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Apr. J. C.

Comte de Poitiers; Robert, Comte d'Artois; Charles, Comte d'Anjou ; & un très-grand nombre d'autres Seigneurs L'an 1245 François. Il ne partit que quelques années après, accompagné de la Reine, & fe rendit dans l'ifle de Chypre ; de-là, après avoir effuyé une violente tempête, il alla fe présenter devant Damiette (a), ville que Saleh avoit munie de tou- L'an 1248. tes fortes de provifions, & où il avoit mis une garnifon de Joinville. Kenanites, gens connus pour leur bravoure. L'Emir Phakh- Arabchah. Aboulfareddin, à la tête d'une armée, étoit campé dans les envi- radge. rons, pour en défendre l'approche & empêcher le débarquement. S. Louis fe jetta l'épée à la main dans la Mer, aborda, & fit camper toute fon armée, qui étoit d'environ cinquante mille combattans, du côté de l'Occident (b) que L'an 12494 Phakhreddin venoit d'abandonner, pour fe retirer à l'Orient, après avoir perdu quelques foldats. L'intrépidité du Roi de France porta par-tout la terreur, les habitans de Damiette & les braves Kenanites eux-mêmes qui n'oferent l'attendre der riere leurs murailles, ouvrirent leurs portes & fortirent pendant la nuit avec précipitation. La ville ainfi abandonnée, tomba entre les mains des Francs qui s'emparerent de toutes les richeffes & de toutes les armes qu'ils y trouverent. La perte de Damiette fut un des plus grands malheurs qui pût arriver au Sulthan d'Egypte.

Ce Prince étoit en Syrie où il faifoit le fiége d'Hemesse qui appartenoit à un de fes parens, lorfqu'il apprit cet événement. Il leva auffi-tôt le fiége pour revenir en Egypte, mais il tomba dangereufement malade à Manfoura. Ce fut-là que fe préfenterent à lui les principaux de Damiette; il fut fi indigné de leur lâcheté, qu'il les fit pendre au nombre de cinquante-quatre avec leurs habits, leurs baudriers & leurs bottes, & il mourut le lendemain (c). Aussi-tôt sa femme Schadjreddor, plus recommandable encore par efprit & par fa prudence, que par fa beauté qui la diftinguoit parmi toutes les perfonnes de fon fexe, fit affembler les plus grands Emirs de l'Etat, & leur cachant la mort du

(a) L'an 647 de l'Hegire.
(b) Dans le mois Sepher.

fon

dimanche au lundi; il étoit âgé d'en-
viron 44 ans, & il avoit régné 9 ans

(c) Le 14 de Schaban, la nuit du 8 mois & 2 jours.

Tom. IV.

P

Apr. J. C.

L'an 1249.

Prince, elle leur dit qu'elle venoit de fa part leur deman-
der le ferment de fidélité en faveur de fon fils Moadhem
touran schah qui demeuroit au château de Kipha dans le
Diarbekr; elle fit en même tems déclarer Phakhreddin (a),
Général de toutes les armées, écrivit des lettres au nom
du Sulthan & avec fa fignature, dans toutes les provinces,
pour
faire reconnoître Touran fchah; elle fe fervit dans
cette occafion d'un efclave nommé Sohaili, dont l'écriture
imitoit fi parfaitement celle du Sulthan, que perfonne ne
fe douta de la mort de ce Prince.

Schahjreddor qui par fa prudence fauva ainfi le Royaume
d'Egypte, étoit une femme Turque; elle gouverna avec
beaucoup de fageffe, & fçut prévenir tous les troubles, de
concert avec Phakhreddin, qui étoit un des plus braves
Emirs de fon tems, & qui avoit été fait Chevalier
par l'Em-
pereur dont il portoit les armes, jointes à celles des Sulthans
d'Alep & du Caire, fur fes bannieres. Pendant l'absence
du nouveau Sulthan on avoit raffemblé des troupes, & on
s'étoit approché des Francs, on avoit même promis un be-
zan d'or à chaque foldat qui apporteroit une de leurs têtes.
Cet ordre fut caufe que ces derniers perdirent beaucoup de
monde; les Soldats Egyptiens entroient secrétement dans
le camp,
& coupoient la tête de ceux qu'ils pouvoient fur-
prendre. S. Louis fut obligé de faire doubler les gardes &
de fe fortifier. C'eft dans ce tems-là que le refte de fa flotte
qù étoit tout l'arriere-ban de France, qui avoit été diffipée
par la tempête, arriva à Damiette. Elle étoit commandée
par le Comte de Poitiers. Les Francs délibérerent pour sça-
voir s'ils iroient droit au Caire; quelques-uns étoient d'avis
qu'on marchât vers Alexandrie, mais le Roi fe décida
pour
le premier avis, & fortit de Damiette (b) au commence-
ment de Décembre. Il rencontra dans fa route cinq cens
cavaliers Turcs qui vinrent fe rendre à lui; mais s'apperce-

