quatre cent heretiques, on fit pendre Aymery de Realmont ; les autres Officiers de la Place, au nóm•bre d'environ quatre-vingt, furent Chron, paffez au fil de l'épée. Un nouveau d Aux. crime, dont on trouva la Dame de Lavaur coupable, fit inventer pour elle de nouveaux fuplices. Veuve qu'elle étoit depuis long-tems, elle.

déclara qu'elle portoit un enfant dont elle fuplioit qu'on attendît la naiffance ; & l'on fçût d'ailleurs que c'étoit le fruit malheureux de l'incefte où elle vivoit, les uns difent avec fon frere Realmont, les autres avec fon propre fils. La colere des Croifez fit paroître le crime encore plus affreux: Ils faifirent la Dame, ils la précipiterent dans un puits, & le comblerent de pierres, pour effacer, s'il étoit poffible, la memoire d'un fi honteux defordre; dont l'excez aprend combien on doit avoir d'horreur pour les heretiques, qui fous prétexte de réforme condamnent le Mariage, & ouvrent la porte aux plus infames libertina

ges.

Il faut ajoûter, qu'au milieu des fuplices, dont on puniffoit fi rigoureufement les Albigeois, il arrivoit quelquefois des chofes furprenantes, qui étoient aux Catholiques des motifs pour continuer avec la mefme feverité. Luc de Tuy, dont les Ecrits font fi pleins d'efprit & de politeffe, en raporte un Exemple memorable dans les Livres qu'il a écrits contre les Albigeois : Un Vieillard fort riche, à qui l'âge avoit affoibli la raison, &

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