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aux Albigeois, que felon le raport de Bernard de Ville-neuve, qui avoit été un des Juges, environ cent cinquante de ceux qui en furent témoins, parfaitement détrompez des préjugez qu'ils avoient eu en faveur de l'herefe, fe convertirent. Il arriva en mefme tems quelque chofe de miraculeux: Un heretique montrant aux Albigeois une lettre de S. Dominique, on lui dit en riant qu'il falloit la jetter au feu, que la flâme l'épargneroit infailliblement, & qu'un fi grand miracle convertiroit toute la Ville. On jetta la lettre au feu par trois fois, & on ne pût la faire brûler: les heretiques en furent épouventez; néanmoins plus déterminez à couvrir le deshonneur de leur cabale, qu'à écouter la voix de la grace, ils tâcherent de perfuader que ce qui venoit d'arriver étoit l'effet du hazard; excepté un feul, qui étant de meilleure foy que les autres, publia hautement le prodige, & fe rendit Catholique.

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De tels fuccez aprirent qu'il ne falloit defefperer de rien; c'eft pourquoi pendant que Raoul & l'Evefque d'Ofme continuoient leurs fonctions, Pierre de Châteauneuf convaincu

qu'on pouvoit encore trouver d'autres remedes plus efficaces, paffa du Languedoc en Provence, & preffa fans relâche les Seigneurs du Païs de terminer la Guerre qui les divifoit ; & il les réunit dans le deffein d'exterminer les Albigepis. Enfuite dequoi fe voyant en état de parler avec plus de fermeté à Raymond Comte de Toulouse, il vint le trouver, & luireprefenter qu'il falloit fe déclarer ou le protecteur ou l'ennemi de l'Eglife: le protecteur, en fe joignant aux Pro vençaux, ce qui lui feroit infiniment glorieux; l'ennemi, en refusant d'agir unanimement avec eux pour déraeiner l'herefie, refus qui feroit une tache éternelle à fon nom. Raymond répondit en homme qui fe tenoit fûr de tromper le Legat, & de ne lui point laiffer voir qu'il le trompoit.

Tantôt il fe plaignoit de quelque injuftice faite à fes Alliez; & tantôt il difoit que les conditions de Paix qu'on lui avoit propofées étoient honteuses. Il proteftoit qu'il ne s'opoferoit à rien de ce que les Legats voudroient faire ; & il ajoûtoit, qu'eux de leur côté ne devoient pas prendre parti dans les démêlez qu'il

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avoit avec les Voifins ; qu'à la fin de la Guerre il s'attacheroit aux Catholiques, mais que pendant qu'il étoit aux mains avec les ennemis on ne pouvoit trouver mauvais qu'il confervât dans fes Troupes ceux qui avoient du zélé pour fon fervice, foit qu'ils fuffent Catholiques, foit qu'ils euffent le malheur de ne le pas être.

Le Legar ne pouvant plus douter des difpofitions de Raymond, fe laiffa emporter à cet efprit de force qui éteint dans le cœur des hommes Apoftoliques la crainte que la Majefté des Princes a coûtume d'infpirer : & jugeant qu'il étoit honteux pour l'Eglife de ne donner nulle marque éclatan-1207. te de fon indignation, il excommu nia le Comte de Touloufe.,

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Le fier Touloufain fut autant étonné du coup qu'on lui porta, qu'il s'y étoit peu attendu, & que ce coup yenoit plus mal à propos dans un tems où les terres étoient remplies de Miffionnaires qui agiffoient infatigablement fous les ordres de l'Abbé de Cifteaux, de l'Evefque d'Ofme, de Rioul, de Châteauneuf, & qui paffoient pour prédire l'avenir, pour faire des miracles, & pour avoir un

empire abfolu fur les confciences. La politique lui aprit qu'il valoit beaucoup mieux arrêter la colere de Châteauneuf par quelque foûmiffion fein-te, que de méprifer fon excommuni-cation, qui alloit être un pretexte aux mécontens pour troubler le Langue doc. Ainfi fans changer de cœur Raymond changea de langage, & donna lieu de croire que pour peu. qu'on voulût fufpendre l'excommu nication qu'on venoit de porter, on l'alloit trouver le Prince du monde le mieux intentionné pour l'honneur de l'Eglife.

Les Miffionnaires furent trompez par de fi belles aparences, & acorderent à Raymond ce qu'il demandoit. Les Abbez s'en allerent au Chapitre general de leur Ordre. Le faint Evef que Dom Diegue fit un voyage pour regler les affaires de fon Diocefe, &: il y mourut au milieu des projets que fon zéle lui faifoit former pour la converfion des heretiques. On perdit: en même tems le faint homme Raoul, dont les travaux avoient été trop grands dans un corps déja ufé par la rigueur de la penitence. De forte que Châteauneuf reftoit prefque feul à

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foûtenir le poids des affaires. Le
Comte de Touloufe s'en aperçût, &
il efpera qu'il ne feroit pas impoffible
de mettre ce Legat hors d'état d'agir.
Il le fit prier de venir à S. Gilles
refolu de l'y arrêter, foit par adreffe
foit par force; & le faint Homme à
qui Raymond promettoit d'accepter
les conditions qu'il lui propoferoit de
la part
du Pape, accourut avec joye,
mais ce n'étoit plus le mefme Comte
qui avoit donné fa parole. Maître de
celui qu'il regardoit comme un enne-
mi injufte & violent, il fe plaignit de
l'outrage qu'on lui venoit de faire en
l'excommuniant. Quel droit à Rome,
difoit-il, de demander que je figne un
Traité de Peix qui m'arrache mon pro-
pre bien? qu'on me faffe rendre justice.

je quitte les armes. On veut que je chaffe les Albigeois des terres de ma domination, & l'on ne veut pas voir qu'il eft impofble de les forcer à quitter un pais qu'ils font en état de défendre con tre les plus formidables Armées. Quet fujer a-t'on de fe plaindre?

On vous conjure, Seigneur, repli-que Châteauneuf, d'oublier pour un tems la pourfuite de quelques legers interêts à cause du danger extrême on

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