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dépouiller les morts, & à piller le convoi que les Croifez conduifoient à Caftelnaudary, le Maréchal de Levy & Bouchard de Marly rallierent une partie des fuyards; & venant d'un côté charger les heretiques au même tems que le Comte de Montfort arrivoit de l'autre, en vain le Comte de Foix fe battit comme auparavant, & vid tomber à fes pieds les trois fils du Châtelain de Lavaur. Les efcadrons Albigeois, quoi que couverts de fer, fe rompirent; le plus grand nombre des heretiques abandonna d'abord ceux qui vouloient tenir ferme. Un moment aprés Sicard de Puylaurens, Pepios, Porade, Bernard de Foix, & les autres Chefs lâcherent pied. Le Comte de Foix lui-même victorieux & battu dans une feule journée, invincible par fa perfonne, vaincu dans fes Troupes., fut entraîné par les amis, & il eut le chagrin de voir fes propres Soldats contrefaire les Croifez, & tuer les Albigeois qu'ils pouvoient atteindre, ne voyant plus que çe feul moyen d'éviter la mort.

Savary de Maulcon n'avoit pas été plus heureux; car quoi qu'il fût allé à l'affaut de la Ville, avec l'agréable

nouvelle que le Comte de Foix avoit renverfé le fecours des Croifez, un petit nombre de Chevaliers qui reftoient dans Caftelnaudary oferent lui faire tête : ils le contraignirent même de battre en retraite avec les Anglois & les Gafcons, qui conçûrent une fi haute idée de la valeur des Troupes Françoises, que dans la fuite ils ne pûrent jamais tenir devant elles. Peu de tems aprés Louis de France, fils de Philipe- Augufte força Maulcon à fuir devant lui de Ville en Ville,.. jufqu'à ce que ce General étant venu à la Rochelle, & n'ayant plus de retraite, il en partit pour fe refugier ena Angleterre.

Cependant Montfort reconnoif foit tenir uniquement du Ciel la Vic-toire qu'il venoit de gagner. Il déil cendit de cheval à la porte de Caftelnaudary, & il marcha pieds nuds. jufqu'à l'Eglife pour benir Dieu qui venoit de le rendre Victorieux. Un jour fi heureux ne pouvoit mieux : finir que par de telles réjouiffances.

On ne s'imaginera jamais quels furent les bruits qui coururent dans le Languedoc & dans la France immédiatement aprés le grand avantage dess

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Catholiques fur leurs ennemis. Ce
n'étoit pas eux qui avoient vaincu
c'étoit les heretiques; & par un arti-
fice affez nouveau, le Comte de Foix
dépêcha de toutes parts des Couriers
pour publier que Montfort avoit été
défait & pris par les Albigeois, qui,
pour venger le Languedoc des maux
incroyables qu'il y avoit caufé, l'a-
voient écorché & pendu à un gibet,
où fon cadavre aprenoit aux ufur-
pateurs & aux ambitieux ce qu'ils
avoient à craindre de Dieu & des
hommes. Le mal étoit que des con-
tes fi extravagans paffoient pour des
veritez; car une Armée du côté des
Albigeois, & environ cinq cent hom-
mes du côté de Monfort, fembloient
être une preuve à laquelle perfonne ne
pouvoit refifter. Les Villes de Mon-
taigu, de Galliac, de Cufac, de Saint
Marcel, de la Guefpie, de Saint An-
tonin, retournerent dans l'obéïffance
du Comte de Touloufe, & elles ne
firent en cela qu'imiter Pechelaurent,
Caffor, Saint Felix, Montferrand;
Saint Michel, Saverdun, qui leur
avoient donné, il y avoit déja quel-
que tems, l'exemple de la révolte.

La maniere dont une de ces Villes

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fe défit de fa Garnifon, & en fut en même tems punie, eft finguliere... L'Officier qui commandoit pour les Croifez dans Grane (c'eft le nom du lieu dont il s'agit) penfoit plus à fe. faire aimer qu'à fe faire redouter des Bourgeois; foit que l'humeur Francoife, qui n'eft pas défiante, le portât à la douceur, ou qu'il ne fçût pas. affez qu'il faut le faire craindre à des Peuples nouvellement domptez; & non pas leur demander de l'amour, que nous ne donnons gueres à ceux qui nous chargent de chaînes. Les habitans de Grane connurent bien-tôt le caractere de leur Gouverneur ; & un artifan de la Ville qui travailloit dans le Château leur ayant promis de leur rendre la liberté, s'ils le vouloient, ils accepterent avec plaifir fon: offre; car quoi qu'on n'ait aucun fujet particulier de haïr un nouveau conquerant, fa domination paroît ordinairement odieufe. L'execution ne tarda pas, l'artifan coupa la tête au Gouverneur, qui fut affez indif-cret, ou plûtôt affez malheureux, pour venir feul regarder de prés dans des tonneaux que ce méchant homme. étoit venu relier. Dés que les Bourg

geois le fçûrent, ils attaquerent brufquement la Garnifon qui étoit éperduë de la mort de fon Commandant. A un crime fi précipité le Ciel avoit deftiné un châtiment auffi prompt. Baudouin frere du Comte de Touloufe, mais Catholique auffi zélé, que fon frere étoit paffionné fauteur de l'herefie, marcha tout à coup vers Grane avec un cortege & des marques qui pouvoient perfuader qu'il étoit le Comte de Touloufe. Les Bourgeois furent tellement convaincus que le Comte venoit les feliciter fur la generofité avec laquelle ils s'étoient delivrez de leur tyran, qu'ils fortirent en foule pour lui faire plus d'honneur & fe jetterent ainfi dans les mains de Baudouin, qui les fit traiter comme ils avoient traité leur Garnifon, ordonnant qu'on fît main-baffe fur eux.

Par cette execution rigoureufe les. Catholiques commençoient à détromper les Peuples de la fauffe perfuafion où ils étoient du fuccez de la derniere Bataille; & Montfort fortant de Castelnaudary acheva de faire connoître quel étoit le Vainqueur car fuivi de quelques Chevaliers qui venoient d'arriver de France fous la

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