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Apr. J. C.
L'an 1398.

rejoindre ce Prince, amenant avec lui des tréfors infinis qui confiftoient en couronnes, en ceintures & en felles d'or, Tamerlan. en étoffes, vafes précieux, dont Tamerlan diftribua une partie pour récompenfer fes Officiers & fes foldats. Enfuite ce Prince fit les préparatifs néceffaires pour aller attaquer les habitans de la ville de Dipalpour, qui après s'être révoltés contre Pir mohammed à caufe de la mortalité des chevaux qui étoit dans fon armée, s'étoient retirés dans la fortereffe de Batnir avec un corps de troupes de la garde de Phirouz schah, Sulthan des Indes. Batnir étoit une des plus fortes places de l'Inde, fituée dans le defert ; il n'y avoit d'eau que celle que fourniffoit un grand lac formé par les pluies : & comme aucune armée n'étoit parvenue dans cet endroit, les habitans de Dipalpour, d'Adjoudan & des autres villes voifines, s'y étoient retirés comme dans un lieu de fûreté. Mais ils y étoient en fi grand nombre, que plusieurs furent obligés de refter dehors avec leurs effets. Tamerlan après avoir pris Adjoudan, s'approcha de Batnir (a), & s'empara de tous les environs. Raoudouldgin qui commandoit dans cette place, & qui avoit confiance dans la force de fes murailles, dans le grand nombre de fes Officiers & de fes foldats, & dans l'abondance des provisions, refufa de fe rendre. Au premier affaut les Tartares prirent les fauxbourgs, & tuerent un grand nombre d'Indiens: on donna enfuite un affaut général, & la ville alloit être emportée, mais le Commandant demanda une fufpenfion d'armes qui lui fut accordée, parce qu'il promettoit de fe rendre le lendemain. Il employa ce tems-là à fe préparer à une nouvelle défense; mais l'intrépidité des Tartares triompha de tout, & il fut contraint d'implorer la clémence du Vainqueur, auquel il remit Batnir. Comme Tamerlan avoit particuliérement à fe plaindre des habitans de Dipalpour qui avoient tué par trahison leur Gouverneur Tartare, il fit mourir cinq cents hommes d'entre eux, & prit leurs femmes & leurs enfans; ceux d'Adjoudan furent auffi punis. Alors Kemaleddin, frere de Raoudouldgin, craignant que cette punition ne s'étendît jufques

(a) Le 26 de Sepher

fur

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fur lui, prit les armes, & fit fermer les portes de la ville. Cette révolte fut caufe de la mort de fon frere qui étoit Apr. J. C. auprès de Tamerlan ; & on fe difpofa à recommencer le Tamerlan. fiége. Mais les habitans, dans la crainte que la ville ne fût prife d'affaut, demanderent une amniftie, & remirent les clefs. Scheikh noureddin & Allah-dad entrerent dans la place pour lever la contribution que chaque perfonne devoit donner pour fa rançon. Les Rayas & les autres Chefs ne voulurent point accepter cette taxe; & comme parmi eux les uns étoient Ghebres, les autres Idolâtres, ils en vinrent aux mains. Tamerlan irrité de cette conduite, ordonna qu'on les paffât tous au fil de l'épée. Les Tartares fe jetterent le fabre à la main dans la ville, où ils trouverent les Ghebres & les Musulmans réunis, & réfolus de périr. Les Mufulmans égorgeoient leurs femmes & leurs enfans; les Ghebres les jettoient dans le feu qu'ils avoient mis à leurs maifons, & tous fe battoient avec un acharnement qui a peu d'exemple. Dix mille Indiens périrent dans cette occafion, & Batnir fut réduite en cendres.

