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CHAPITRE III.

Comment l'épreuve de l'eau froide fe répandit en France. Des Juges l'approuvent. Le Parlement de Paris la condamne.

I

I.

OccaGon

de l'épreuve en France. Le

Paris s'y op

pofc.

Left vrai-femblable que ce que Bodin avoit entendu dire, ou ce qu'il écrivit, donna occafion à l'épreuve. Quoiqu'il eût remarqué que les Parlement de Magiftrats ne devoient pas fuivre le méchant exemple d'Allemagne, plufieurs Juges eurent la curiofité de voir l'expérience, & la mirent en pratique. En effet depuis ce temps-là on la voit en ufage en France, principalement en Anjou, d'où étoit Bodin, & auprès de Paris, où fon Livre fut imprimé. Il falut que le Parlement de Paris s'oppofât à cette pratique fuperftitieufe, comme on le voit dans un Arrêt donné en l'Au-· dience de la Tournelle le premier de Décembre 1601. dans lequel, fur les Arrelt du conclufions de Maître Louis Servin Parlement, & plaidoyer de Avocat du Roi, eft défendu à tous M. Servia. Juges de Champagne, & autres du

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II.

reffort de la Cour, de plus faire d'épre ve par immerfion en eau. L'Arrêt eft imprimé fous ce titre : Arrêt de défenJes de faire épreuve par eau en accufation de fortilege, & il est joint au Plaidoyer de Mr. Servin, où l'on peut apprendre plufieurs particularités re marquables.

La premiere que les Juges fubalternes fe donnerent bien vîte la li berté d'ordonner cette épreuve,contraire aux regles de l'Eglife & à l'honnêteté , & qu'ils faifoient rafer par tout le corps ceux qui devoient être jerrés dans l'eau. C'est ce que demanda le Procureur Fifcal de Dinteville en Champagne, le Pag. 213. quinzieme de Juin 1594. Que les accufés, mari & femme, fuffent tondus, & tout le poil qu'ils avoient sur eux rafés des Juges de ce fait, eux conduits & menés en la ricaule de l'Ar viere pour y être jettés, suivant ce qu'il eft en ce cas accoutumé, pour éprouver le fortilege ce qui fut ordonné par le Juge à l'égard de la femme, & exécuté devant une multitude de perfonnes de tout état. Elle auroit été dépouillée par Ordonnance du Juge, lequel lui auroit fait lier les pieds &\mains, après jetter en l'eau, étant de hau

11 I. Sentence

Champagne,

cêt.

teur d'environ fept ou huit pieds, & ce Pag. 218. par trois diverfes fois ; à chacune defquelles, fitôt quelle auroit été jettée elle feroit revenue au deffus fans fe mouvoir; & à chacune des fois qu'elle fut retirée, étant admonêtée en préfence de tous les affiftans de dire la vérité, elle auroit perfifté en fes premieres réponses, & dénégations. Cependant, quoiqu'elle niât toujours d'avoir jamais été au Sabat, & d'avoir fait aucun maléfice, on la tourmenta fi fort qu'elle mourut en prifon & fut encore après la mort pendue & brûlée.

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IV.

devenue fort commune.

La feconde remarque à faire eft que l'épreuve étoit en ufage en plu- L'épreuve fieurs endroits, ainfi que Monfieur Servin le dit en faveur des Juges; Que non-feulement en Champagne où la Pag. 218. Seigneurie de Dinteville eft affife, mais en plufieurs autres Provinces, il s'eft pratiqué maintefois, fi comme ès Pays d'Anjou & du Maine, fur ce que l'on a dès-long-temps obfervé que les corps des Sorciers & Sorcieres étant jettés dedans l'eau n'alloient point au fond, mais furnageoient d'où l'on tiroit un argument que ces gens-là avoient fait paction de ne pouvoir être

TII.

M. Servin

damnable.

noyés, en
en fe donnant à ce mauvais
duquel nous prions tous les jours que
Dieu nous délivre. C'est ce prétendu
pacte qu'on énonce ainfi communé-
ment en maniere de proverbe ou de
fentence; Garde-toi du feu, je te gar
derai de l'eau.

3. Mr Servin montré fort favammontre qu'el- ment que ces fortes d'épreuves n'ont le eft con- été introduites que par erreur popu. laire; qu'elles font téméraires, pernicieuses,& interdites aux Chrétiens: d'où il conclut que la Procédure de l'immerfion de Jeanne Simony accusée, faite par Ordonnance du Juge dont eft appel, eft nulle & infoutenable,

Pag. 229.

Pag. 231.

qu'il eft facile de faire une regle pour l'avenir. C'est pourquoi il requiert que défenfes foient faites à tous Juges du Reffort de faire ces fortes d'épreuves. Il eft bon d'observer que

Mr. Servin avoit vû le Livre de Pag. 224 Rickius, dont il parle ainfi : Encore que quelques-uns aient cherché des raifons pour défendre telles épreuves, même J. Rickius au livre n'a gueres publié à Cologne, qui eft infcript, Defenfio Probe, &c. Si eft-ce que telles procédures ne peuvent être à jugées bonnes par bons Juges.

La

tous les

re

La quatrieme remarque eft que le VI. Parlement de Paris avoit déja con- Arrêt damné ces épreuves, comme on le giftré dans yoit dans l'Arrêt: La Cour... faifant Greffes. droit fur les Conclufions du Procureur Pag. 232. Général du Roi, a fait & fait inhibitions & défenfes aux Juges de Dinteville, & à tous autres Juges de ce reffort conformément à autres Arrêts ci-devant donnés en pareilles causes, en jugeant les Procès criminels des accufés de fortilege, d'ufer d'épreuves par eau.

Ce que cet Arrêt a de particulier, eft qu'il devoit être regiftré dans tous les Greffes, & publié dans tous les Sieges du reffort, & qu'il ordonne que les Juges intimés, qui avoient fait faire l'épreuve, comparoîtroient devant la Cour.

Tome II.

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