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que l'on oppofe, ne s'accordent pas avec ces Ecrivains originaux.

L'année suivante, 200 avant J. C. il eft dit que l'Empereur marcha en perfonne contre Sin qui, avec les Huns, fut obligé de prendre la fuite. L'an 199 Sin fut encore battu. L'an 196, par ordre de l'Impératrice, toute fa famille fut mise à mort; & peu après il fut tué: il s'étoit joint à d'autres rebelles. Voilà mes garants. Je puis y ajouter Sema-tcien dans fon Sé-ki, & Ma-tuon-lin dans fon Venhien-tong-kao; je fuis fûr qu'il n'y a pas un feul Historien Chinois qui dife le contraire.

Il eft vrai que l'an 201, mais avant la révolte de Sin; l'Empereur érigea en Royaume la Province de Ta-yuen dans le Chan-fi, & qu'il l'appella le Royaume de Han, pour le donner à Sin qui établit fa réfidence à Ma-ye. Il eft vrai encore que dans la même année, & avant ce dernier événement, Sin, alors Roi de Tçou, avoit été pris par l'Empereur, & conduit prifonnier à Lo-yang, où il obtint fon pardon, & qu'on lui ôta le titre de Roi de Tçou dans le Hou-kouang, pour lui donner fimplement celui de Heou (a) de Hoai-in. Ce trait a rapport à ce que les Journalistes difent qu'on lui ôta fa Principauté du Hou-kouang, pour lui en donner une inférieure ; mais il eft antérieur à fa révolte. Suivant le Kammo, Sin avoit eu, l'année précédente, c'eft-à-dire, l'an 202 avant J. C. cette Principauté, fituée dans le Houkouang; auparavant il étoit Roi de Tci. On voit par-là que j'ai exactement fuivi les Hiftoriens Chinois, que je ne fuis point en contradiction avec eux, & que dans le Journal de Trevoux on a renversé l'ordre des faits.

Je finis par une observation, que je place ici fans qu'elle doive tirer à aucune conféquence, parce qu'il me paroît affez indifférent quel eft celui qui le premier aura fait cette découverte. Si d'autres l'ont dit avant moi, je m'en fers comme d'un témoignage en ma faveur ; mais je protefte cependant que je ne l'ai vu écrit nulle part, & que la lecture de l'histoire Chinoise m'y a conduit naturellement. Il

(a) C'eft un titre chez les Chinois,

s'agit ici du témoignage du P. Gaubil, que je regarde comme le plus fçavant Miffionnaire que nous ayons. Avant qu'il envoyât en France fon Hiftoire des Tang, où il dit que les Hiong-nou font les mêmes que les Huns, je lui avois adreffé mon Profpectus, dans lequel j'ai développé toutes les branches de cette Nation. Je lui parlois en même tems de Fo, que je regarde comme un des noms donnés par les Chinois à J. C. Cependant s'il eft de cet avis dans des Ecrits antérieurs à mon Profpectus, publié en 1751, j'en ferai plus charmé, parce que fon fentiment, n'étant pas dérivé d'aucun autre, devient pour moi une confirmation de ce que j'ai avancé ; d'autant plus que l'autorité du P. Gaubil fera toujours pour moi d'un grand poids.

J'avoue cependant que je fuis furpris que la remarque fur Fo n'ait pas été faite plutôt. Cette connoiffance, en apparence peu importante, étoit néceffaire pour la défense des Miffionnaires. Perfonne n'ignore que dans ces derniers tems on a découvert à la Chine un monument de pierre qui contient, en langue Chinoife, tous les principes du Chriftianifme, & qui prouve d'une maniere inconteftable que la Religion Chrétienne y a été très-floriffante dans le feptieme fiécle. Ce monument a eté autrefois élevé par des Neftoriens. Lorsqu'on en eut connoiffance en Europe, les Proteftans fur-tout, & quelques-uns de nos Ecrivains modernes déciderent qu'il étoit fuppofé par les Miffionnaires; ils fe fervoient même de leur témoignage pour le prouver, parce que ceux-ci avouoient qu'on ne trouvoit dans les Annales aucune trace qu'il y eût eu des Chrétiens à la Chine. Le filence des Annales, où l'on écrit avec foin tout qui regarde l'Empire, paroiffoit d'une autorité d'autant plus grande, qu'il eft rapporté dans le monument, que plufieurs Empereurs avoient tellement protégé les Chrétiens, qu'on feroit tenté de croire qu'ils avoient embraffé le Chriftianif me. J'ai été curieux de vérifier ce fait dans les Annales & j'ai vû que dans le tems qu'on éleva ce monument, il y avoit, fuivant les Livres des Chinois les plus authentiques, un fi grand nombre de Chrétiens, qu'un Empereur crut devoir arrêter le progrès de leur Religion. Il publia un Edit