Après la ruine de cette ville, le grand nombre de corps morts qui infectoient l'air, obligea Tamerlan de partir promptement (a). Il fe rendit à Serefti & à Fethabad, villes habitées par des Idolâtres. Tous avoient pris la fuite, mais ils tomberent entre les mains de fes foldats qui les firent mourir. Ceux d'Ahrouni fe laifferent égorger dans leur ville. Il rencontra près de-là des Hordes de Getes qui y demeu-· roient depuis long-tems, & qui defcendent de ces anciens Indofcythes (6); ils n'avoient aucune Religion, & leur occupation étoit de voler ceux que la néceffité obligeoit de paffer dans ces quartiers. On en fit mourir près de deux mille. On parcourut les deferts & les bois, où les autres s'étoient retirés. On les pourfuivit par-tout, & deux mille autres périrent encore. On parvint ainsi jusqu'au bord du Kehker qui fe jette dans le Gange. Toutes les troupes fe raffemblerent en cet endroit, & on paffa le Kehker, de l'autre côté duquel Tamerlan fit la revue de fon armée. Les

(a) Le 3 de Rabi elaoual, Tome IV.

(b) J'en ai parlé ailleurs.

G

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habitans de Samané, de Kuteil, & d'Affendi, qui étoient Apr. J. C. tous idolâtres, brûlerent leurs maisons, & fe fauverent du Tamerlan. côté de Dehli. Les Tartares mirent le feu à Toglouc pour, dont les habitans qui étoient d'une fecte particuliere, portoient le nom de Soloun. Ils admettoient deux principes qui gouvernent l'univers ; l'un bon, ou la lumiere; l'autre mauvais, ou les ténebres. Du premier, à ce qu'ils prétendoient, vient le bien, & de l'autre le mal. On ne trouva dans Panipat (a) qu'une très-grande quantité de bled dont on se servit utilement.

De-là Tamerlan détacha l'aîle gauche de fon armée pour aller faire des courses jufqu'à Dgihan-numai (6), magnifique palais bâti par le Sulthan Phirouz fchah, à deux lieues de Dehli, fur le haut d'une montagne, au pied de laquelle paffe la riviere de Jaoun. Il s'approcha de cette riviere, & marcha droit à la ville de Louni fituée entre le Jaoun & l'Hilen qui est un canal que Phirouz fchah avoit fait creuser pour joindre le Calini au Jaoun. C'eft-là qu'eft fituée la ville de Phirouz-abad, dont les habitans étoient Ghebres; ils brûlerent leurs femmes & leurs enfans, mais leur réfolution ne put empêcher que les Tartares ne s'emparaffent de la ville. On n'épargna que les Mufulmans. Tamerlan tint alors un grand confeil, dans lequel il délibéra fur les moyens qu'il y avoit à prendre pour fe rendre maître de Dehli, capitale des Indes. Il réfolut d'amaffer une grande quantité de bleds & de munitions, que l'on renfermeroit dans le palais de Dgihan-numai, & qu'enfuite on commenceroit le blocus de cette ville. Pendant qu'on détacha quelques troupes pour aller ravager tous les environs, les Indiens firent une fortie; ils étoient au nombre de quatre mille cavaliers, de cinq mille hommes de pied & de vingt-fept éléphans. Trois cents Tartares attaquerent leur avant-garde, & les attirerent au bord d'une riviere. Tamerlan envoya à leur fecours, on marcha aux ennemis le fabre à la main, & les Indiens plierent dès le premier choc.

Comme le fiége de Dehli paroiffoit devoir être meurtrier,

(a) Le 14 de Rabi elaoual,

(b) C'est-à-dire, le miroir de l'univers.

