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livra au bras feculier. Le fuplice d'Euraud Protecteur des Albigeois, & Gouverneur ou Intendant de la Province pour les Comtes de Nevers, fut ce qui fit plus de bruit. Octavien Legat du Pape, le voyant à Paris, l'obligea de rendre compte de fa Religion; & Hugues Evefque d'Auxerre, furnommé le fleau des Bulgares, l'ayant convaincu d'herefie, on le fit brûler au milieu de la Ville de Nevers, dont il avoit été long-tems le fcandale & le tyran.

En mefme tems que la Religion reprenoit fes forces dans le Nivernois, Reinier & Guy Legats d'Innocent pour la Province Ecclefiaftique de Narbonne, avoient parcouru le Languedoc fans avoir d'autre fruit de leur voyage que celui d'être inftruits par eux-mêmes de la confufion generale où étoient les chofes. Le Pape, loin de perdre courage, redoubla fes foins:

&

parce que l'efprit du Chriftianisme ne régnoit alors nulle part davantage que dans l'Ordre de Cifteaux, où tout fe reffentoit de cette odeur de vertus que tant de Saints, & en particulier l'illuftre Abbé de Clairvaux 1204. S. Bernard y avoient répandu; il re

1203.

on

P. de V.

folut d'en tirer des hommes Apoftoli- Annales ques, dont la Sainteté pût meriter la de Cibenediction du Ciel, & dont la fcien- fteaux. ce pût arrêter le cours des erreurs. Le choix qu'il fit fut auffi heureux, que fes intentions étoient droites. Il tomba fur Arnauld Abbé de Cifteaux, & fur deux Religieux de Fontfroide, Maison du mefme Ordre, dont le premier avoit nom Pierre de Châteauneuf, & le fecond Raoul.

Arnauld forti de la Maifon des Ducs de Narbonne joignoit en fa perfonne des chofes qui paroiffent prefque incompatibles, une vertu parfai te & une politique fine. Les Religieux le trouvoient digne d'être leur Superieur, parce qu'il étoit un Saint, & le monde le trouvoit propre à conduire les plus importantes entreprifes, parce qu'il étoit habile à fournir des expediens pour toutes chofes. On ne fçavoit quelquefois pourquoi l'on fe rendoit à fes fentimens, & om s'y rendoit néanmoins. Il eut la confiance entiere d'Innocent III.

Pierre de Châteauneuf étoit animé du feu que l'Ecriture donne au Prophete Elie. Ses menaces étoient terribles, & fuivies prefque toûjours des

Anathémes de l'Eglife; il ne déguifoit en rien la verité aux Grands. Ses difcours contre les Dogmes & la Morale des Manichéens le rendirent le principal objet de leur haine, & lui procurerent enfin la Couronne du Martire. Raoul avec un courage auffi ferme dans le fond, avoit un efprit plus doux; & fi l'on eût pu gagner les Albigeois par la moderation, par la pratique des plus faintes vertus par la force des raifons, il les auroit

convertis

Les nouveaux Legats, conforme→ ment aux ordres de Rome, partirent pour Touloufe: Ils eurent d'abord fujer de croire qu'ils avoient réuffi car ils tirerent des habitans une proteftation formelle de fidelité à l'Eglife. Bien-tôt aprés ils s'aperçurent que les promeffes des Touloufains étoient plus fpecieufes que folides, & ils écrivirent au Pape que les Miffions n'étoient plus un moyen fuffifant pour arrêter le mal: que fans fcrupule on fe fervoit des Vafes facrez & des faints Livres pour les plus honteux Matth. ufages: qu'on baptifoit publiqueParis. ment à la maniere des Albigeois, c'eft. à dire, qu'on obligeoit les Catholi

ques à renoncer à la Foy de l'Eglife Romaine, & à fe laiffer fouffler fept fois dans la bouche, moyennant quoi, leur difoit-on, il n'y avoit qu'une feule chofe à craindre pour eux; c'étoit que les Miniftres qui leur avoient. ainfi donné l'efprit, ne commiffent. quelque peché, dans lequel cas le don qu'ils avoient communiqué fe perdoit: mais en découvrant le mal qui étoit à craindre, on faifoit connoître le remede; il confiftoit, difoit-on, à recevoir de nouveau le Baptefme toutes les fois que la vertu des Miniftres avoit femblé fe démentir.

Les Legats ajoûtoient que Raymond de Rabaftens Evefque de Touloufe, & fucceffeur de Fulerand, étoit un homme inquiet, qui ne pouvoit vivre en paix, ni avec foi-même, ni avec fes Diocefains ; qu'il étoit devenu infame, par le trafic des chofes faintes, que depuis trois ans qu'il étoit Evefque, il foûtenoit la guerre contre un Gentilhomme de fes vaffaux, fans fe mettre en peine du progrés que faifoient les Albigeois ; que l'Archevefque de Narbonne, & l'Evefque de Beziers effrayez de la tempête qui agitoit leurs Dioceses, aban

donnoient leurs Eglifes, & ne vou loient faire aucun acte de jurifdiction contre les Novateurs ; qu'à parler en general, les defordres des Ecclefiaftiques étoient fi crians, qu'il étoit pref que impoffible de regarder ces indignes Pasteurs autrement que comme des loups; qu'on ne trouvoit aucun accés auprés des Seigneurs de Touloufe & de Beziers, & qu'il n'y avoit plus que la colere & les menaces de Philipe-Augufte qui fuffent capables de les retenir.

Les avis des Legats étoient trop importans pour être negligez, fous un Pontificat où les interefts des Particuliers ne troubloient point le cours des affaires, parce que le Pape conduifoit tout par lui-mefme. Innocent qui avoit déja porté fes plaintes à la Cour de France, écrivoit de tems en tems à peu prés dans les mefmes termes; il avertiffoit Philipe - Augufte que le Seigneur avoit établi la Dignité de Pontife & celle de Roy pour la confervation de l'Eglife; que l'une étoit pour nourrir fes enfans, & l'au tre pour les défendre; celle-là pour inftruire les ames dociles, celle-ci pour dompter les rebelles ; que la pre

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