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(1) Bochart mia, quæ renovabantur quotannis (1).

Chan. 1. 1.
C. 15.

Ceux qui ne feront pas fatisfaits de la conjecture de Bochart, peuvent adopter celle que je vais propofer. Minerve, parmi plufieurs autres noms, eut celui d'Hellotis ; & voici l'occafion pour laquelle il lui fut donné. Les Doriens ayant mis le feu à la ville de Corinthe, Eurithion & Hellotis, qui étoient deux fœurs, fe retirerent dans le Temple de cette Déeffe, & y perirent. La pefte ravageant enfuite tout le pays, l'Oracle fut confulté, & on apprit qu'il falloit appaifer les mânes des deux filles que je viens de nommer: on bâtit un Temple à Minerve Hellotide, & on inftitua une fête sous ce nom. Les Crétois ayant dans la fuite honoré Europe comme une Déeffe, lui donnerent le furnom de Minerve, & célebrerent en fon honneur la fête qui étoit confacrée à cette Déeffe parmi les Corinthiens. Ce qui confirme encore cette opinion, c'eft que les Sidoniens,pour confoler Agenor,mirent auffi cette Princeffe au rang des Déeffes, & confondirent le culte qu'ils lui rendoient, avec celui d'Aftarté; ce qui a fait dire à Lucien, que l'une & l'autre n'étoient qu'une même Divinité.

N'oublions pas de dire que plufieurs Auteurs ont cru que cette Princeffe avoit donné fon nom à l'Europe; mais le fçavant Bochart croit avec plus de raifon, que cette partie du monde fut ainsi appellée à caufe de la blancheur de ses habitans, comme je l'ai dit dans l'origine des Fables. On pourroit cependant penser qu'Europe ayant été ainfi nommée à caufe de fon extrême blancheur, on auroit donné fon nom à cette partie du monde, dont les habitans font blancs. Il faut bien, au refte, que cette Princeffe ait été extrêmement blanche , puifque les Poëtes inventerent à ce fujet la fable, qui dit que la jeune Angelo, fille de Jupiter & de Junon, avoit dérobé le fard de fa mere, pour le donner à Europe, qui s'en fervit fi heureusement qu'elle devint d'une extrême blancheur, comme nous l'apprend le Scholiafte de Theo

crite.

Au bruit de l'enlevement d'Europe, Agenor fon pere Roi de Phenicie, la fit chercher de tous côtés, & ordonna à ses enfans de s'embarquer, & de ne point revenir fans l'avoir

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trouvée.Hygin (1) nomme les trois Princes qu'Agenor envoya (1) Fab.178. à fa découverte. Le premier étoit Cadmus, qui fixa fon féjour dans la Béotie; le fecond Cilix, qui s'arrêta dans la partie de l'Afie mineure, qui depuis a porté le nom de Cilicie; & le troifiéme Phenix, qui paffa dans l'Afrique. C'est ainsi que les Poëtes & les Mythologues racontent ce fait; mais Conon, dans Photius (2), dit que le véritable fujet du voya- (2) Narr. 37. ge de Cadmus, ce qu'on doit auffi entendre de fes deux freres, étoit l'efpérance qu'il avoit de faire quelque conquête dans l'Europe, & d'y établir fa Colonie, ajoutant que l'enle vement de fa fœcur n'avoit été réellement que le prétexte de fon voyage.

Cadmus ayant parcouru une partie de la Grece fans en apprendre de nouvelles, fongea à s'établir dans la Béotie, où il fit bâtir la fameufe ville de Thebes, fur le modele de celle d'Egypte dont il étoit originaire; ou pour parler plus jufte, une citadelle qui fut appellée de fon nom Cadmée, & jetta les fondemens de la ville de Thebes, bâtie par fes fucceffeurs, & environnée de murailles par Amphion. Il n'y a rien que de fort naturel dans un pareil établissement, & une narration toute fimple auroit fuffi pour nous en transmettre l'hiftoire ; mais ce n'étoit pas ainfi que les Grecs travailloient pour la pofterité. On mêla dans ce récit tout le merveilleux dont on put s'avifer. Cadmus, dit on, ayant envoyé fes Compagnons dans un bois confacré à Mars, y puifer de l'eau pour un facrifice qu'il vouloit offrir aux Dieux, avant que de jetter les fondemens de fa nouvelle ville, un Dragon qui avoit la garde de ce lieu, les dévora, & Cadmus, pour venger leur mort, combattit & tua ce monftre, en fema les dents, d'où fortirent des hommes armés: on ajouta qu'il jetta une pierre parmi eux; ce qui les troubla si fort, qu'ils s'entrebattirent & fe tuerent tous, excepté cinq, qui lui aiderent à bâtir la ville dont nous venons de parler : (a) ce qui lui coûta cher dans la fuite, comme on le dira. (a) Martigenam illi agreffus belluam

