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Extrait d'un Livre contre cet ulage.

CHAPITRE IV.

Continuation de l'épreuve de l'eau froide en quelques endroits de France, principalement en Bourgogne. Procès verbal fait à Montigny le Roi, où l'on a jetté dans l'eau beaucoup de perfonnes foupçonnées de forti lege.

"Apprends de plufieurs perfonnes,

que l'épreuve eft en ufage en bien d'autres endroits qu'en Weftphalie. Un Officier de confidération la vit faire il y a deux ans à Mayence, où l'on jetta des perfonnes dans le Rhin, pour favoir fi élles étoient SorcieLe R. P. Ma- res. Un Savant d'un mérite trèsLebranche, diftingué a vû la même épreuve il y a long-temps, à Sedan; & une autre perfonne digne de foi, qui demeuroit il y a trente ans fur les confins de Lorraine & de Champagne, a auffi vû faire l'expérience plus de trente fois dans ces quartiers, d'une maniere qui l'étonnoit. Comme bien des gens paffoient pour Sorciers, les Magiftrats ordonnoient affez fouvent

qu'on feroit cette épreuve; & l'on voyoit des perfonnes maigres, qui en toute autre occafion auroient enfoncé comme une pierre, demeurer,néanmoins tout-à-fait fur l'eau comme du liege ; & ce qui eft plus étonnant, on ne pouvoit quelquefoi, les faire enfoncer dans l'eau ni avec une perche, ni en pefant ou fautant fur eux. Alors, tout le monde étant convaincu que c'étoientlà des Sorciers, on les faifoit évader fans bruit fi c'étoient des perfonnes confidérables, ou bien on les exiloit dans les formes.

Depuis cent dix ans que l'épreuve eft renouvellée en France, elle n'a jamais ceffé en plufieurs endroits de Bourgogne. Quelquefois on l'a faite fans autorité de Juftice, & quelquefois des Juges peu inftruits fe font avifés de l'ordonner. Je ne parlerai que des faits arrivés depuis peu, & que je fai avec toute la certitude qu'on peut fouhaiter dans les faits qu'on n'a pas vû foi-même.

Il y a près de trois ans qu'auprès de la Ville de Saint Florentin en Bourgogne, un ouvrier, qu'on foupçonnoit d'être Sorcier, fut menacé

par le peuple d'être baigné. Cet hom me, qui ne fe croyoit nullement Sorcier, & qui favoit d'ailleurs qu'il enfonçoit dans l'eau, lorfqu'il no fe donnoit aucun mouvement, croyant pouvoir faire ceffer tous les bruits qu'on répandoit contre lui,s'avisa de dire tout haut qu'on le baigneroit quand on voudroit & qu'il feroit volontiers l'expérience. Le lieu de l'épreuve & le jour furent affignés. On s'y rendit de tous les Villages d'alentour; & ce pauvre malheureux, jetté dans l'eau pieds & poings liés, demeura toujours fur F'eau, lors même que des enfans fe jetterent fur lui pour tâcher de le faire enfoncer. Cela eft caufe que cet ouvrier, qui tenta fi mal à propos cette épreuve, eft réduit préfentement à l'indigence, perfonne ne voulant le faire travailler, parcequ'il paffe plus que jamais pour Sorcier, quoique le Curé du lieu attefte qu'il eft des plus réglés & des plus dévots de la Paroiffe.

Mais l'épreuve qui s'eft faite à Montigny le Roi, à trois lieues d'Auxerre, a fait beaucoup plus de bruit, Plufieurs perfonnes de ce lieu,hom

mes & femmes, accufées depuis longtemps de fortilege, dirent à Mr. le Curé de la Paroifle de Montigny, qu'elles étoient difpofées à faire l'épreuve de l'eau froide, pour fe juftifier devant tout le monde des calomnies dont on les noirciffoit, & s'offroient à être baignées publiquement. Le peuple, curieux de ces fortes de fpectacles, en parut ravi; & l'épreuve fe fit le Mercredi fuivant, cinquieme de Juin, dans la riviere de Senin, près de l'Abbaye de Pontigny. Le jour venu on fonna la cloche pour la folemnité de l'expérience, plûtôt que pour avertir le peuple, que la curiofité n'attiroit que trop. On alla en foule à une lieue de-là, près de l'Abbaye de Pontigny, fur le bord de la riviere de Senin, où l'on vit un grand nombre de perfonnes des lieux voifins, Curés, Religieux, Gentilshommes, & autres perfonnes de tout fexe & de tout âge.

Là ceux qui devoient faire l'épreuve quitterent leurs habits. Des hommes leur lierent les bras & les mains aux jarrets & aux pieds, & leur pafferent une longue corde fous les aillelles, pour pouvoir tirer de

l'eau ceux qui enfonceroient. On les jetta ainfi dans la riviere, les uns après les autres. Il y en eut deux qui enfoncerent. Tous les autres demeurerent toujours fur l'eau comme du liege, ou, felon l'expreffion du Notaire, comme des gourdes, c'eft-àdire, des citrouilles feches & vuides, fans qu'il leur fût poffible d'enfoncer. Quelques-uns, confus de fe voir fur l'eau contre leur efpérance, fe récrierent que les cordes dont on les avoit liés étoient enforcelées : on en changea plus d'une fois; & cela ne fervit qu'à augmenter leur confufion. Quoique la préfence des Religieux Bernardins de l'Abbaye de Pontigny, & de plufieurs autres perfonnes de confidération, rendît l'expérience bien authentique, on voulut la faire juridiquement par un Acte dans les fotmes. Un Notaire fut chargé d'en dreffer le Procès Verbal, à la réquifition même de ceux qui voulurent faire l'épreuve, efpérant d'enfoncer dans l'eau. Voici le Procès Verbal, dont on m'a envoyé la copie collationnée par le Notaire.

Ce jourd'hui, cinquieme jour du mois de Juin mil fix cent quatre-vingt fei

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