très-févere qui eft traduit & imprimé dans le Recueil du P. du Halde fans qu'on fe foit apperçu qu'il concernoit les Chrétiens, parce que ceux-ci y font appellés Bonzes du Ta-tfin. Il n'y avoit que cette réflexion à faire, que le Tatfin étant l'Empire Romain, où il n'y avoit jamais eu de Bonzes Indiens, cet Edit devoit regarder les Chrétiens. En effet les Neftoriens auteurs du monument ne prennent que le titre de Bonzes du Ta-tfin. De-là il réfulte que les Chinois ont défigné les Chrétiens fous le nom de Bonzes, & J. C. fous celui de Fo. J'en ai donné des preuves dans un Mémoire particulier; il ne m'a pas fallu faire de grandes recherches dans les Annales pour en trouver; & j'en ai rapporté dans mon Ouvrage qui conftatent que long-tems auparavant le Chriftianifme avoit pénétré dans la Chine.

En effet, on fçait quel a été le zele des premiers Chrétiens pour porter dans tous les pays du monde leur Religion ; & il faudroit fuppofer que la Chine a toujours été inconnue à tous les peuples, pour croire que les Chrétiens n'y euffent pas pénétré dès les premiers tems. Avant J. C. un Général Chinois fe réunit aux Scythes pour détruire les fucceffeurs d'Alexandre, établis dans la Bactriane, & pénétra jufques dans le Khorafan. L'an 97 de J. C. un autre Général Chinois envoya des détachemens jufques fur les bords de la Mer Cafpienne, dans le deffein de porter la guerre chez les Romains. D'un autre côté, les Parthes envoyoient des préfens aux Empereurs Chinois. Jufqu'alors les Romains avoient fait d'inutiles efforts pour faire directement le commerce avec la Chine par Kafchgar, mais les Parthes s'y étoient toujours oppofés. Enfin, Marc-Auréle Antonin envoya, par les Indes, des Marchands, auxquels les Chinois donnent le titre d'Ambaffadeurs, qui firent leurs préfens à l'Empereur de la Chine. Ces événemens, & une foule d'autres que l'on rencontre à chaque instant dans les Annales, & que j'ai indiqués dans mon Ouvrage, en faifant indirectement pour le Chriftianisme, prouvent authentiquement que les Chinois n'ont pas toujours été un peuple ifolé, ni redevable à lui feul de toutes fes connoiffances. Il a fouvent emprunté des Etrangers des découvertes qui

ont

ont fervi à réformer fes idées. Nous trouverions de femblables indices pour les fiécles plus reculés, fi l'ancienne Hiftoire contenoit quelques détails. Par la perte de ces monumens, la trace du commerce & des anciennes liaisons que les Chinois ont eues avec les Peuples plus Occidentaux, eft interceptée ; & ces Chinois, aux yeux de ceux qui ne font pas affez inftruits, paffent aujourd'hui pour les inventeurs de tout ce qu'ils ont chez eux. On me permettra d'en douter; c'eft trop flatter leur orgueil.

