mêlée de tendreffe, ce lit qui avoit été le theâtre de fes plaifirs: puis elle léve contre le Ciel un œil de courroux, fe faifit de l'épée de l'infidéle préfent destiné, hélas ! à d'autres ufages, & fe précipite cruellement fur elle. Quelle fureur profonde ! Qu'elle attention dans cette Reine à accroître fon défefpoir ! Quelle réflexion dans fes geftes & dans fes attitudes ! Tout annonce le plus vigoureux & le plus fublime pinceau qui ait jamais été. On peut étendre l'application du principe que j'ai pofé, aux paffions diverfes, à leurs dégrés & à leurs nuances on pourra auffi faire de même pour ceux que j'établirai dans le cours de ce Chapitre : j'abandonne les détails aux réflexions des Amateurs & des Artiftes. Il me fuffit de les prévenir qu'ils ne fçauroient trop étudier les tempéramens des perfonnages qu'ils doivent repréfenter; ce n'eft que par-là qu'ils parviendront à les rendre aux yeux des Spectateurs avec la derniere exactitude & précifion ils doivent porter leurs obfervations fur cette matiere auffi loin : que les Peintres, puifque tout fameux Chanteur a droit de dire avec le Corrége: Ed io anche fon Pittore. Les différences d'âge en produifent encore dans les paffions; dans la jeuneffe, les organes & le cœur ne font point ufés par une longue habitude de fentir: de-là vient qu'ils fe portent avec impétuofité vers tous les objets qui fe préfentent à eux fous les traits du bonheur ; c'eft pourquoi on peut dire en général, que les perfonnes qui jouent à l'Opéra les rôles de jeunes Héros ou de jeunes Dieux, doivent avoir un jeu extrêmement vif & animé. Comme dans l'âge mur le cercle de nos connoiffances s'étend, & que par conféquent le nombre de nos défirs croît, & que d'ailleurs les objets n'ont plus pour nous le charme de la nouveauté; auffi l'amour eft alors moins entreprenant bien plus, il n'eft qu'une paffion en fecond; l'intérêt, l'ambition marchent le plus fouvent devant lui, ou du moins à fes côtés : quand il fe fait jour au - dehors, il fe cache fous le mafque de paffions férieufes & tranquilles le maintien des Acteurs chantans qui repréfentent ces fortes de perfonnages, doit être férieux & tendre, tranquille & paffionné. Pendant la vieilleffe, le fang dépourvu de fa premiere chaleur ne circule qu'avec peine; le fentiment & l'imagination perdent toute leur vivacité on eft défabufé par une longue expérience du vain éclat des objets qui nous avoient charmés : à cet âge l'amour a prefque tous les airs de l'amitié, il n'eft plus redoutable; il est tranquille & difcoureur; il faut que dans les geftes, les yeux & la contenance d'un Chanteur, on life l'âge de ces paffions fexagénaires qui font effort pour fe produire. Il n'en eft pas de même de l'ambition: : comme elle s'éleve feule fur les débris des autres paffions dans le cœur d'un vieillard, elle y exerce un empire tyrannique: aufli elle demande de la part des chanteurs une action forte & même impétueufe, qu'ils doivent avoir foin d'affortir aux conditions des perfonnages qu'ils jouent. Les conditions différentes ont des caractères particuliers de nobleffe ou de grandeur, de douceur ou de naïveté, de rudeffe ou de fierté; des yeux intelligens retrouvent dans les paffions des hommes leur état; elles fe produifent fous les traits de la majefté chez les gens de diftinction; leur tendreffe a quelque chofe de grand & de fin tout enfemble; leur amour eft, pour ainfi dire, un amour de qualité cette même paflion est toute divine chez les Dieux. Ceux qui font destinés à repréfenter les Héles Rois où les Dieux fur nos théâtres lyriques, ne fçauroient trop fe rendre familiers les manières & les airs nobles; ils ne fçauroient trop imiter l'action majeftueufe & touchante de Mlle Le Maure qui rendoir avec tant de naturel les rolles de Divinités, qu'elle fembloit avoir été pétrie par les Dieux dans l'Olympe. Baron avoit coutume de dire qu'un Comédien devroit avoir été nourri fur les genoux des Reines. ros, C'est une chose peut-être à remarquer que celui qui met le plus de majesté dans fon jeu, eft l'homme de condition. Qu'il joue le rolle de Neptune; Les traits majestueux, fes geftes males, la nobleffe de fon port, la fierté de fes attitudes, qui infpirent le refpect & la frayeur, annoncent le Dieu des Mers. L'action doit être tout autre quand l'on a à représenter un perfonnage de Berger. Comme cet état eft un état d'innocence, de candeur & de tendreffe, toutes ces qualités doivent fe faire remarquer dans le jeu d'un Acteur. Il peut fe faire que les conditions foient mêlées; je veux dire qu'un fils de Roi, ou un Héros foit caché fous un habit de Berger; pour-lors, on doit laiffer entrevoir ces deux conditions dans tout fon extérieur. Si Paris Berger chante, & qu'il faffe le premier l'aveu de fes feux à la Nymphe Denone; toute fa perfonne doit avoir quelque chofe de naïf & de fin, de fimple & de noble, d'empreffé & de timide; il faut que l'amour & le refpect, le défir & l'inquiétude, l'efpoir & la crainte fe peignent dans fes regards, fur fon vifage & dans fes manières, qui doivent laisser deviner que c'eft un Berger Prince qui aime une Nymphe. Avec quelle vérité, |