Magnus Europa quaftor, anguineo

Repente hoftes peperit feminio, & pugnatâ illac pugná

Frater trudebat fratrem hafta & galea. Plaut. Amphitr. A&t. 4. Ovid. Met. liv. 3.
Apollod. 1. 3. &c.

Ceux qui ne veulent pas approfondir ces fortes de matie(1) Liv. cité. res, fe contentent de dire après Palephate (1), & quelques au (2) Premier tres (2), que ce dragon étoit un Roy du pays, nommé DraSupplément de Velleius.

chofes in

croyables.

(4) Chan.

Pref. & ch.19. du liv. I.

que

co, fils de Mars; que fes dents myfterieufes étoient fes fujets, qui fe rallierent après fa défaite ; que Cadmus les fit tous perir, excepté Ectonius, Edéus, Hiperenor, Pelore & Echion, qui fe rangerent de fon parti. Ou bien avec He(3) Liv. des raclite (3), que Cadmus tua en effet un ferpent qui causoit beaucoup de défordre dans la Béotie; ce qui étoit affez ordinaire dans les pays où l'on alloit établir quelque colonie. Mais Bochart (4), & après lui M. le Clerc (5), croyent la fable vient de ce qu'un même mot Phénicien fignifie (5) Sur He- les dents d'un ferpent, ou bien des javelots garnis d'airain, & celui qui fignifie le nombre de cinq, fignifie auffi armé. Ainsi les Grecs qui écrivoient l'histoire de ce Chefi de colonie fur les Annales Phéniciennes au lieu de dire Cadmus arrivant dans leur pays, avoit armé fes Soldats de javelots garnis d'airain, de cafques & de cuiraffes, ce qui étoit alors toutà-fait nouveau dans la Grece, ils aimerent mieux dire à l'aide de l'équivoque, & cela étoit bien plus de leur goût, qu'il avoit cinq compagnons nés des dents d'un ferpent (a).

fiode.

,

que

Et certes rien ne prouve mieux que c'étoit une expreffion figurée qui avoit donné lieu à cette fable, que ce que (6) Liv. 2. raconte Herodote (6) de Pfammeticus Roi d'Egypte, qui ayant été relegué dans des marais, fit confulter l'Oracle de Latone, qui lui apprit qu'il feroit rétabli par des hommes d'airain fortis de la mer; ce qui lui parut d'abord une chimere. Cependant quelques années après, une troupe d'Ioniens qui avoient été obligés de relâcher en Egypte, parurent fur le rivage avec leurs armes & leurs cuiraffes d'airain, & ceux qui les apperçûrent rapporterent au Roi que des hommes armés de cuiraffes pilloient la campagne. Ce Prince comprit alors le fens de l'Oracle, & ayant fait alliance avec eux, il remonta fur le Trône. Ces hommes d'ailleurs fortis

(a) La même Phrafe qui devoit fignifier confcribere exercitum virorum armatorum cufpidibus aneis, fut interpretée par celle-ci; Fecit exercitum quinque virorum armatorum ex dentibus ferpentis. Bochart, liv. cité.

de la mer, & ces autres fortis de terre, ne font autres que des Soldats qui aiderent Cadmus & Pfammeticus à rétablir leurs affaires; & ce qui confirme la conjecture de Bochart, c'eft que ce fut Cadmus qui porta en Grece, ou qui inventa l'ufage des cuiraffes & des javelots, ainsi que nous l'apprend Hygin.

