infigne valeur que chez le payfan qu'il pilloit le plus fouvent. Prudent au dernier période, faifoiton face à l'ennemi, il étoit derriere fes camarades ; falloit-il tourner le dos, il voloit à leur tête. Quatre fois il deferta,& quatre fois évita la potence: enfin devenu odieux à fes Capitaines & même à fes amis, il fut dégradé & affranchi à coups de canne. Après avoir erré près d'un mois fur les grands chemins, vivant de ce qu'il pouvoit attraper, il s'affocia de trois faineans qui mandioient le jour & voloient la nuit: il gagnoit quel que chofe en leur compagnies mais defirant de voir Paris, il les quitta après leur avoir promis de fe reffouvenir d'eux, fi jamais il y faifoit fortune. Certain air bigot qu'il affectoit, fut remarqué de quelques perfonnes qui le placerent chez le Sacriftain de Saint

Euftache,homme d'un rare mérite, qui manquo it pour lors de valet. C'eft cer état qui le plongea dans l'hypocrifie, genre de vie qu'il pouffa à un degre fi éminent,que bien-tôt il fut plus eftimé que fon maître. On commença à le regar der comme un faint, & des ames charitables ne jugeant pas àpropos qu'un fi grand tréfor demeurât caché dans la cuisine d'un Sacriftain,l'en retirerent, & lui offrirent un logement au Fauxbourg Saint Honoré près de notre maifon, qu'il accepta. Il n'y fut pas long-tems fans être vifité, non feulement du mênu peuple, qui pour l'ordinaire fe plaifant à amplifier,le difoient Prophéte, mais encore par les Grands qui s'eftimoient heureux de pouvoir converfer une heure avec lui. Mon pere ne tarda pas à être informé qu'un Saint logeoit à côté de chez

lui: il l'alla voir comme les autres, & ils lierent ensemble une amitié fi forte, qu'elle ne put être rompue que par la mort de mon pere.

Telle étoit le célebre & bienheureux de Saint-Varte, quand ébloui par les richeffes & rendu hardi par la foibleffe de ma mere, il ofa fe dévoiler devant elle, & l'époufa malgré le tort qu'il fentit que cette action pourroit faire à fa réputation. Ses premiers foins furent de fermer la porte du logis à tous ceux qui jufqu'alors en avoient eu la libre entrée; il mit dehors les domestiques,& fous ce nom fit entrer fes trois camarades qu'il avoit fait venir à Paris au commencement de fa profpérité, il nous retira même notre Précepteur & nos Valets, & nous réduifit au rang des plus fimples écoliers. Ma mere qu'il n'avoit pas prévenue fur tous ces changemens

en fut irritée,& prévoyant les conféquences qui pourroient naître d'une telle autorité,fi elle gardoit le filence,s'en plaignit un peu viment à de Saint-Varte, qui, loin de la fatisfaire, fit une réponse qui lui donna à connoître l'irréparable faute qu'elle avoit faite de fe livrer à un hypocrite ; il lui dit que tout cela n'étoit que le préliminaire de ce qu'elle avoit à fouffrir dans la fuite,fi elle ne fe conformoit à fes volontez,que l'ayant épousée pour fes richeffes & non pour fa beauté, il ne vouloit plus fe gêner, & qu'il falloit qu'elle se tût. Il retira peu de tems après mon frere aîné du College, & fous prétexte de lui faire voir l'Italie il feignit de l'envoyer à Rome, & le mit fous la garde d'un de fes faux Valets, auquel il commanda fecretement de le faire périr en chemin & d'aller après cela l'attendre à Avignon

où il comptoir de fe rendre dès qu'il auroit executé les noirs projets. Il ne lui reftoit plus à fe dé-faire que de ma mere & de moi; ce qui n'étoit pas difficile ; car ma mere fe voyant tous les jours maltraitée de plus en plus,& craignant qu'il ne lafit enfin mourir de coups, le pria de lui permettre de se retirer dans un Couvent, ce qu'il accorda après lui avoir fait faire ferment que jamais elle ne reveleroit fes méchancetez ; elle lui pardonna fa cruauté, n'attribuant fes malheurs qu'à une jufte punition du Ciel pour s'être remariée malgré la promeffe qu'elle avoit faite du contraire à mon pere avant fa mort, & le conjura feulement de ne nous point abandonner. Je demeurai donc à la merci du miférable de Saint-Varte & de fes camarades,qui ayant fait paffer dans le monde la retraite de ma mere