(a) Une lettre de S. Louis le nomme Farchardin; Joinville l'appelle Scecedun; mais il eft vifible que c'eft le nom d'Azzeddin qu'il défigure ainfi, & qu'il confond avec l'Emir. Azzeddin étoit un autre grand Emir qui eut le

Gouvernement du Royaume.

(b) Je mets cette marche après la mort du Sulthan, quoique Joinville la place auparavant, parce que les Francs l'ont ignorée pendant quelque tems.

Apr. J. C.

Joinville.

vant qu'ils ne venoient que pour le tromper, le Maréchal du Temple avec fes Templiers les attaqua, plufieurs furent L'an 1249. paffés au fil de l'épée, & le refte fut noyé. Le Roi continua fa route, & alla camper entre les deux bras du Nil qui viennent de Rosette & de Damiette. Les corps avancés défirent en plufieurs rencontres quelques troupes des Mufulmans. Phakhreddin fit alors paffer fon armée dans le Delta, Aboulfac'est-à-dire, entre les deux bras de Rofette & de Damiette, radge. où étoit le camp des Chrétiens; il se rangea en bataille, Aboulfedha & il y eut plufieurs efcarmouches, dans lefquelles les Comtes d'Anjou & de Poitiers firent de grandes actions de valeur. Les Mufulmans avoient élevé vis-à-vis les retranchemens des Francs une pierriere avec laquelle ils jettoient des feux Grégeois qui incommodoient beaucoup les Francs. Ces feux lancés paroiffoient gros comme un tonneau, avoient une queue longue d'environ une aune & demie, & faifoient un bruit femblable à celui du tonnerre, au milieu même de la nuit ils illuminoient tout le camp, renversoient tous les ouvrages des Francs & les réduifoient en cendres. Ces terribles machines, que l'on pourroit comparer à nos bombes, caufoient de grands dommages. Les Francs ayant pour guide un Bédouin qui pour une fomme s'étoit engagé de leur montrer un gué, pafferent le fleuve, & défirent trois cens Mufulmans qui vouloient leur en difputer le paffage. Le Comte d'Artois les poursuivit à travers la ville de Manfoura (a). Mais à fon retour il trouva les habitans montés fur les toits de leurs maifons, d'où ils accabloient de pierres les Francs, & il fut tué dans cette occafion.

Les Francs vinrent enfuite camper à Scharmefakh (b), & s'approcherent de Manfoura. S. Louis, à la tête de fon armée, chargea les Musulmans, il combattit comme un fimple foldat, & s'expofa aux plus grands dangers, il périt beaucoup de monde dans cette journée ; enfin la victoire fe déclara en faveur des Francs (c). Phakhreddin qui étoit alors au bain, L'an 1250. monta à cheval, mais il fut rencontré par une troupe de Francs

(a) C'est ce que nous appellons la Maffoure.

(6) Sanut l'appelle Sarmofac.

(c) Elle fe donna un mardi du mois de Dzoulcaada, & le mardi-gras, fuivant Joinville.

Apr. J. C.

L'an 1250.

qui le tuerent. Deux jours après cette bataille (a) le nou veau Sulthan Touran fchah qui étoit parti du château de Kipha, arriva à Manfoura, & le jour suivant il rangea fes troupes en bataille. Vers le midi les premiers corps commencerent à s'ébranler, il y eut un nouveau combat, où chacun prétendit avoir remporté la victoire. Il paroît certain que les Francs repoufferent les Mufulmans; mais ceux-ci qui avoient en même tems plufieurs vaiffeaux en Mer, en enleverent trente-deux aux Francs, parmi lefquels il y en avoit neuf de la premiere grandeur. Cette perte affoiblit confidérablement les Chrétiens. Tous les Francs de Jérufalem & de la Syrie ayant fait folliciter S. Louis de rendre Damiet te aux Mufulmans, on propofa de remettre cette ville au Sulthan, à condition que celui-ci laifferoit en paix le Royaume de Jérufalem & les malades qui étoient dans Damiette, & qu'il feroit permis d'emporter toutes les machines. Le Roi vouloit donner pour ôtage, ou le Comte de Poitiers, ou le Comte d'Anjou; mais le Sulthan exigeant que le Roi lui-même fervit d'ôtage, ce Prince ne voulut point y confentir, & fe difpofa à quitter un endroit où il couroit rifque de perdre toute fon armée, par l'infection que caufoient les corps morts, & où d'ailleurs il manquoit de vivres, parles Musulmans avoient coupé toute communication avec Damiette.