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& que Tamerlan avoit dans fon camp plus de cent mille prifonniers Indiens qui étoient Ghebres ou Idolâtres, fes Apr. J. C. principaux Officiers lui représenterent qu'il étoit à craindre Tamerlan. que dans une action, tous ces Indiens ne fe révoltaffent, & ne priffent parti contre les Tartares. Tamerlan ne confulta dans cette occafion que fa cruauté pour remédier à cet inconvénient, & donna ordre que l'on fit périr tous ces malheureux; que celui qui n'obéiroit point, feroit mis à mort, & que fes femmes, fes enfans & tous fes biens feroient remis au dénonciateur. En moins d'une heure plus de cent mille Indiens furent égorgés. Après cette cruelle précaution, il marcha (a) au fiége de Dehli, & alla camper de l'autre côté de la riviere de Jaoun, où fes foldats creuferent un fossé autour de leur camp, ils le garnirent de paliffades ; & pour former un rempart ils lierent par les pieds & par le cou plufieurs gros buffles, derriere lefquels ils drefferent leurs tentes. Tamerlan fe rangea enfuite en bataille, mit à la tête de fon aîle droite fon fils Pir mohammed Dgihanghir; à la gauche, les Mirzas Sulthan houffaïn & Khalil fulthan; donna l'arriere-garde au Mirza Rouftem, & fe mit à la tête du corps de bataille. L'aîle droite des affiégés étoit fous les ordres de Tadgikhan & de Mir aly khodgia; Malek moïneddin & Malek hani commandoient la gauche. Le Sulthan des Indes, Mahmoud khan (b), étoit à la tête du centre de bataille avec Mellou khan. Son armée confiftoit en dix mille maîtres (c) bien montés, en quarante mille hommes de pied, & un grand nombre d'éléphans armés de cuiraffes, ayant à leurs dents de grands poignards empoifonnés, & fur le dos des tours de bois en forme de bastions, fur lesquelles étoient montés plufieurs archers. A côté des éléphans marchoient des tireurs de pots-à-feu, de poix enflammée & de fufées volantes, avec des pointes de fer qui donnoient plusieurs coups de fuite dans le lieu où elles tomboient. Les éléphans effrayoient beaucoup les Tartares qui n'en avoient jamais vû, & qui s'imaginoient que ces ani

(a) Le 3 de Rabi elakher.
(b) Petit-fils de Phirouz fchah.

Je crois que ces maîtres avoient

fous eux un certain nombre de foldats,
comme autrefois parmi nous une lance,
lorfque l'on difoit douze cens lances.

Apr. J. C.

maux étoient invulnérables, que leur agitation feule déraL'an 1398. cinoit les arbres, qu'ils renverfoient les plus grands édiTamerlan. fices en les heurtant, & que dans le combat ils enlevoient

en l'air le cheval & le cavalier. Tous étoient épouvantés à l'aspect de ces terribles animaux. Tamerlan prit toutes les précautions néceffaires pour ranimer leur courage. Il fit creufer un foffé, enfuite il forma avec les boucliers un rempart, & fit attacher des buffles à côté les uns des autres, par le cou & par les pieds avec de longs cuirs; il fit lier aux deux côtés & fur la tête de ces animaux des fagots; il fit encore faire des crocs de fer à trois branches, pour jetter par terre lorsque les éléphans fe préfenteroient, en même tems que l'on mettroit le feu aux fagots que les buffles portoient.

Lorsque les ennemis furent en préfence, Tamerlan crut devoir tirer du corps de bataille de nouvelles troupes pour fortifier l'aîle droite & l'arriere-garde. Cette manœuvre ranima un peu le courage de fes foldats qui allerent attaquer les Indiens; le bruit que ceux ci faifoient avec leurs tymbales, leurs tambours, leurs trompettes, d'autres groffes tymbales portées fur le dos des éléphans, & des cloches, jettoit l'effroi dans le cœur des plus intrépides. Dans le tems que l'on en étoit aux mains, l'avant-garde ayant apperçu un corps de cavalerie qui s'avançoit, alla fe pofter derriere l'aîle droite, où elle fe mit en embuscade. Après qu'elle eût laiffé paffer cette avant-garde des ennemis,elle fondit avec beaucoup de valeur fur les Indiens dont elle tua en peu de tems cinq à fix cens hommes. Pir mohammed dgihanghir repouffa l'aîle gauche, qui fut rompue par fes propres éléphans que les Tartares obligerent de retourner. Les autres troupes firent pareillement leur devoir, & les Indiens abandonnerent le champ de bataille qui étoit couvert de corps morts & de trompes d'éléphans, & Mahmoud khan alla fe renfermer dans fa capitale. Tamerlan s'approcha de la porte, & vint fe pofter auprès d'un grand baffin nommé Havizcas. Ce baffin qui eft rond, avoit été conftruit par le Sulthan Phirouz fchah; il étoit fi grand qu'une fleche lancée par une main très-forte ne pouvoit le traverfer dans fon diametre; dans les inondations il fe rempliffoit d'eau dont les habitans

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