Dans les Sciences, le goût & la critique leur manquent, comme à tous les Orientaux, qui ne fçavent point discuter un fait, parce qu'ils n'ont point de connoiffance des évenemens étrangers qui peuvent fervir de point d'appui, ou de comparaifon. Auffi fuis-je perfuadé que toute l'ancienne Hiftoire de la Chine, déférée devant une Académie comme celle des Infcriptions, qui l'emporte par l'étendue de fes connoiffances & la jufteffe de fa critique fur tous les Han-lin, & les plus fameux Docteurs de la Chine beaucoup mieux éclaircie qu'elle ne peut l'être par les Chinois, & qu'on en tirera plus de parti qu'ils n'en peuvent tirer. On doit dire la même chofe de l'Académie des Sciences; les Chinois ont des découvertes dont ils ne fçavent pas profiter.

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Du côté du Gouvernement, ces Peuples font fupérieurs à tous les Orientaux, leurs loix font admirables; mais il ne faut pas croire qu'elles foient mieux obfervées que chez les autres Nations. Ils ont eu de grands hommes, & en plus grand nombre, j'ofe le dire, que la Grece & Rome. Ces hommes célebres fe font expofés à la mort pour la gloire de leur Prince & la défenfe de la patrie: mais il y en a eu d'autres, & en plus grand nombre, qui ont bouleversé l'Etat, & qui ont fait périr des millions d'hommes.

On eft étonné que les Etrangers qui ont foumis plufieurs fois la Chine, aient adopté les loix des vaincus : delà on tire un éloge en faveur de ces loix. J'en ai parlé ainsi dans mon Ouvrage; mais j'ai oublié d'y ajouter que c'cft plutôt parce que les vainqueurs n'en avoient point. Quelles loix trouve-t-on chez les Tartares ? N'ont-ils pas adopté Tome IV.

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362 LETTRE AUX AUTEURS DU JOURNAL DES SÇAVANS. infenfiblement les mœurs & la religion des Peuples qu'ils ont vaincus ? Dans la Syrie ils font devenus Musulmans; à la Chine ils ont admiré Confucius; mais de retour en Tartarie, ils ont repris leurs tentes & leurs anciens usages.

Il y a certainement de grands défauts dans le Gouvernement Chinois. Je ne puis concilier ce refpect fingulier des enfans envers leurs peres & meres, & cette barbarie des peres & meres qui expofent dans les rues une grande quantité d'enfans, où ils périffent fouvent dévorés par les chiens. L'attention des Légiflateurs doit fe porter naturellement fur cette partie, destinée à faire revivre un Etat. Les loix Chinoises fi vantées, qui ont prefcrit les foins qu'il falloit apporter dans les mariages, devoient s'étendre jufques-là. Je fais cependant beaucoup de cas de ces Peuples, & je penfe que la Littérature Chinoife doit paffer immédiatement après celle des Grecs & des Romains; que les Livres Chinois font très-propres à former de grands hommes, & à compléter l'Hiftoire générale du monde. Mais il faut avouer en même tems qu'il regne chez les Chinois des défauts effentiels dans le Gouvernement, dans les Sciences & dans les Arts, qu'ils n'ont jamais fçu porter à un certain degré de perfection : c'est ce dont la lecture de leurs ouvrages m'a convaincu. Souvent un Voyageur s'accoutume à voir des objets qui lui paroiffoient difformes, enfuite il les admire. C'eft une réflexion que fait le P. le Comte dans fes Mémoires fur la Chine, Tome I. page 105. à l'occafion de l'Architecture. Il dit que les yeux en font choqués; mais qu'à force de voir ces bâtimens Chinois, on parvient infenfiblement à les trouver beaux. Il en eft, à cet égard, de toutes les autres chofes comme des bâtimens. Je fuis, &c.

Meffieurs les Auteurs du Journal de Trevoux ont bien voulu examiner cette Lettre, & inférer quelques obfervations dans leur Journal du mois de Janvier 1758. Ils rapportent le témoignage

DEGUIGNES.

du P. de la Charme que j'adopterois avec plaifir, fi les paffages des Annales Chinoifes que j'ai cités dans cette Lettre, n'étoient pour moi une autorité dont je crois ne devoir point m'écarter.

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