Imágenes de páginas
PDF
EPUB

cidens fe changeoient pour lui en des malheurs incomparables. En effet, ayant remis le Bourgeois entre les mains de la Nobleffe, qui penfa beaucoup plus à humilier le jeune homme qu'à le faire fouffrir; les Habitans de Beziers, aux dépens de qui l'on plaifantoit à l'occafion de ce qui venoit d'arriver, prirent fait & caufe pour leur compatriote avec autant d'ardeur & de vivacité, que fi Trincavel avoit facrifié toute la Ville aux caprices de la Nobleffe. Le Vicomte qui aimoit tendrement fes fujets, & que les malheurs paffez avoient accoûtumé à prendre les voyes de la douceur, fit dire aux Magiftrats qu'il donneroit à fa Ville de Beziers les marques d'af fection qu'elle voudroit, & pour cela il fe rendit à la Cathedrale avec fon Evefque & une Cour nombreuse: Le jeune Bourgeois qui pretendoit avoir été maltraité, demandoit fatisface tion, & le Vicomte chargea l'Evefque & les Seigneurs de fa fuite de re gler ce qu'il devoit dans cette occas fion à la Ville, fupofé qu'il lui dût quelque chofe. Vous ne fçauriez me rendre l'honneur que vous m'avez ravi, s'écria le Bourgeois infolent ; c'é

toit là le fignal. Lui & les Conjurez tirerent les épées qu'ils avoient fous leurs habits, & marcherent au Vicomte. Ils cafferent les dents à leur Evefque, qui voulut les arrêter, & ils poignarderent le Prince avec tous les Seigneurs qui l'acompagnoient.

Ce meurtre arma toutes les Puif fances contre la Ville de Beziers. Le Pape excommunia les Bourgeois, & les Princes voifins ayans le Roi d'Arragon à leur tête vinrent affieger la Ville. La neceffité de yaincre ou de mourir infpira plus de courage aux habitans, que la paffion de venger Trincavel ne donna de force aux Alliez. On ne put jamais prendre la Ville, & on crut gagner beaucoup de faire un Traité de Paix, par lequel les Bourgeois de Beziers s'obligerent à recevoir pour maître Roger fils de Trincavel, à condition néanmoins qu'il oublieroit le meurtre de fon Pere: mais rarement & difficilement on oublie un attentat de cette nature. La Nobleffe des Diocefes de Beziers & de Carcaffone, pour irriter le jeune Vicomte, lui reprochoit fecrette ment qu'il avoit vendu le fang du Vicomte fon Pere, & Roger qui ne

[ocr errors]

s'expliquoit pas, avoit encore plus d'ardeur pour venger fa Maifon, qu'on ne vouloit lui en infpirer.

Sous pretexte de défendre le païs contre fon ancien ennemi le Comte de Toulouse; il fit venir d'Arragon les meilleures Troupes de ce Royaume. Les Arragonois venoient à petites bandes de cinq & fix ; ceux de Beziers qui redoutoient la puiffance des Touloufains, faifoient toutes les honnêtetez imaginables à leurs Altiez. Ils les logeoient dans la Ville, & fuivant la coûtume des hommes qui oublient tres-aifément le mal qu'ils ont fait aux autres, ils n'observoient pas que Beziers fe rempliffoit de Troupes Efpagnoles dévouées au Hift. du fils de Trincavel. Cependant auffitôt que les Arragonois jugerent qu'ils étoient en affez grand nombre pour Neub. faire main-baffe fur les Bourgeois qui ne fe doutoient de rien, ils les égorgerent impitoyablement. Roger compta pour rien la mort de tant de milliers d'hommes, & il récompenfa les Miniftres de fa colere par la ceffion generale qu'il leur fir des biens de ceux qu'ils avoient maffacrez.

Lang.

Guill.

de

A ces cruels affaffins il falloit une

,

Morale du caractere de celle des Albigeois, qui difpenfoit les hommes de l'obligation de reftituer & de faire penitence. De là vint que l'erreur fit des progrés incroyables dans Beziers. & dans les autres Villes de la domi nation de Roger.

En même tems l'herefie prenoit de jour à autre de nouvelles forces dans la Comté de Touloufe: Les Albigeois y devenoient les maîtres, & ils étoient les feuls dont on admiroit l'efprit & là politeffe; on croyoit faire honneur à quelqu'un de foupçonner qu'il avoit quelque liaifon avec eux. Car on ne connoiffoit prefque point encore à découvert ceux qui étoient veritablement Albigeois. Les intri gues des Heretiques, fi nous en croyons Henry Abbé de Clairvaux un des plus dignes fucceffeurs de faint Bernard, étoient, pour ainfi dire des cercles où l'on cherchoit en vain une fin & un commencement. Ces impofteurs, continue le même Auteur, étoient des Dains qui s'élançoient hors des mains de ceux qui penfoient les tenir ; c'étoient des ferpens qui n'échapoient jamais avec plus de facilité, que quand on les pref fait davantage.

1178. Hove

den.

Le plus confiderable des nouveaux Manichéens fe nommoit Pierre Moran: il poffedoit de tres-grandes richeffes; l'avarice & les plaifirs n'étoient pas fes paffions, il vouloit conduire les ames, & dominer fur les confciences. C'étoit là fon foible. L'efperance d'avoir part à fes largeffes faifoit goûter fes manieres au petit peuple, & la grace avec laquelle il parloit faifoit attendre long-tems & fans peine fes liberalitez. Son grand âge feul le rendoit venerable. Quoiqu'il fût laïque, il prêchoit vétu d'une riche Dalmatique ; & il avoit dit fi fouvent qu'il étoit S. Jean l'Evan→ gelifte, que ceux de fa fecte en étans convaincus accouroient de toutes parts & l'écoutoient comme un oraɩ cle. Moran attaquoit la Divinité de JESUS-CHRIST tantôt à découvert, & tantôt avec des mots équivoques.

Il admettoit deux JESUS, pour détruire plus aifément le JESUS veritable: Il parloit d'un Jefus invifible. & d'un Jefus vifible. Selon lui, le Jefus invifible eft l'oracle d'une Jeru falem celefte, fituée dans un autre monde, & c'eft ce Jefus qui a operé ·les prodiges dont il eft parlé dans l'E

« AnteriorContinuar »