Cependant je crois que fans tant de rafinement on peut très-raisonnablement penfer que ces hommes fortis de terre & des dents du Dragon, étoient des gens du pays que Cadmus trouvale moyen de mettre dans fes intérêts, & qui l'ayant aidé à fe défaire de fes ennemis, lui fervirent dans la fuite à bâtir la citadelle qui le mit à couvert des infultes de fes voifins.

Suivant la Fable rapportée par Ovide (1), par Apollodore (2) & par Seneque (3), l'Oracle avoit appris à Cadmus, qu'au lieu où il trouveroit une vache, il devoit y bâtir une ville, ce qu'il fit ; & c'eft pour cela qu'il donna au pays le nom de Béotie, Baotia, à bove. Mais cette fiction n'eft fondée que fur l'ignorance ou la credulité des Grecs, qui ne fçavoient pas que Cadmus avoit donné ce nom au pays où il s'étoit établi, à cause de la qualité de fon terroir couvert de boue & de marécages, comme le remarque encore Bochart (4).

Cadmus après avoir regné long-temps dans la Béotie avec fa chere Hermione (a), il fe forma contre lui une conjuration, & il fut chaffé. Obligé de fe retirer avec fa femme & fon fils Polydore dans l'Illyrie, il y mena une vie fort cachée (b); ce qui fit peut-être publier après fa mort qu'il avoit été changé en ferpent, comme Ovide (5) & Plaute (6) nous l'apprennent (c).

Les Phéniciens, ou plutôt les Iduméens, s'appelloient anciennement Achiviens, ou Hevéens, nom qu'ils ont tou

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qu'il commanda l'armée des Illyriens,
qui le choifirent enfuite pour leur Roi.
(c)..... Et noftræ auctorem gentis,
Cum Veneris filia angues repfiffe tellus
Illyrica vidit. Plaut.

(1) Met.l.3. (2) Liv. 3.

(3) In Oed.

(4) Chan. I.1.

(5) Met. 1. 3. (6)Amphitr. A&. 4.

jours gardé depuis leur établiffement dans la Grece: or Chiva en Hebreu veut dire un ferpent ; & c'eft fans doute ce qui a donné lieu à ses sujets, furnommés Achiviens, qui n'avoient rien de meilleur à dire de la vie obfcure & de la mort de leurs Heros, de publier à l'aide de ce mot, que Cadmus & Hermione avoient été changés en ferpens (a); & même pour rendre la chofe plus autentique, ils firent élever en Illyrie des ferpens de pierre, comme des monumens du changement furnaturel de leur Fondateur. Ainsi toutes ces idées de dragons & de ferpens qu'on trouve répandues dans les Poëtes qui parlent de ce Prince, tirent de-là leur origine. Mais fi l'on ne veut point s'en rapporter à l'Auteur que viens de citer, on peut rendre raifon de cette derniere fable, en rapportant ce qu'Aulu-Gelle dit des Illyriens.

Selon cet Auteur, les anciens habitans de l'Illyrie avoient deux paupieres à chaque œil, & avoient la vûe fi perçante, que s'il arrivoit qu'ils regardaffent quelqu'un, ils le tuoient comme auroit fait un dragon ou un bafilic. Cette opinion vraie ou fauffe, qu'on avoit des Illyriens, Peuple d'ailleurs groffier & fauvage, les faifoit apparemment appeller par les Grecs des ferpens & des dragons ; & par conféquent lorfque Cadmus fe fut retiré parmi eux, on dut dire qu'il étoit devenu un Illyrien, un dragon, un ferpent; expreffion métaphorique, qui dans la fuite fut prife à la lettre.

Cadmus avoit fait bâtir une ville en Illyrie, qu'il appella Lygnès; & Bochart, toujours ingénieux & fecond en conjectures, en produit une bien vraisemblable fur le nom de cette ville, & fur le lac de même nom, pays des Ancheléens, peuples d'Illyrie, parmi lefquels Cadmus fe retira. Il y a apparence, dit-il, qu'il lui donna un nom Phénicien : or comme le lieu où il la bâtit étoit très-marécageux, il la nomma Lichnoth, qui eft la contraction de Lecanoth, qui dans cette Langue veut dire un roseau ; ainfi la ville & le lac

(a) Ptolomée Ephefion eft, je crois, le feul qui dife que Cadmus & Hermione furent changés en Lions.

Les Hebreux difoient qu'on avoit don-1

porte

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