ce que

S. Louis ordonna que l'on décampât le mardi au foir après l'octave de Pâques, pour retourner dans cette ville (b). Dans le tems qu'il étoit occupé à faire conftruire un pont fur le Nil, les Mufulmans entrerent dans fon camp, & tuerent tous les malades. Le Roi accourut à l'arriere-garde qui étoit le plus en danger; tout malade qu'il étoit, il foutint vaillamment avec Geofroy de Sergines le choc des ennemis, & s'enfonça dans la mêlée, réfolu de périr pour fauver fes troupes. Le brave Sergines qui ne le quittoit pas, & qui s'expofoit aux plus grands dangers pour le défendre, le débarrassa enfin, & le conduisit à Meniat-abouabdallah, où ce Prince accablé de laffitude & de la foibleffe caufée par fa maladie,

(a) Le jeudi.

da le mercredi 3 de Mouharram de l'am (6) Aboulfedha dit la nuit qui précé- 648 de l'Hegire.

Aboulma

tomba en défaillance. Là il fut fait prifonnier par les MuApr. J. C. fulmans, & après lui tous les François. Ceux même qui L'an 1250. étoient fur les vaiffeaux furent pris par les galeres du Sul- Aboulfedha than: un grand nombre fut égorgé, d'autres follicités inuti- Joinville. lement d'embraffer le Mahométifme. S. Louis avoit d'abord hafen. obtenu fûreté de Mouhflin effalehi, Gouverneur de l'endroit où il s'étoit réfugié, mais d'autres troupes Mufulmanes qui arriverent le conduifirent à Manfoura. Les Mufulmans avouent eux-mêmes que ce Prince pouvoit fe fauver, & qu'il ne fut pris que parce qu'il s'obftina à défendre fes foldats & à vouloir faciliter leur paffage & leur fuite. On compte qu'il y eut vingt mille prifonniers, & fept mille hommes tant tués que noyés. Le Sulthan d'Egypte fit revêtir de veftes d'honneur S. Louis & tous les grands Seigneurs qui étoient au nombre de cinquante. On rapporte que S. Louis parut furpris de ce traitement, & qu'il dit : Quoi! celui qui eft maître de mon pays me fait fait ainfi revêtir d'une robe. Le lendemain le Sulthan donna un grand feftin, auquel S. Louis ne voulut point être préfent. Ce Prince, dit Saadeddin, Auteur Arabe contemporain, cité par Aboulmahafen, avoit beaucoup de prudence, une fermeté inébranlable & beaucoup de religion, des mœurs douces, tous les Chrétiens l'eftimoient à cause de ses vertus. Le Sulthan fit enfuite mettre à les artifans, & ordonna que l'on fit mourir les autres. Saint hafen. Louis fut renfermé à Manfoura, d'autres difent au Caire dans la maifon de Phakhreddin, fils de Locman, & on le confia à la garde d'un Thaouafchi, nommé Sabih, un des Mameluks de Touran fchah, qui le traita avec beaucoup de respect.

part tous

Aboulma

Les petits Mameluks, c'est-à-dire, ceux qui étoient ve- Aboulfanus du château de Kipha avec Touran schah, & qui étoient radge. fes Officiers particuliers, faifirent cette occafion pour repréfenter à Touran fchah que Schadjreddor & Azzeddin ibek le Turkoman s'étoient emparés de toute l'autorité, & qu'ils ne lui laiffoient que le titre de Sulthan. « Si vous étiez, lui dirent-ils, dans votre ancien château de Kipha, vous » feriez plus tranquille; ici vous n'avez de la royauté que le titre; vos plus grands ennemis ne font pas les Francs,

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